International
Interview

«Chaque heure, CNews foule au pied les principes du pluralisme»

Pascal Praud, figure emblématique de CNews.
Pascal Praud, figure emblématique de CNews.image: capture
Interview

«Chaque heure, CNews foule aux pieds les principes du pluralisme»

Le 13 février, le Conseil d'Etat français a décidé d'obliger les télés et radios à faire preuve de pluralisme, la chaîne CNews se sentant particulièrement visée. La liberté d'expression est-elle en danger? Historien spécialiste des médias, Alexis Lévrier a répondu aux questions de watson.
15.02.2024, 18:4915.02.2024, 21:22
Plus de «International»

D’où vient l’injonction faite par le Conseil d’Etat aux télévisions et radios de respecter un certain pluralisme, la polémique portant ces jours-ci sur CNews?
Alexis Lévrier: Cela date d’une loi de 1986, qui fixe les objectifs généraux du pluralisme. A l’époque, le CSA, le gendarme de l’audiovisuel, a interprété de manière très restrictive ces objectifs, estimant que la liberté d’expression doit primer. L’Arcom, le successeur du CSA, a repris cette interprétation. Il a choisi de ne comptabiliser que les personnalités politiques, des gens encartés, des élus. Cela signifie, en période non-électorale, des temps de parole répartis de la façon suivante: un tiers pour l’exécutif, deux tiers pour les autres partis, l’égalité étant plus réelle en période électorale. Les invités, artistes, sportifs ou sociologues, les chroniqueurs et naturellement les journalistes ne sont pas comptabilisés dans la mesure du pluralisme.

Qu'est-ce qui change à présent?
Le Conseil d’Etat, la juridiction suprême de l'ordre administratif en France, somme l’Arcom de ne pas simplement décompter les politiques, mais aussi tous les chroniqueurs et invités dont le positionnement politique est manifeste. Le Conseil d’Etat charge l’Arcom de mettre en place des outils pour les six mois qui viennent pour pouvoir comptabiliser cette parole-là.

Comment en est-on arrivé à cette décision du Conseil d'Etat?
En avril 2022, la campagne présidentielle touchant à son terme, Christophe Deloire, le secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), déposait un recours au Conseil d'Etat. Sa requête dénonçait l'absence de pluralisme sur CNews et demandait que l'Arcom y remédie. Il estimait que l'Arcom ne faisait pas son travail de régulateur à l'endroit de la chaîne du groupe Bolloré.

Où voulait en venir Christophe Deloire?
La logique du président de l’Arcom, Roch-Olivier Maistre, c’est de défendre uniquement la liberté d’expression. Selon Christophe Deloire, cette autorité de régulation refuse de jouer son rôle de régulateur, au nom de cette même liberté. L’Arcom se fonde sur l’article 11 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui affirme que «la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme». D’ailleurs, en février 2013, devant les étudiants de Science-Po, se référant à la communication fournie tous les mois par la chaîne sur les temps de parole des personnalités politiques, il avait dit que CNews respectait «strictement le pluralisme politique».

CNews, dont on connaît le positionnement identitaire, a vivement réagi, affirmant être la véritable cible de la décision du Conseil d’Etat, en tout cas de Christophe Deloire. Invité sur le plateau de la star de la chaîne, Pascal Praud, le secrétaire général de RSF a affirmé que «CNews passe son temps à tester le système démocratique». Etes-vous d’accord avec cette affirmation?

«Oui, et la manière dont CNews réagit à la décision du Conseil d’Etat, faisant croire qu’elle ne vise qu’elle, montre à quel point ce que Christophe Deloire a dit est vrai»

Contrairement à ce que prétend la chaîne du groupe Bolloré, elle n’est pas la seule visée. Toutes les chaînes de télévision et de radios du canal hertzien le sont, même si, à l’origine, le recours portait, il est vrai, sur la question du pluralisme à CNews.

RSF visait pourtant bien CNews seule...
Oui, mais ce qui compte, c’est la réponse du Conseil d’Etat.

