Interdiction de jouer plus de trois heures par jour. Voilà la mesure drastique prise par la Chine, ce lundi, pour combattre l’addiction aux jeux vidéo chez les jeunes. Mais est-ce vraiment utile? La Suisse devrait-elle s'inspirer de la décision chinoise? On en a parlé avec Niels Weber, psychologue spécialisé en hyper connectivité.
Qu’est-ce que vous pensez des mesures prises par la Chine?
Niels Weber: Je pense que ces mesures sont excessives. C’est une réponse drastique à un problème mal défini, une solution rapide qui n'apporte pas les bonnes réponses. D’après moi, ce n’est pas du tout une bonne idée.
Pourquoi?
C’est un discours schizophrène. D’un côté, le gouvernement chinois veut limiter l’accès aux jeux, de l’autre, leurs entreprises développent de plus en plus de jeux. On ne peut pas à la fois interdire et encourager, cela n’a aucun sens. En Chine, l’industrie du jeu vidéo se développe de manière agressive, en ayant recours à des mécanismes de jeu controversés, que l’on retrouve dans les jeux d’argent par exemple. Ce sont des fonctionnements qui poussent les joueurs à jouer beaucoup plus que nécessaire: les jeux sont gratuits, mais si l’on veut progresser, il faut soit passer énormément de temps à jouer, soit payer pour accéder au prochain niveau.
Mais alors, c’est quoi le vrai problème?
Le vrai problème se retrouve de manière générale en dehors de l'écran. Les jeunes ont souvent des difficultés par rapport à l’estime de soi ou présentent des signes de dépression et s’investissent dans le jeu pour palier à certains manques. Au lieu d’accuser le jeu, les écrans, il faudrait plutôt comprendre ce dont ils ont besoin. L'écran, c’est une béquille sur laquelle ils s’appuient pour marcher, supprimer la béquille ne leur apprendra pas à marcher.
Pourtant, l’addiction aux jeux vidéo a été reconnue comme une maladie?
L’OMS a en effet diagnostiqué et reconnu l’addiction aux jeux vidéo. Cependant, c’est un diagnostic qui fait énormément débat au sein de la communauté scientifique. Ce que l'on remarque, c'est que le temps passé sur les jeux vidéo importe finalement peu.
Ce n'est donc pas très utile de limiter le temps passé sur les jeux?
D'après moi, limiter le temps de jeu, comme l’a décidé le gouvernement chinois, ne répond pas aux préoccupations des joueurs excessifs. Si l’enfant ne joue que 30 minutes par jour, mais que lorsqu’il joue, il dépense énormément d’argent ou que lorsqu’il doit arrêter, il entre dans une colère noire, cela ne règle pas le problème. Par ailleurs, les mécaniques des jeux en libre-accès sont difficiles à gérer. On donne aux jeunes un outil sans le mode d’emploi. C’est là que l’on devrait concentrer nos efforts: apprendre aux jeunes à se responsabiliser face à l'écran. On a l’impression que les enfants maîtrisent les réseaux sociaux ou les jeux vidéo, car ils savent les manipuler, mais la vérité, c'est qu'ils ne savent pas les utiliser.
Qu’est-ce qu’on risque si on passe trop de temps devant les jeux vidéo?
Ce n’est pas clair. Il faut se demander: est-ce que la personne a joué au détriment d’autre chose? C’est ça le risque, et il est très variable selon les gens. Il faut l’identifier au cas par cas. Les adultes vont dire clairement ce qu'il se passe: qu’ils ne sont plus motivés à aller au travail ou qu’ils ne dorment plus. Pour les enfants, cela repose souvent sur la perception des parents, car d’eux-mêmes ils ne vont pas se donner de limites. C’est pour cela qu’il faut d’abord comprendre les inquiétudes des parents.
Est-ce que cela s’applique également aux réseaux sociaux alors?
Oui, c’est le même problème avec les réseaux sociaux et c’est aussi ce qui manque dans le diagnostic de l’OMS: il ne concerne que les jeux vidéo, mais c’est absurde, car les réseaux sociaux prennent énormément de place chez les jeunes et ils sont aussi conçus pour qu’on ait envie d’y rester.
Et en Suisse, est-ce qu’on a ce genre de problème?
En Suisse, nous avons réussi à faire passer une motion au conseil national par rapport au projet de loi sur la protection des mineurs en matière de films et de jeux vidéo. L’idée, c’est d’intégrer à ce projet de loi ces micro-transactions financières qui posent problème dans les jeux en ligne. Il faut également essayer de comprendre comment on peut accompagner les plus jeunes dans l’utilisation de ces jeux. C’est la grande tâche à laquelle nous allons devoir nous atteler. Selon moi, il y un besoin de communication par rapport à cette problématique et de formation à l’utilisation des médias en ligne. Cela ne se limite pas forcément aux jeux vidéo, mais s’étend également aux réseaux sociaux.
En Suisse, ce serait difficile d’imposer les mêmes restrictions qu'en Chine, alors on fait quoi?
Le travail le plus important, c'est celui avec les familles. Il faut essayer de comprendre leurs inquiétudes et les aider à établir un cadre strict. Le problème n’est pas forcément lié à l’écran, mais plutôt à la façon dont les parents posent les règles. Il faut les aider à comprendre pourquoi ils n’arrivent pas à faire respecter leur autorité, sans culpabiliser. Ce que l’exemple chinois peut éventuellement nous apprendre, c’est qu’une autre façon de faire existe sans passer par des mesures aussi extrêmes.