C'est une première: l'Allemagne a honoré dimanche 15 juin ses soldats lors d'un «Jour des vétérans» visant à améliorer l'image de l'armée dans un pays marqué par le pacifisme, et où le débat est vif sur un éventuel retour du service militaire obligatoire.
Reichstag en accès libre, concert gratuit sur une scène en plein air, food trucks de cuisines du monde entier, jeux pour enfants... A Berlin, autour du bâtiment qui symbolise la démocratie allemande, l'armée allemande, la Bundeswehr, n'a pas lésiné sur les moyens pour se montrer sous son plus beau jour.
Avec des stands dédiés au suivi post-traumatique des troupes et la mise en avant de «gueules cassées», les risques inhérents aux terrains de guerre ne sont pas pour autant cachés.
Grièvement blessé en 2010 dans une embuscade à Kunduz, en Afghanistan, qui avait fait trois morts chez les parachutistes allemands et lui a laissé le bras gauche paralysé, Maik Mutschke, 39 ans, estime qu'il y a aujourd'hui «plus d'encouragement pour nous les soldats» dans la population.
«Depuis trois ou quatre ans», cette reconnaissance «s'est accélérée», assure Jens Ruths, qui a lui perdu l'usage d'une jambe en marchant sur une mine au Kosovo, en 1999.
Alors qu'«il y a 20 ans, on se faisait mal voir en uniforme», désormais, «les chauffeurs de taxi et les gens rencontrés dans la rue nous remercient plus qu'avant», dit cet homme de 47 ans.
Dédié aux soldats actuels comme aux vétérans proprement dits, ce premier «Veteran Day» allemand, basé sur le modèle américain, devait «renforcer le lien entre l'armée et la société» allemandes.
«Un pays découvre son armée», souligne le quotidien régional Kölner Stadt-Anzeiger, pour qui «cette première inaugure une ère nouvelle».
Profondément pacifiste depuis les atrocités de la Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne a longtemps sous-financé sa défense, s'en remettant à la puissance américaine au sein de l'Otan.
Viktoria Zieger, une civile venue avec son mari et ses deux enfants, explique:
Mais avec le conflit en Ukraine, «la guerre se rapproche. Et les gens réalisent naturellement qu'ils ont besoin d'une armée», abonde Petra Muhl, une ancienne militaire de 46 ans.
Après une première hausse sensible du budget de la Défense sous le mandat de son prédécesseur social-démocrate (SPD) Olaf Scholz, le chancelier conservateur Friedrich Merz est allé encore plus loin en décidant de supprimer les limites d'endettement pour les dépenses militaires.
Il dit vouloir doter l'Allemagne de «l'armée conventionnelle la plus puissante d'Europe». Mais la Bundeswehr, qui espère porter ses effectifs à 203 000 soldats d'ici 2031, contre 181 000 actuellement, peine à recruter.
Le ministre de la Défense Boris Pistorius a récemment parlé d'un besoin de 50 000 à 60 000 nouveaux soldats dans les années à venir.
Le Jour des vétérans peut «motiver des personnes (...) à devenir réservistes ou à s'engager comme soldat», souligne Anna-Maria Jeremic, une réserviste de 21 ans.
Mais cela ne suffira pas et les voix d'élus, du camp conservateur notamment, réclamant un retour du service militaire obligatoire, supprimé à partir de 2011, se font de plus en plus entendre.
Alors qu'une relance du service militaire sur une base volontaire est en cours, le quotidien économique Handelsblatt a récemment révélé qu'un projet de loi est en chantier, ouvrant la voie, si les objectifs ne devaient pas être atteints, à un vote du Bundestag pour rétablir la conscription.
Boris Pistorius n'a pas confirmé ce plan, soulignant que l'armée n'avait «pas encore les infrastructures nécessaires» pour accueillir autant de jeunes majeurs chaque année.
Mais «nous réagirons immédiatement en conséquence» si l'appel aux volontaires «ne réussit pas», a-t-il aussi dit.
Preuve que le tournant militaire de l'Allemagne bouleverse la culture politique du pays, les tenants de l'aile pacifiste du SPD, dont un ancien président du parti, ont publié la semaine dernière un «manifeste» fustigeant une «rhétorique militaire alarmiste» du gouvernement et préconisant le dialogue avec la Russie.
Une fronde dénoncée comme un «déni de réalité» par le ministre Boris Pistorius, également membre du SPD et l'une des personnalités politiques préférées des Allemands.