La démarche, au départ, de Christophe Deloire peut paraître un peu étrange. La ligne éditoriale de CNews, on ne la retrouve pas sur d’autres chaînes. C’est la liberté que d’avoir dans un pays démocratique une chaîne dont les opinions n’ont pas droit de cité ailleurs, ne trouvez-vous pas?
Non, ce n’est pas ainsi qu’il faut prendre le problème. Non seulement la loi de 1986 oblige les chaînes à faire preuve de pluralisme, mais ces chaînes doivent aussi veiller, selon d’autres lois garantissant et encadrant la liberté de la presse, à ne pas propager des discours d’incitation à la haine raciale. CNews s’abrite toujours derrière «l’esprit Charlie». Or «l’esprit Charlie», c’est l’esprit de la loi qui dit qu’on peut critiquer les religions. Il n’y a nulle part dans les lois françaises le droit d’attaquer les pratiquants. Tout le monde est tenu à cela sur les chaînes, pas seulement les journalistes. Or CNews a plusieurs fois dérapé à ce propos.

Mais pourquoi l'Etat met-il son nez dans l'audiovisuel privé?
Toutes les télés et radios signent des conventions avec l’Etat. Les fréquences n’appartiennent pas aux patrons des télés et radios. On ne peut pas dire n’importe quoi sur une chaîne, ce n’est pas un média écrit tenu par un actionnaire privé. Première règle, CNews, comme LCI ou BFMTV, est une chaîne d’information et pas d’opinion. Notons que RSF n’a pas gagné sur ce point devant le Conseil d’Etat, qui n’a pas souhaité entrer en matière sur la distinction entre opinion et information, laissant cela à l'Arcom, alors que, selon RSF, sur une séquence d’une heure, CNews ne diffuse que 13% d’information. Mais la convention dit bien, elle, que les chaînes doivent lutter contre les discriminations, prendre en compte les paroles des minorités et doivent avoir des plateaux équilibrés, notamment en termes d’hommes et de femmes.

«Chaque heure, CNews foule au pied les principes de cette convention. Le Conseil d’Etat a simplement dit à l’Arcom qu’elle doit jouer son rôle»

On entend certes des propos essentialisants sur CNews, mais on ne peut pas dire qu’ils sont la majorité des prises de paroles. Une parole orientée idéologiquement n’est pas nécessairement une parole essentialisante, autrement dit réduisant des groupes de personnes à des appartenances, non?
Ecoutez, cela faisait 20 ans qu’on n’entendait plus Renaud Camus dans les médias. Rappelons que sa théorie du grand remplacement a servi de caution à plusieurs attentats antimusulmans dans le monde. Or il a eu le 31 octobre 2021 l’occasion de dérouler pendant une heure sur CNews son argumentaire sur le grand remplacement. Il a parlé de «génocide par substitution». On avait là un propos, on ne peut plus essentialisant. Il a ouvert les vannes.

«A partir de là, tout ou presque de la campagne présidentielle d’Eric Zemmour s’est faite sur le thème du grand remplacement. Même la candidate de la droite Valérie Pécresse a repris ce thème. Les fondamentaux de CNews, c’est identité, immigration, islam»

Vous voulez tuer CNews?
Non. Il y a aujourd’hui un flou, sur la plupart des chaînes, pas seulement sur CNews, entre éditorialiste et journaliste. Il ne s’agit pas d’interdire la parole, mais de la situer. C’est pour cela que la décision du Conseil d’Etat, en l’étendant à toute les chaînes, est excellente. Cela va permettre d’y voir plus clair dans un paysage qui n’a plus rien à voir avec l’époque d’entrée en vigueur de la loi, en 1986.

