Philippe Zuberbuhler, votre équipe vient de sortir une personne des décombres. Pouvez-vous nous raconter cela?
Après plus de 25 heures de travail non-stop, nous avons réussi à sortir un jeune homme qui était resté coincé dans son immeuble. Il s'y était rendu mardi pour récupérer des habits, quand le bâtiment s'est soudainement écroulé, lors de la deuxième réplique. Il s'agissait d'une tour de huit étages, et l'homme se trouvait au septième au moment de la secousse. Il est donc resté coincé au milieu du bâtiment.
Comment les opérations se sont-elles déroulées?
Nous avons commencé les opérations hier (jeudi) matin. Nous avons eu à peine le temps de nous enregistrer qu'on nous appelait déjà: le jeune homme coincé sous les décombres avait envoyé des SMS à sa famille. Nous avons envoyé le chien, qui a senti quelque chose au milieu de l'immeuble effondré. Le problème, c'était qu'il n'y avait pas de signes de vie, ni d'autres SMS.
Comment avez-vous procédé?
Nous avons creusé très lentement, en tapant avec de petits marteaux jusqu'à 5 heures du soir. A ce moment, il a fallu prendre une décision critique: si on attendait davantage, l'homme risquait de succomber. Il fallait y aller à la pelle mécanique. Elle permet d'avancer beaucoup plus rapidement, mais elle est dangereuse, car elle risque de tuer la victime. C'est une intervention de la dernière chance.
Qu'avez-vous alors fait?
Avant d'utiliser la pelle, nous procédons toujours à un dernier essai. Avec un pompier turc, j'ai pénétré dans le tunnel d'environ trois mètres que mon équipe avait creusé dans le bâtiment effondré. Une fois arrivés tout au bout, nous avons crié très fort son nom. Et là, il a donné ses premiers signes de vie, en tapant sur la dalle de béton.
Nous avons pu communiquer avec lui, lui poser des questions. Il s'agit toujours de questions fermées, pour qu'il parle le moins possible. Et ensuite, vers 18 heures, nous avons enfin pu le voir, à travers un petit trou.
Et après?
Ce n'était pas encore fini, car il devait encore libérer ses jambes, coincées sous les décombres. Problème: il a dû le faire lui-même, ce qui lui a pris quatre heures. Il n'y avait pas de place pour qu'on entre l'aider.
Sortir une personne vivante après tout ce temps est-il habituel?
C'est extraordinaire, surtout après trois jours dans le froid - il fait -15°C sur place. De plus, il n'avait rien à boire et il a dû travailler lui-même pour sortir. Son physique sportif et sa soif de vie l'ont sauvé. Maintenant, il se porte bien, même s'il est extrêmement faible. Physiquement parlant, il se remettra, mais moralement, cela risque d'être plus compliqué. Les personnes dans sa situation souffrent souvent du syndrome du mineur.
Cette découverte vous a-t-elle surpris?
Il y a toujours des miracles dans les tremblements de terre. Ça peut arriver qu'une personne soit sortie vivante après neuf jours, mais cela dépend de beaucoup d'éléments. La victime doit disposer d'assez d'air, qui doit également pouvoir se renouveler, et doit être capable de s'hydrater, par exemple avec de l'humidité. Mais après trois jours, ça dépend surtout de la condition de la personne.
Comment gère-t-on les émotions dans ce type de situation?
Quand on est dans l'action, il n'y a pas beaucoup de place pour l'émotion. Les personnes qui creusent ne vont jamais abandonner, elles continuent jusqu'au moment où elles retrouvent le corps. Nous prenons les décisions à l'arrière, toujours en se basant sur les conseils des secouristes. Mais la décision finale nous appartient, c'est nous qui décidons de nous arrêter: ce faisant, nous enlevons la responsabilité aux personnes en première ligne.
Qu'allez-vous faire maintenant?
Nous allons rentrer en Suisse. Comme nous sommes dans une mission à succès, c'est plus facile de débriefer. Quand la mission se solde par un échec, c'est plus difficile. Mais il est important de faire sortir rapidement une partie de l'émotion. D'autant plus au vu du fait que nous sommes tous des volontaires.