A qui attribuer la paternité de l’accord de trêve conclu mercredi entre Israël et la Hamas?
Dominique Moïsi: Il y a une double paternité. L’administration Biden et le président élu Donald Trump. Peut-être même une triple paternité, à savoir l’équilibre des forces sur le terrain, qui joue au détriment de l’Iran et de ses alliés que sont le Hamas à Gaza, le Hezbollah au Liban, les Houthis au Yémen, sans parler du régime d’Al-Assad tombé en Syrie.
Les buts de guerre d’Israël – rendre à jamais impossible la répétition du 7-Octobre à partir de la bande de Gaza – sont-ils atteints?
Israël a subi un choc terrible le 7-Octobre, qui est lié à la surprise, produite elle-même de l’hubris d’Israël, qui ne pensait pas que le Hamas oserait l'attaquer. Mais Israël a rétabli sa dissuasion stratégique à un coût très élevé pour les populations civiles palestiniennes, sinon libanaises, et à un coût très élevé pour la position diplomatique d’Israël dans le monde, qui s’est considérablement isolé. Israël, après cette défaite terrible le 7-Octobre, ses victoires successives depuis, se retrouve avec une situation qui, fondamentalement, n’a pas changé.
C’est-à-dire?
Israël doit négocier avec ce qui reste du Hamas, doit libérer des prisonniers palestiniens qui ont du sang sur les mains et il doit céder aux pressions de son principal allié, l’Amérique de Trump, dans des conditions qui, en fait, étaient celles d’un accord qui aurait été possible en mai déjà, il y a plus de six mois.
Ce qui explique l’attitude mitigée des Israéliens à l’égard d’un accord qui demeure extraordinairement complexe, comme peut l’être l’ensemble du conflit israélo-palestinien.
Que pensez-vous des accusations de génocide visant Israël pour sa guerre à Gaza?
Il y a eu des crimes de guerre commis de part et d’autre. Un crime contre l’humanité imputable au Hamas le 7-Octobre, des actes qui peuvent s’apparenter au génocide du côté israélien. Ce sera à la justice et à l’Histoire d’en décider demain.
Pourquoi Benyamin Netanyahou donne-t-il l’impression de plier face à Trump en acceptant cet accord de trêve qu’il repoussait jusqu’ici?
Parce qu’il a le sentiment qu’il n’a pas le choix. Parce qu’il n’a pas l’intention de se mettre à dos son principal allié et son principal partenaire. Pour comprendre le «ralliement» de Netanyahou à la solution qui était celle déjà de Biden hier, il faut sans doute revenir à la conférence de presse qu’a tenue le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken le 14 janvier et dans laquelle il disait deux choses.
Plus encore, Blinken disait qu’Israël doit abandonner le mythe selon lequel il peut continuer des annexions de facto de territoires palestiniens sans un coup et des conséquences pour sa démocratie.
Qu’en sera-t-il avec Trump?
Justement, Netanyahou est conscient du fait que le propos de Blinken, en particulier celui relatif aux annexions de facto de territoires palestiniens, ne serait pas tenu par Trump, qui se soucie peu de démocratie et de droits de l’homme, et qui sera peut-être un allié plus dur aujourd’hui, mais plus compréhensif demain, en particulier sur le traitement de la question iranienne et, à l’intérieur de cela, sur la question du nucléaire iranien. Voilà le pari que fait Netanyahou. Un pari un peu amer, parce qu’au fond, Israël a réalisé des exploits technologiques. On l’a vu contre le Hezbollah au Liban, dans la destruction de la protection des bases nucléaires iraniennes en Iran.
En revient-on aujourd’hui au statu quo ante des accords d’Abraham qui, en 2020, normalisaient l’existence d’Israël auprès d’Etats du Golfe, sans que cela suppose au préalable le retrait d’Israël des territoires occupés? Ou alors, avec le lourd bilan des morts de la guerre à Gaza, se dirige-t-on vers la création d’un Etat palestinien aux côtés d’Israël?
Donc on va rester dans le flou ou dans l’ambiguïté. Il convient de se réjouir avec la plus grande prudence de l’accord intervenu mercredi 15 janvier. Parce que la trêve ne règle rien sur le fond, mais elle met peut-être fin au pire, ne serait-ce que de manière temporaire.