L'heure n'est pas aux vacances pour Joe Biden. Après avoir posé le pied sur le tarmac de l'aéroport de Londres dimanche soir, une courte, mais intense, tournée diplomatique européenne attend le président américain cette semaine. L'occasion était trop belle pour résister à la tentation d’un charmant tea-time avec Charles III, ce lundi après-midi, au château de Windsor.
Avant de savourer scones et sandwichs à la marmelade en compagnie du souverain, le président américain s'est rendu au 10, Downing Street pour une discussion «discrète» avec le premier ministre Rishi Sunak, dans la matinée. Au menu? La délicate question des bombes à fragmentation en Ukraine autour d’une tasse.
C'est peu dire que cette conversation s'annonçait diplomatiquement tendue, après l'annonce américaine, il y a deux jours, de livrer ces armes controversées et interdites à l'Ukraine. Une décision qui a suscité son flot de réactions embarrassées parmi les alliés européens. La convention d’Oslo interdit en effet, depuis 2008, la production et l’utilisation de ces petites bombes, capables de tuer indistinctement militaires et civils sur une vaste zone, pendant des années.
Si Rishi Sunak n'a pas ouvertement critiqué son homologue américain pour sa décision, il n'a pas manqué de rappeler ce samedi, en marge de la rencontre, que son propre pays est l'un des 123 pays signataires de cette convention.
On peut trouver meilleure manière de détendre l'atmosphère, à l'heure d'un déjeuner sur l'herbe - même si, côté britannique, on assurait que le Royaume-Uni est «peu susceptible de faire des histoires pour les bombes», compte tenu des «circonstances inhabituelles» de la guerre.
Quoi qu'il en soit, au terme de cette conversation manifestement cordiale, le président Biden n'a pas manqué de saluer la relation «solide comme un roc» avec son «ami proche» et «grand allié» d'outre-Atlantique. La bagarre a été évitée. Un détail n'a pas manqué d'interpeller nos confrères américains: le contenu des tasses sirotées par les deux chefs d'Etat pendant la conversation.
Ceci fait, Joe Biden a été reçu avec tout le standing nécessaire et le salut royal de la garde d'honneur, comme le veut la coutume, dans le quadrilatère du château de Windsor. Charles III a tenu personnellement à accueillir son invité hors des murs de Buckingham Palace, actuellement en «pleine rénovation pluriannuelle». Le thé sur décor de chantier aurait fait mauvais genre.
La dernière visite de Joe Biden au château de Windsor remonte à juin 2021, lorsqu'il avait rejoint feu Elizabeth II, alors âgée de 95 ans, pour un après-midi du même acabit. Il en garde souvenir ému: «Lorsque la reine nous a invités au château pour prendre le thé et - nous en plaisantions - des crumpets, elle n'a cessé de m'en offrir davantage».
Ce lundi, Joe Biden a eu droit à tout le faste et la cérémonie qu'implique sa fonction. Ce qui n'a pas empêché le président américain, de son côté, de commettre quelques entorses aux usages: non seulement il n'a pas fait la révérence devant Sa Majesté (une marque de courtoisie qui n'est plus vraiment obligatoire), mais en plus... il l'a tapoté dans le dos (pour rappel, on ne touche jamais le roi ou la reine).
Cette «mini-visite d'Etat» est à marquer d'une pierre blanche: c'est la première fois que Joe Biden rendait visite à Charles depuis son couronnement. Pour rappel, seules sa femme, Jill, et leur petite-fille, s'étaient rendues à l'abbaye de Westminster, le 6 mai dernier. Le président américain, qui avait préféré se consacrer à d'autres obligations, s'était permis de sauter cet évènement symbolique.
L'énième signe d'une tension entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis? Pas le moins du monde, a rétorqué la porte-parole de la Maison-Blanche au Daily Telegraph, non sans rappeler que le président Eisenhower n'avait pas non plus assisté au couronnement de la reine Elizabeth, en 1953.
En fait, tout porte à croire que Joe Biden et Charles III s'entendent bien. Au-delà d'une faible différence d'âge (respectivement 80 et 74 ans), les deux hommes d'Etat partagent de nombreux points communs. A commencer par leurs décennies de patience avant d'atteindre, enfin, le job de leurs rêves.
Ce n'est pas tout.
Comme le rappelle le New York Times, Joe et Charles cultivent un goût relatif de «simplicité». Tous deux préfèrent largement abandonner leurs palais exécutifs (la Maison-Blanche et Buckingham) pour leurs retraites personnelles, plus modestes et privées (dans l'Etat du Delaware pour l'un, à Clarence House, au cœur de Londres, pour l'autre). Ce n'est pas tout: tous deux ont dû assumer les turbulences de leur plus jeune fils (Hunter Biden et le prince Harry) et les remous médiatiques associés.
Sans oublier des challenges politiques similaires. Non seulement l'un et l'autre doivent convaincre un public de plus en plus méfiant vis-à-vis de leurs institutions, mais aussi combattre le scepticisme lié à leur âge avancé, face à l'immense défi de diriger une population diversifiée, polarisée, multiculturelle.
C'est là que le roi et le président peuvent s'appuyer sur une passion commune: l'écologie. Un terrain d'entente qui a d'ailleurs servi de toile de fond à leur rencontre ce lundi. Après le thé et les shortbreads, Joe Biden et Charles III ont rejoint un forum organisé par John Kerry, envoyé spécial du président américain pour le climat, consacré à la protection de l'environnement. L'objectif était de générer un soutien financier du secteur privé pour les pays désireux de se décarboner et de s'adapter au changement climatique.
Quant à sa voir si Joe Biden a profité de cette rencontre pour commettre l'une de ses sempiternelles gaffes (n'oublions pas que, le 17 juin dernier, il concluait un discours sur les armes à feu par un inexplicable «God save the Queen, man» que personne n'a compris), l'histoire ne le dit pas. Une chose est sûre: ce n'est pas Charles III, longtemps raillé pour sa maladresse et mettre les pieds dans le plat, qui lui en tiendra rigueur.
Après une franche poignée de main, le président et le roi se sont quittés tout sourire en fin d'après-midi. Prochaine étape: la Lituanie, pour Biden, à l'occasion d'un sommet de l'Otan sur le renforcement des stocks de munitions en Ukraine; l'Ecosse, pour Charles, où il devrait passer l'été en compagnie de sa famille, dans le château de Balmoral.