International
Pékin

Taïwan et la Chine: les racines d'un long conflit

La pr
La présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, est mise sous forte pression de la Chine.Image: sda

Taïwan et la Chine: les racines d'un long conflit

La Chine a dégainé son sabre. Avant même la visite de Nancy Pelosi à Taïwan - en tant que présidente de la Chambre des représentants - Pékin menaçait de manière à peine voilée d'envahir l'île. Entre les deux voisins, le colosse continental et le nain insulaire, une histoire tendue.
06.08.2022, 17:3207.08.2022, 09:55
Daniel Huber
Daniel Huber
Daniel Huber
Suivez-moi
Plus de «International»

Les relations entre les deux Chine – la République populaire sur le continent et la République sur l'île – sont tendues comme elles ne l'ont pas été depuis longtemps. Le conflit taïwanais dure depuis plus de 70 ans et il a toutes les chances de dégénérer en une guerre chaude – avec des conséquences imprévisibles pour le monde entier. Le conflit est complexe et aucune solution simple n'est en vue. Un regard dans le rétroviseur permet de comprendre pourquoi il en est ainsi.

Retour dans le temps

Séparée du continent par le détroit de Formose (ou détroit de Taïwan), large de 180 kilomètres, l'île de Taïwan n'a subi l'influence chinoise que relativement tard. Lorsque les Portugais, premiers Européens à atteindre l’île, découvrent Taïwan au 16e siècle, seuls quelques Chinois y vivent, principalement dans les zones côtières peu profondes. La traditionnelle chasse aux têtes humaines était encore répandue au sein de la population autochtone austronésienne, du moins dans les tribus des montagnes. Les navigateurs portugais, qui ont baptisé l'île «Ilha Formosa» – la «belle île» –, n'y ont pas fondé de colonie permanente.

En revanche, les Néerlandais, qui ont débarqué à Taïwan en 1624, ont pris le contrôle de vastes zones de l'île. La Compagnie néerlandaise des Indes orientales a d'abord utilisé Taïwan comme base pour le commerce entre Java et le Japon, avant de recruter des paysans chinois pour défricher les terres. C'est ainsi que l'immigration chinoise a débuté à plus grande échelle. Les Néerlandais ont profité des colons chinois, utilisés comme intermédiaires dans le commerce avec les autochtones et le continent.

Das niederländische Fort Zeelandia auf Taiwan, etwa 1635
https://de.wikipedia.org/wiki/Geschichte_Taiwans#/media/Datei:Zeelandia_from_Dutch.jpg
Fort Zeelandia, la principale forteresse néerlandaise à Taïwan, vers 1635.image: Wikimedia

La domination des Néerlandais n'a cependant pas duré longtemps. Dès 1661, le seigneur de guerre et corsaire chinois Zheng Chenggong chassa les colonisateurs européens et fonda l'éphémère royaume de Dongning. Chenggong était un partisan de la dynastie Ming, qui avait été renversée en Chine continentale par la dynastie Qing. Son royaume à Taïwan devait servir de base à la restauration de la dynastie Ming sur le continent – une constellation qui rappelle la situation après la victoire des communistes dans la guerre civile chinoise de 1949: les Chinois nationaux vaincus se sont ensuite retirés à Taïwan pour reconquérir le continent à partir de là.

Après la mort de Zheng, les Qing ont profité de l'instabilité du royaume de Dongning pour s'emparer de l'île en 1683. C'est ainsi que Taïwan passa pour la première fois sous la domination de la Chine continentale; elle fut incorporée à la province du Fujian en tant que préfecture. Les Qing ont encouragé la sinisation de la population indigène. Les nouveaux dirigeants ont créé des écoles chinoises et ont promulgué en 1758 une loi obligeant les habitants à adopter des noms chinois et à porter des vêtements et des coiffures chinoises.

Le déclin de la dynastie Qing a attiré l'attention des puissances coloniales européennes qui, vers la fin du 19e siècle, ont soumis la Chine à une domination semi-coloniale croissante et ont arraché à l'empire Qing des concessions territoriales et économiques dans le cadre des «traités inégaux». Des puissances européennes comme la France ou même la Prusse ont également porté leur attention sur Taïwan – mais c'est finalement le Japon qui s'est emparé de l'île après la première guerre sino-japonaise en 1895. La présence japonaise à Taïwan a duré jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Guerre civile et «grande fuite»

Sous la domination japonaise, l'île s'est développée rapidement sur le plan économique. La valeur ajoutée de l'industrie a été multipliée par 1600 jusqu'en 1945, alors que le continent restait à la traîne en comparaison. Là-bas, la crise de l'empire Qing a débouché sur une révolution et la fin de l'empire – en 1912, le révolutionnaire Sun Yat-sen a proclamé la République de Chine. Cette république, dirigée par le Kuomintang (Parti national du peuple), était instable et s'est rapidement divisée en zones de pouvoir régionales. Elle était en outre soumise à une forte influence de la part des puissances européennes et du Japon.

