Qui est Ibrahim Traoré, le jeune officier de 34 ans qui vient de renverser le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba au Burkina Faso?
Wassim Nasr: C’est un capitaine d’artillerie qui venait d’être nommé par Damiba lui-même à la tête d’un groupement de l’armée à Kaya, une ville située au nord du Burkina Faso.
Le putschiste a-t-il réussi son coup?
Il a été soutenu par tout l’état-major des armées burkinabés. Il a fait appel à la rue, qui a répondu présente. C’est ce qui compte. Lui dit qu’il ne veut pas se maintenir au pouvoir, mais on sait que les périodes transitoires peuvent s’éterniser. A noter que Traoré fait partie de la junte qui a amené Damiba au pouvoir le 24 janvier dernier, en lieu et place du président Roch Marc Christian Kaboré.
Qu’est-ce qui a provoqué le coup d’Etat de vendredi dernier?
Des griefs, les mêmes que ceux qui avaient amené Damiba au pouvoir en janvier dernier: l’armée insuffisamment dotée, mal utilisée, les garnisons qui ne sont pas relevées, pas de vision stratégique et des morts. Les événements qui ont provoqué le putsch en janvier dernier, c’est une attaque perpétrée deux moins plus tôt par AQMI, al-Qaïda au Maghreb islamique, à Inata, au Nord du pays, tuant une cinquantaine de gendarmes burkinabés, puis une autre attaque, quelques jours avant le putsch, commise cette fois par l’Etat islamique contre une patrouille.
AQMI et l’Etat islamique opèrent tous deux au Burkina Faso?
La dernière goutte d’eau qui a fait déborder le vase, amenant au putsch de vendredi dernier, c’est une attaque, le 26 septembre, contre un convoi, qui a fait au moins 50 morts parmi les militaires, les civils et les VDP (réd: volontaires pour la défense de la patrie, supplétifs de l’armée burkinabé).
Vendredi, la France est apparue dans le collimateur des putschistes. Des civils s’en sont pris le lendemain à l’ambassade de France et à l’Institut de France à Ouagadougou. Pourquoi?
Je ne dirais pas que la France est dans le collimateur de la junte, pour la raison que la junte actuelle est la même que celle de janvier. Mais il y a dans la population un sentiment anti-français sur lequel s’est appuyé le capitaine Traoré dans un premier temps pour mobiliser des civils. Des rumeurs avaient circulé, selon lesquelles le lieutenant-colonel Damiba avait trouvé refuge dans l’ambassade de France pour échapper au putsch. C’est le capitaine Traoré, une fois son putsch réussi, qui a appelé au calme et démenti les rumeurs.
On a tout de même l’impression que ce sentiment anti-français se propage comme une traînée de poudre au Sahel.
Il est trop tôt pour dire si on assiste à un retournement complet en défaveur de la France au Burkina Faso. Comme cela s’est produit au Mali, avec le départ de la force française Barkhane, après neuf ans de lutte contre la présence djihadiste dans ce pays.
Comment les Russes travaillent-ils l’opinion burkinabé?
Par les réseaux sociaux et les médias. Le Burkina Faso arrive dans le top 3 des meilleures audiences de Russia Today et de Sputnik en français. On a vu beaucoup de drapeaux russes brandis par des partisans du putsch du capitaine Traoré. Mais il ne faut pas oublier qu’il y a un terreau assez fertile à la base.
Lequel?
Cela tourne autour du passé colonial de la France et de son engagement militaire au Sahel contre le djihadisme. Nombreux sont ceux qui pensent que la France a joué un rôle dans l'assassinat, en 1987 à Ouagadougou, du héros Thomas Sankara, un capitaine qu'avait remplacé au pouvoir Blaise Compaoré. Encore une fois, tout, dans la situation présente, est assez paradoxal et contradictoire. Les gens ne comprennent pas pourquoi un pays comme la France, cinquième puissance militaire mondiale, ne parvient pas à mettre un terme ou à endiguer la menace terroriste, qui ne cesse de gonfler. Et puis, il y a les vieux griefs, en partie fantasmés, contre la France puissance coloniale.
C’est ce qui explique que les gens, à Ouagadougou, n’ont pas eu peur, ces derniers mois, de s’attaquer à des entreprises ou représentations françaises, d’arrêter par deux fois des convois de Barkhane, au Burkina Faso, puis au Niger, pour en ouvrir des containers.
A l'inverse, comment sont vus les Russes?
Les Russes ne parviennent pas à éradiquer le djihadisme au Mali?
Non, ils n’y arrivent pas. Et même pas du tout. Depuis leur engagement, le problème du djihadisme n’a cessé de grossir. D’autant plus que la puissance aérienne, jusqu’alors assurée par la chasse française, a été ôtée. Ce qui a donné bien plus de liberté de mouvement aux groupes djihadistes, que ce soit al-Qaïda ou l’Etat islamique, lequel bénéficie d’un rayon d’action inédit. En ce qui concerne al-Qaïda, l’organisation n’a jamais autant recruté dans le centre du Mali que depuis l’engagement russe, parce que ce dernier s’est accompagné de massacres.
Justement, est-ce que les opinions ne sont pas prêtes à fermer les yeux sur ces exactions russes, si les Russes apparaissent plus déterminés à lutter contre les djihadistes?
Il est possible que certains soient de cet avis. Mais ce sont sûrement les mêmes qui ne cessent de ressasser la dizaine de bavures survenues durant les dix ans de présence de la France au Mali. Il y a là une contradiction. On ne peut pas ressasser ces bavures-là et regretter que la France n’y aille pas assez fort, sous-entendu, pas aussi fort que les Russes. Tout ici est de l’ordre de la perception.
Qu’est-ce qui s’est passé en moins de dix ans au Mali? En 2013, François Hollande est accueilli à Bamako tel le sauveur face aux colonnes djihadistes descendant du Nord vers la capitale. En 2022, la France est renvoyée comme une malpropre.
C’est là un résumé des contradictions locales. La France est perçue à la fois comme la force salvatrice et comme le grand marionnettiste. Alors que dans les faits, ce n’est pas du tout le cas. Il ne reste plus rien de ce legs colonial.
Lorsque l’ambassade de France a été attaquée le week-end dernier à Ouagadougou, les forces spéciales françaises présentes au Burkina Faso n’ont même pas fait voler des petits drones pour survoler les foules, pour qu’on ne puisse pas dire que la France est impliquée d’une façon ou d’une autre dans les événements qui se sont produits.
Comment voyez-vous évoluer la situation au Burkina Faso?