Les invités et chroniqueurs devront faire connaître à l’Arcom leur profile idéologique, c'est un peu curieux, comme procédé.
Le Conseil d’Etat charge l’Arcom de définir des outils de mesure. Il ne faut pas que ce soit une usine à gaz et il faut préserver la liberté d’expression, évidemment. A ma connaissance, les journalistes ne seront pas concernés, ce qui est très bien, car les journalistes ont un rôle spécifique. On a peut-être là un moyen de rendre au journalisme sa valeur historique. Par exemple, il y a sur CNews une émission autour de Philippe de Villiers, un ancien élu de la droite traditionnelle dont le temps de parole n’était pas jusqu’ici décompté, ce qui est une totale absurdité. Cela devrait changer.

«A l’Arcom de définir quand on cesse d’être un militant politique»

Si tout cela a pour but d'éviter l’arrivée du Rassemblement national au pouvoir, n’est-ce pas s’illusionner? Ce n’est pas tant un média que des dynamiques structurelle et profondes, sur la durée, qui feraient la victoire du RN, non?
Je ne crois pas à cela. Les médias comptent dans la formation de l’opinion. Chaque fois que l’extrême droite est arrivée au pouvoir, c’est parce que des médias se sont structurés pour le permettre. Nous vivons une époque – bien sûr il faut se méfier des parallèles historiques – qui rappelle beaucoup les années 1930, y compris dans la manière dont on brandit la liberté d’expression pour dire que ce qui est inquiétant n'est au fond pas grave. Les ligues fascistes, à l’époque, étaient elles-mêmes adossées à des journaux.

«La façon dont le groupe Bolloré réagit après cette décision du Conseil d’Etat, qui n’a rien à voir avec ce qui en est dit, c’est tout à fait similaire à la manière dont l’extrême droite médiatique a réagi au décret du ministre de la Justice Marchandeau d’avril 1939»

Que combattait ce décret?
Cette année-là, la folie antisémite et antirépublicaine, relayée par des journaux, était à son comble. Le décret Marchandeau interdisait la xénophobie et en particulier l’incitation à la haine antisémite dans les journaux. Il luttait aussi conte les financements venus de l’étranger, parce que beaucoup de ces journaux étaient financés par l’Allemagne. Les journaux visés n’ont eu de cesse de combattre ce décret. Le journal antisémite Je suis partout avait écrit: «Je suis partout rappelle à ses lecteurs que la presse n’est plus libre». Darquier de Pellepoix, futur commissaire général aux questions juives, avait écrit dans La France enchaînée: «Aujourd’hui commence une bataille pour la liberté», du Pascal Praud dans le texte, que je n’accuse pas ici d’antisémitisme, mais dont les réactions outrées participent de ce mauvais climat.

«C’est toujours comme ça avec l’extrême droite: quand elle n’est pas au pouvoir, elle hurle à la censure, et quand elle est au pouvoir, on apprend ce qu’est la censure»

Parlons de France Inter, la première radio de France décrite comme penchant à gauche par ses détracteurs. Elle va peut-être devoir aussi se poser des questions sur son pluralisme, ne pensez-vous pas?
C’est pour cela qu’il faut se réjouir, quel que soit son bord politique, de la décision du Conseil d'Etat qui va obliger l’ensemble des médias audiovisuels à réguler mieux les prises de parole et à en finir avec une certaine hypocrisie.

Ce joueur de hand a réussi un truc de fou
Video: watson
9 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
9
«La situation s'est détériorée»: Poutine cherche un trophée
La situation sur le front dans la région de Donetsk devient de plus en plus désastreuse pour l'Ukraine. Une offensive majeure de la Russie pourrait être imminente.

Il a eu une chance incroyable. Un soldat ukrainien a apparemment été pris dans une pluie d'attaques russes dans le village de Berdychi, dans la région de Donetsk. Sur un terrain sillonné de cratères de bombes, il errait. C'est alors qu'il aperçoit un drone piloté par un soldat de la 47e brigade mécanisée de l'armée ukrainienne. Avec son aide, le soldat zigzague sur le champ de bataille et atteint finalement ses propres lignes. C'est ce que montrent des images publiées par l'armée ukrainienne.

L’article