Dans les années 1920, le Parti communiste chinois (PCC), auparavant marginal, s'est renforcé et a d'abord formé un front uni avec le Kuomintang afin d'imposer l'autorité de la République dans toutes les régions de Chine. Dès que cet objectif fut à portée de main, les tensions entre le PCC et le Kuomintang conduisirent en 1927 au déclenchement de la guerre civile chinoise, qui dura, avec des interruptions, jusqu'en 1949. Les communistes étaient dirigés par Mao Zedong, tandis que le général Tchang Kaï-chek était à la tête du Kuomintang.

Chairman Mao makes a report at the second Plenary Session of the Seventh Central Committee of the Communist Party of China in 1949. (AP Photo/Hsinhua News Agency)
Mao Zedong (1949) image: Keystone
Chiang Kai-shek (1945)
https://de.wikipedia.org/wiki/Chiang_Kai-shek#/media/Datei:Chiang_Kai-shek.jpg
Tchang Kaï-chek (1945)image: Wikimedia

Les troupes nationales chinoises dirigées par Tchang Kaï-chek n'ont pas réussi à battre les communistes de manière décisive. L'invasion japonaise de la Chine, qui a débuté en 1937, a contribué à cet état de fait. L'invasion japonaise a certes conduit à un accord de statu quo entre les parties en guerre civile, mais les troupes du Kuomintang ont porté l'essentiel du fardeau de la lutte défensive contre les Japonais, tandis que les communistes ont économisé leurs forces pour la révolution ultérieure. Après la capitulation japonaise en 1945, la guerre civile a repris et s'est terminée en 1949 – malgré le soutien américain – par la défaite du Kuomintang.

In this May 2, 1949, file photo, a column of Chinese Communist light tanks enter the streets of Beijing, formerly known as Peking, which are filled with people watching the conquerors pass. In 1949, C ...
Les troupes de l'Armée populaire de libération communiste entrent dans Pékin, en 1949.image: Keystone

Les troupes nationales chinoises – environ deux millions d'hommes – se retirèrent à Taiwan, qui était de facto à nouveau sous contrôle chinois depuis la capitulation japonaise (de jure, le Japon n'abandonna l'île qu'en 1952). Dans un premier temps, Tchang Kaï-chek avait encore envisagé d'établir une zone de repli du Kuomintang dans l'ouest montagneux de la Chine, mais les avantages de l'île, séparée du continent par un détroit, ont fait pencher la balance en faveur de Taïwan. Après la «grande fuite» des Chinois nationaux vers Taïwan, deux Chine se sont affrontées: la République populaire («Chine rouge») dirigée par Mao Zedong sur le continent et la République de Chine («Chine nationale») sur Taïwan.

Escarmouches militaires et diplomatiques

Ces deux Chine, liées par une profonde hostilité, étaient toutes deux dirigées de manière autoritaire: le colosse continental était sous la coupe du PCC dominé par Mao Zedong, tandis que le Kuomintang de Tchang Kaï-chek tenait le nain insulaire sous sa coupe en tant que parti unique. Les deux Etats revendiquaient la représentation exclusive et complète de l'Etat chinois: Pékin considérait Taïwan comme une province chinoise sécessionniste, Taipei voyait la Chine continentale comme un territoire illégitimement occupé par les communistes.

Ainsi, des deux côtés, on s'efforçait de provoquer la réunification par la voie militaire. C'est pourquoi le conflit de Taïwan a pris au début la forme d'une guerre «chaude», mais il n'y a jamais eu d'affrontement avec tous les moyens militaires. La République populaire était occupée à reconstruire le pays après la guerre civile et à intervenir dans la guerre de Corée (1950-1953), tandis que pour la Chine nationale, une reconquête du continent n'était envisageable qu'avec le soutien américain. Washington n'a cependant pas soutenu ces plans.

