Elle est arrivée avec sa petite valise, mais a fait grande impression. Agnès Buzyn, ancienne ministre française de la Santé (2017-2020) était l'invitée du Chuv pour présenter son livre intitulé Journal Janvier-juin 2020. Souriante, accessible et visiblement enchantée par l'accueil, la professeure en hématologie et ex-ministre se dit ravie de se présenter devant ses paires.
Le ton est donné. Devant une vingtaine de personnes provenant en majorité du secteur de la santé, Agnès Buzyn dévoilera durant 1h30 les coulisses de la gestion du Covid-19 et racontera surtout son vécu.
«Le journal que j'ai écrit est un témoignage, une sorte de testament du médecin que je suis, mais aussi un retour d'expérience», explique l'ancienne ministre.
Agnès Buzyn est en terrain conquis, elle est en confiance devant ses pairs, elle explique qu'elle a vu arriver la crise Covid de janvier 2020 et qu'elle y était préparée, non seulement, en tant que ministre, mais aussi en tant que médecin. Mais comment explique-t-elle les reproches sur sa gestion de l'épidémie allant jusqu'à sa mise en examen auprès de la Cour de justice de la République?
L'ancienne ministre raconte les alertes données au plus haut niveau de l'Etat français, comme ce 8 février 2020 lorsque le président Emmanuel Macron l'appelle et qu'elle lui fait part de son «pressentiment». On lui dira par la suite que son ton alarmiste sur la propagation du Covid-19 «a fait peur au président».
Agnès Buzyn décrit et martèle qu'elle a prévenu le plus tôt possible le premier ministre de l'époque et le président Macron des dangers du Covid-19, sans succès.
Au Chuv, la parole est claire et directe, Agnès Buzyn dévoile les rouages du pouvoir, les décisions urgentes, les coups de fil et les messages échangés avec les membres de son cabinet, les coulisses décrits dans ce «journal de bord» nous interpellent. Elle semble bien seule cette ministre de la Santé confrontée à une épidémie exceptionnelle qui a provoqué une crise sanitaire historique. Elle décrit la violence des médias français à son égard «j'ai été traînée dans la boue» dit-elle avec un regard marqué:
L'assemblée écoute attentivement, comme hypnotisée par ses paroles, quelques sourires apparaissent lorsqu'elle évoque «la folie de l'azithromycine du professeur Raoult», médicament qu'elle juge non seulement «inefficace», mais dont «les effets secondaires peuvent être dangereux» pour certains malades.
L'ancienne ministre explique qu'elle est couramment insultée sur les réseaux sociaux par certains partisans de Raoult et que trois ans plus tard, elle bénéficie toujours d'une protection policière à cause de leurs menaces. Le récit de cette période tumultueuse surprend les acteurs de la santé réunis au Chuv. Philippe Eckert, son directeur durant la période Covid nous glissera qu'à son échelle, il n'a jamais eu cette impression de solitude du pouvoir que décrit Agnès Buzyn. «Durant cette crise, au Chuv nous nous sommes mis en ordre de marche, c'était un travail collectif», il poursuit:
Et c'est bien l'impression qui ressort de cette conférence-débat au Chuv, Agnès Buzyn, seule contre tous veut expliquer qu'elle n'est pas responsable du chaos dans les hôpitaux français engendré par la crise, qu'elle était la première à s'enquérir de l'état du stock des masques, la première à alerter l'Europe sur l'épidémie. Elle tient à le rappeler de nombreuses fois. Pourtant, dans l'assemblée, personne ne la juge, les spectateurs souhaitent simplement connaître son retour d'expérience. Habituée à être critiquée, voire harcelée par les médias de l'hexagone, cette bienveillance semble parfois l'étonner.
Nommée par Emmanuel Macron à la Cour des comptes, à l'automne 2022, l'ancienne ministre se dit nostalgique de notre pays. Le temps d'une brève dédicace, nous lui demandons ce qu'elle a pensé du traitement médiatique du covid par les médias helvétiques. «J'ai trouvé que la presse suisse a été plus mesurée que les médias français, elle n'a pas cherché à alimenter les polémiques et elle est moins idéologiquement marquée». La Suisse, un refuge pour les anciens ministre français, il n'y a qu'un pas.