Mercredi 20 janvier 2021, ronchon et mauvais perdant, Donald Trump ne s'était pas rendu à l'investiture de Joe Biden. Et si le milliardaire se terrait en Floride, la nuclear football aussi. Cette mallette d'une vingtaine de kilos, considérée comme «la plus puissante du monde», a été la sienne, ce jour-là, jusqu'à 23h59 et 59 secondes. L'instant suivant, elle fut désactivée à distance, devenant totalement inutilisable par son propriétaire.
D'ordinaire, la nuclear football se lègue entre présidents américains. Ou presque, puisque si Joe Biden venait à la toucher personnellement, c'est qu'il envisagerait ni plus ni moins de déclencher une attaque contre une nation ennemie. Ce sont les aides de camp respectifs qui se chargent de passer le témoin, le plus discrètement et soigneusement possible.
Lundi, alors qu'il rendait visite à Charles III et au premier ministre britannique Rishi Sunak, cette «mallette nucléaire» a bouffé toute la lumière, éclipsant les stars du jour l'espace d'un furtif déplacement. C'est en fin d'après-midi que l'aide de camp du président américain a été photographiée, sortant du célèbre 10 Downing Street, le visage figé par la lourde responsabilité.
Dans ses mains, deux attaché-cases, dont le fameux nuclear football. Suffisant pour amuser la presse britannique et draper les réseaux sociaux d'une ambiance de film d'espionnage. (Quand ce ne fut pas le complotisme le plus délirant.)
Il faut dire que le ton de la rencontre, un jour avant le sommet de l'Otan en Lituanie, n'a pas aidé à calmer les amateurs de fumistes théories. A l'intérieur de Downing Street, hormis la volonté de réaffirmer une relation américano-britannique «solide comme le roc», l'heure était évidemment à la guerre menée par Vladimir Poutine contre l'Ukraine.
Sans oublier que Biden avait lui-même averti d'un «risque important d'Armageddon nucléaire» en octobre 2022, conçu comme une bravade face aux menaces nucléaires du maître du Kremlin. Autrement dit, cette mallette a toujours nourri les plus grands fantasmes.
En réalité, cet objet accompagne tous les présidents américains, depuis Kennedy dans les années soixante, dès qu'ils mettent le nez hors de la Maison-Blanche. Les porteurs sont souvent cinq à se relayer, subissants des tests psychologiques extrêmes avant de pouvoir empoigner la mallette. Une fois au taquet, ils sont chargés de suivre le patron littéralement à la trace. De l'hôtel à l'église, en passant par l'hôpital, l'ascenseur, Air Force One, The Beast (la limousine du président) ou 10 Downing Street à Londres. Jusqu'à la marche sportive en pleine rue et petits shorts il y a quelques années. N'est-ce pas papa Bush?
Sans surprise, personne ne percera jamais tous les secrets de cette valise nucléaire, sécurité oblige. En revanche, au fil des ans, certains porteurs ou gradés à la retraite ont eu la langue qui s'est soudain déliée. A l'intérieur de cette mallette (de la marque Zero Halliburton, qui a aussi fabriqué des portes-document pour le film Men In Black II), on trouve quatre éléments principaux. Enfin, si on en croit les révélations de Bill Gulley, un ancien directeur du bureau militaire de la Maison-Blanche.
On y trouverait aussi un engin de communication, permettant au président de contacter le National Military Command Center du Pentagone, à tout moment. Certains, plus taquins, considèrent ces options d'attaque comme un «programme archi-simplifié». Une facilité désirée par Kennedy à l'époque, et qui a glacé le sang de plusieurs huiles militaires quand ce fut le tour de Donald Trump de se balader avec le barda nucléaire. Lui qui voulait, en son temps, «atomiser l'Europe».
La petite carte plastifiée porte aussi un petit surnom: le biscuit. Dessus, une série de codes (Gold Codes), générés par la NSA et nécessaires au Pentagone lorsqu'une attaque doit être effectivement déclenchée. Si, au début, ce code ne contenait qu'une série de zéros (oui, pire que vos mots de passe Gmail), aujourd'hui, c'est un poil plus complexe. Ce qui n'a pas empêché certains présidents tête en l'air de faire suer la sécurité nationale.
Selon les histoires les plus folles, Jimmy Carter l'aurait oubliée dans sa veste (alors en route pour le pressing) et, peu après la tentative d'assassinat de Ronald Reagan, le chef de camp a dû rejoindre son président à l'hôpital par ses propres moyens, faute de place dans l'ambulance. Dans l'intervalle, le biscuit avait disparu: soit dans la chaussure de Reagan, soit dans une poubelle. (Les légendes ne s'encombrent pas toujours d'une stricte précision.) Enfin, Bill Clinton, en pleine tempête Lewinsky, aurait carrément perdu la trace de son biscuit «pendant plusieurs mois».
La dernière alerte concernant cette mallette en aluminium renforcé date de 2018, lorsque le président Trump s'était rendu en Chine. L'incident diplomatique fut finalement évité, mais des agents chinois avait tenté d'interdire le chef de camp américain d'entrer dans le Palais de l'Assemblée du peuple, avec le nuclear football.
Au final, ce n'est pas si mal que Donald Trump ait dû se contenter d'un seul bouton rouge durant son mandat: celui qui lui permettait de commander des canettes de Coca-Light aussi souvent qu'il le souhaitait.