En 1954 et 1958, la République populaire a tenté à deux reprises de s'emparer des îles côtières contrôlées par la Chine nationale. Les deux tentatives ont échoué, notamment parce que les Etats-Unis soutenaient la Chine nationale. Par la suite, les deux parties se sont contentées de bombarder leurs positions respectives. Dans les années 1960, alors que la Chine était affaiblie par l'échec catastrophique du «Grand Bond en avant» – qui a probablement provoqué la plus grande famine de l'histoire mondiale –, Tchang Kaï-chek a vu une opportunité de reconquérir le continent.

The MIM-14 Nike Hercules of the 71st Air Defense Artillery Regiment, U.S Army at Tamsui, Taipei County in 20 October 1958.
https://en.wikipedia.org/wiki/Second_Taiwan_Strait_Crisis#/media/File:%E9%A7% ...
Missile antiaérien américain à longue portée à Taïwan, 1958.image: Wikimedia

Cette fois encore, les Etats-Unis ont refusé de soutenir les plans suicidaires de Tchang, qui avaient pour mot d'ordre «la gloire nationale». Par la suite, et plus encore depuis la mort de Tchang Kaï-chek en 1975, la direction nationale chinoise a commencé à se concentrer sur la défense et la modernisation de Taïwan plutôt que sur la reconquête du continent – une évolution appelée «taïwanisation». L'isolement de Taïwan en matière de politique étrangère à partir des années 70 a donné une impulsion supplémentaire à cette évolution.

A partir du milieu des années 60, la position de la Chine nationale en matière de droit international s'est peu à peu effritée. La République populaire, qui avait fait exploser sa première bombe atomique en 1964 et était ainsi entrée dans le cercle exclusif des puissances nucléaires, était reconnue diplomatiquement par un nombre croissant d'Etats – dont la Suisse qui avait été l'un des premiers Etats occidentaux à établir des relations diplomatiques avec Pékin, dès 1950. En 1971, la Chine nationale a dû céder, contrainte et forcée, son siège aux Nations unies et au Conseil de sécurité, importants en termes de pouvoir politique, à la République populaire.

Die chinesische Uno-Delegation freut sich über den Wechsel des Uno-Sitzes von Taiwan zur Volksrepublik. 
https://www.chinadaily.com.cn/a/202111/20/WS61983c2ea310cdd39bc7673f_3.html
En 1971, la délégation de la République populaire de Chine à l'Organisation des nations unies (ONU) a pu prendre le siège de la Chine.image: China Daily

L'année suivante, Pékin a réussi à obtenir la reconnaissance du Japon après avoir renoncé à des dommages et intérêts pour des destructions de guerre. Et en 1979, les Etats-Unis ont finalement établi des relations diplomatiques avec la République populaire. En raison de la politique d'une seule Chine des deux côtés, Washington a dû rompre de manière formelle ses relations avec Taïwan. Aujourd'hui, seuls quatorze pays reconnaissent encore Taïwan sur le plan diplomatique.

De nombreux pays entretiennent cependant des relations souterraines avec Taïwan: ils n'ont pas d'ambassade officielle, mais des représentations déguisées. C'est le cas de l'Allemagne avec l'Institut allemand de Taipei, dont le directeur général est un diplomate. Les Etats-Unis ont également une représentation officieuse à Taïwan. En outre, Washington fournit régulièrement des armes à Taïwan afin de dissuader Pékin d'envahir le pays.

Démocratisation et identité taïwanaise

Cette perte massive de reconnaissance diplomatique a entraîné une crise de légitimité en politique intérieure pour le Kuomintang, toujours au pouvoir de manière autocratique. C'est ainsi qu'un processus de démocratisation a débuté dans les années 1980 sous le fils et successeur de Tchang Kaï-chek, Tchang Ching-kuo. La censure des médias, autrefois très stricte, a été assouplie, les partis d'opposition autorisés et les lois d'urgence abrogées. En 1987, l'état d'urgence en vigueur depuis 1949 a pris fin.

La démocratisation a permis d'instaurer un équilibre entre les Chinois nés à Taïwan et ceux venus du continent. Après la prise de contrôle de Taïwan par le Kuomintang en 1945, ces derniers étaient considérés par les Taïwanais avec méfiance, car nombre d'entre eux avaient combattu dans l'armée japonaise. La corruption et la violence des nouveaux maîtres devaient conduire à une révolte en 1947, brutalement réprimée. La «terreur blanche» qui s'ensuivit fit jusqu'à 30 000 victimes.

