Le nouveau chef de la diplomatie américaine, Marco Rubio, a promis mercredi à Israël un «soutien inébranlable». Est-ce la confirmation du traditionnel soutien des Etats-Unis à Israël ou faut-il y voir un pas de plus?
David Rigoulet-Roze: Théoriquement, c’est susceptible d'aller encore plus loin, parce que le soutien ne s'est jamais démenti de la part de Joe Biden.
Compte tenu des décisions qui avaient été prises par ce dernier dans son premier mandat (2017-2021), tel que le transfert de l’ambassade des Etats-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem décidé en décembre 2017 et devenu effectif en août 2020, ou encore la reconnaissance de la souveraineté d'Israël sur le Golan annoncée en mars 2019, le premier ministre israélien pensait que le soutien était plus assuré avec Donald Trump. C’est de fait ce que l'on peut percevoir dans la déclaration de Marco Rubio, d’autant plus que toutes les nominations faites par Donald Trump II sont celles de personnalités qui s’affichent comme des défenseurs indéfectibles d’Israël et de sa sécurité, qu'il s'agisse de Mike Waltz, nouveau conseiller à la sécurité nationale du président Donald Trump, d'Elise Stefanik, nouvelle ambassadrice américaine à l'ONU, sans parler de Mike Huckabee, nouvel ambassadeur américain à Jérusalem, soutien déclaré de la colonisation en Cisjordanie.
Le classement, par décret de Donald Trump, des rebelles houthis comme organisation terroriste étrangère, s’inscrit-il dans cette logique du pas supplémentaire dans le soutien à Israël?
Donald Trump reprend là ce qu’il avait déjà décidé en toute fin de son premier mandat, soit mi-janvier 2021. Joe Biden avait momentanément annulé cette décision au tout début de son mandat, soit en février 2021, en espérant amender le comportement des Houthis, ce qui n’a malheureusement pas été le cas. Si bien que l’administration Biden avait finalement remis les Houthis sur la blacklist en janvier 2024. Il y a donc un blacklistage des Houthis reconfirmé par les deux administrations, a fortiori compte tenu de ce qu'il s’est passé depuis les massacres du Hamas du 7 octobre 2023 et de leur activisme militaire – notamment dans sa modalité balistique – en solidarité avec le Hamas à Gaza.
Le «soutien inébranlable» de l’administration américaine à Israël est-il une manière de signifier que l’accord de cessez-le-feu imposé par Trump à Netanyahou ne remet nullement en cause les liens forts qui unissent les Etats-Unis et l’Etat hébreu?
Assurément, mais cela n'exclue pas des ajustements en fonction des circonstances. La confirmation de ce soutien a pris récemment de nouvelles formes. La décision concernant les rebelles Houthis, on l’a vu. Mais il y a surtout la décision de Donald Trump de revenir sur les sanctions prises en février 2024 contre des colons extrémistes.
A ce propos, Israël mène actuellement une offensive «antiterroriste» à Jénine, en Cisjordanie. Par ailleurs, ces derniers jours, des colons israéliens ont commis des exactions, notamment en incendiant des biens de Palestiniens. Les violences des colons à l’égard des Palestiniens n’ont-elles pas vocation à s’accentuer?
Cela peut conforter aussi des «faucons» israéliens comme Israël Katz, l’actuel ministre de la Défense, engagé dans une opération appelée Khomat Barzel («Mur d'acier») en Cisjordanie, au motif que la Cisjordanie, qualifiée de la terminologie biblique de Judée-Samarie, serait un nouveau théâtre de l'affrontement global régional conceptualisé stratégiquement sur «sept fronts» par Israël: d’abord le Hamas à Gaza, puis contre le Hezbollah au Liban, contre les mandataires pro-iraniens dans ce qui fut la Syrie pro-iranienne de Bachar al-Assad ainsi qu’en Irak, contre les Houthis au Yémen, mais aussi désormais en Cisjordanie, nouveau «front» mobilisé par le véritable ultime «front» constitué par la République islamique d’Iran.
Est-ce le cas?
Ce n’est pas tout à fait faux, puisque les Iraniens seraient en train de se focaliser sur la Cisjordanie pour y projeter la confrontation jusqu’alors centrée sur Gaza. Cela justifie d’autant plus, du point de vue des faucons israéliens, la stratégie sécuritaire menée. Quant aux exactions des colons – commises après l'attentat terroriste perpétré dans le village d'al-Fundunq contre un bus israélien qui avait fait 3 morts et 7 blessés –, notamment celles contre le village palestinien de Jinsafut, elles sont devenues si inquiétantes qu’un policier israélien s'est retrouvé contraint de tirer sur des colons en en blessant deux grièvement. Des soldats deTsahal auraient même reçu des jets de pierres de colons survoltés. Même le ministre de la Défense, Israël Katz, pourtant un «faucon déclaré», a considéré que la loi israélienne devait valoir pour tout le monde, jugeant intolérable que les forces de l’ordre puissent être visées par des membres de leur propre population.
Pourquoi?
Parce que le président américain veut favoriser une dynamique de «pacification» régionale et qu'il souhaite pour cela que l’Arabie Saoudite insère le processus initié durant son premier mandat dans le cadre des accords d'Abraham déjà signés en septembre 2020 entre Israël et les Emirats arabes unis ainsi que Bahreïn, ce qui ne sera pas possible dans ces conditions délétères.
Sitôt les trois femmes otages israéliennes libérées, le 19 janvier, une bataille des images a éclaté sur les réseaux sociaux. Côté israélien, on a affirmé que les images montrant des combattants du Hamas et une foule en apparente bonne santé revendiquant la victoire, invalidaient les accusations de génocide. Côté palestinien, on a dit que les trois otages israéliennes étaient en meilleure forme que certains des 90 prisonniers, en majorité des femmes et des adolescents, libérés au même moment par Israël. Cette guerre des images peut-elle peser dans la donne diplomatique?
Cela peut compter, mais de manière relative. Chacun se doute que les conditions de détention des trois otages israéliennes ont dû être terribles
Les prisonniers palestiniens libérés par Israël ont, pour leur part, évoqué des conditions de détention indignes éventuellement susceptibles d’être étayées ultérieurement. Mais la guerre de communication s’est surtout jouée sur le terrain à Gaza avec les conséquences tragiques de la guerre tout court pour la population civile gazaouie, conséquences largement relayées par le Hamas vis-à-vis de l’extérieur pour tenter de disqualifier la légitimité de l’opération militaire israélienne initiée après l’attaque terroriste du 7 octobre 2023 perpétrée par ce même Hamas.