Aufgebrachte Taiwaner stürmen während des Zwischenfalls vom 28. Februar das Büro des Monopolamtes, 1947.
https://de.wikipedia.org/wiki/Geschichte_Taiwans#/media/Datei:228_Incident_h.jpg
Emeutes à Taipei pendant le soulèvement de 1947.image: Wikimedia

En 2000, pour la première fois, un président n'appartenant pas au Kuomintang mais au Parti démocrate progressiste (DPP) a été élu. Ce revirement a rendu encore plus brûlante une question qui n'a cessé de résonner dans la politique taïwanaise depuis lors: quelle est l'identité nationale des Taïwanais et quel est le statut national du pays?

La fédération de partis autour du Kuomintang, appelée le camp bleu, tient toujours au principe d'une identité chinoise et souhaite rapprocher la République de Chine de la République populaire, l'objectif étant une future réunification. Depuis un consensus officieux entre Taipei et Pékin, atteint en 1992, le point de vue est qu'il existe une Chine, mais différentes interprétations de celle-ci. Ce consensus perpétue le statu quo. Le camp vert, en revanche, une coalition de partis autour du DPP, met l'accent sur une identité taïwanaise unique et aspire à une taïwanisation accrue en vue d'une indépendance taïwanaise.

Taipeh, Taiwan.
Taïwan s'est entre-temps développé en un Etat moderne et démocratique doté d'une économie performante.image: Shutterstock

Selon les sondages, de plus en plus d'habitants de l'île se considèrent comme des Taïwanais. Ils représentent aujourd'hui environ 60% de la population. La part de ceux qui se considèrent comme Taïwanais et Chinois, ou seulement comme Chinois, ne cesse de diminuer. Le temps joue plutôt en faveur du camp pro-indépendance, car de moins en moins de Taïwanais ont encore des proches en vie sur le continent et les systèmes politiques des deux Etats évoluent dans des directions différentes. La manière dont la Chine traite Hong Kong pousse en outre de nombreux Taïwanais dans le camp des sceptiques à l'égard de Pékin.

La ligne rouge de Pékin

La République populaire continue de se baser sur la doctrine de la Chine unique, selon laquelle il n'existe qu'une seule Chine. Dans cette optique, Taïwan est une province sécessionniste, mais reste une partie indissociable de la Chine. Les dirigeants de Pékin se satisfont de ce statu quo, notamment pour des raisons économiques: cet Etat insulaire économiquement prospère – Taïwan est le plus grand producteur mondial de semi-conducteurs – fournit à l'industrie chinoise des composants high-tech importants.

epa09516035 Taiwanese President Tsai Ing-wen speaks during the Taiwan National Day celebrations in Taipei, Taiwan, 10 October 2021. Amidst the growing tension between China and Taiwan, President Tsai  ...
La présidente Tsai Ing-wen aspire à l'indépendance de Taïwan.image: keystone

Mais Pékin fait clairement comprendre qu'il y a une ligne rouge à ne pas franchir: l'indépendance de Taïwan. C'est pourquoi les tensions entre Taipei et Pékin ont augmenté ces dernières années, en réalité avec l'arrivée du camp vert au pouvoir à Taïwan, auquel appartient l'actuelle présidente Tsai Ing-wen. Bien qu'aspirant à l'indépendance, l'équipe dirigeante taïwanaise doit tenir compte des sensibilités chinoises.

Il est difficile de prévoir comment le conflit va évoluer. Il est probable qu'il ne se désamorce guère à moyen terme, car la population taïwanaise semble se détacher de plus en plus de son identité chinoise, tandis que la République populaire, dont la politique étrangère se fait nettement plus agressive sous l'impulsion de l'homme fort Xi Jinping, tolérerait moins que jamais une Taïwan indépendante.

Les incendies en Gironde, juillet 2022
1 / 22
Les incendies en Gironde, juillet 2022
partager sur Facebookpartager sur X
Réponse à la visite de Nancy Pelosi: les chars chinois font faces à Taïwan
Video: watson
1 Commentaire
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
1
Un réseau de pilleurs de cimetières démantelé en Alsace
Un réseau de pilleurs de cimetières en France a été démantelé. Trois suspects roumains sont en détention provisoire, selon la Gendarmerie nationale.

Un réseau de pilleurs qui avaient écumé des cimetières l'an dernier en Alsace et dans les régions voisines a été démantelé. Trois suspects de nationalité roumaine ont été placés en détention provisoire, a annoncé mercredi la Gendarmerie nationale.

L’article