Jean-Luc Mélenchon a le vent en poupe. Le leader de la France insoumise (LFI), parti de la gauche radicale française, revient au cœur de l'attention, porté par deux signaux forts: les dizaines de milliers de personnes présentes lors de son rassemblement parisien, ce 20 mars, et son ascension dans les sondages. Alors que toutes les enquêtes et les analyses prédisent depuis des mois un duel présidentiel Emmanuel Macron - Marine Le Pen (comme en 2017), la présence du candidat Mélenchon au second tour serait une vraie surprise. Dans quelle mesure cette hypothèse est-elle plausible?
12,7%: c'est le score obtenu par Jean-Luc Mélenchon dans le compilateur de sondages effectué par le Huffington Post ce 19 mars, ce qui fait de lui le candidat, devant Eric Zemmour (11,6%) et Valérie Pécresse (10,4%), qui n'a jamais été aussi bas depuis le début de l'année. Ce 22 mars, une enquête BFM TV créditait même l'homme de l'Union populaire (réd: sa nouvelle étiquette durant cette campagne) à 15%.
Selon le politologue français Thomas Guénolé, engagé à gauche et revenu de la France insoumise après avoir co-dirigé son école de formation, cette dynamique fait fortement penser à 2017, année de la précédente élection présidentielle: le candidat Mélenchon avait opéré une spectaculaire remontée avant le premier tour, au dernier moment (en passant de 11% à 19,6% en deux mois). Depuis, lui et son parti n'ont cessé d'évoquer les «600 000 voix» qui manquaient au candidat pour accéder au second tour.
Ce phénomène de remontada peut s'expliquer par le fameux «vote utile», quand l'électeur préfère à «son» candidat celui, plus ou moins proche, qui est capable d'atteindre le deuxième tour. Mélenchon, donné comme le troisième homme de cette élection selon les derniers sondages, en devient le bénéficiaire, les autres prétendants de gauche – l'écologiste Yannick Jadot, le communiste Fabien Roussel et la socialiste Anne Hidalgo – stationnant tous à moins de 6%, et Christiane Taubira s'étant retirée.
Dans le JDD, le directeur de l'IFOP Frédéric Dabi observe que l'électorat de 2017 n'est pas – encore? – entièrement reporté sur l'actuel. «De fait, complète le journal, ses électeurs d’il y a cinq ans ne disent vouloir voter pour lui qu’à 55%, 12% lui préférant le communiste Fabien Roussel et 11% l’écologiste Yannick Jadot. Tout l’enjeu des trois prochaines semaines, pour Mélenchon, est donc de ramener à lui les électeurs de gauche tentés par ses rivaux, en martelant l’argument du "vote utile".»
Thomas Guénolé assure que les réservoirs de voix se situent du côté de la jeunesse et des «quartiers populaires», et qu'en cela la stratégie de la France insoumise, qui compte sur ces électorats-là, est la bonne. «Plus il y a d'électeurs pauvres qui votent, plus la gauche anti-système monte.» Dans le journal Le Temps, Richard Werly relève que «la France insoumise dispose aujourd’hui, contrairement au Parti socialiste, d’une réelle base militante, en particulier du côté des jeunes».
La remontada se heurte cependant à certaines limites. Il y a par exemple un niveau d'abstention qui est irréductible, d'après Thomas Guénolé. A la fin des fins, l'observateur estime qu'un score de 20% à peine reste une sorte de plafond de verre pour le candidat:
En cause, ses idées très à gauche, anti-capitalistes sur le plan économique, multiculturalistes sur le plan sociétal. Mais aussi, voire surtout, sa personnalité caractérielle, que d'aucuns voient comme le signe d'un potentiel autocrate une fois au pouvoir. Comme le rappelle Thomas Guénolé, Jean-Luc Mélenchon a renoué avec beaucoup de conflictualité et d'agressivité ces dernières années, notamment au moment de l'épisode de la perquisition où il avait hurlé aux policiers «La République, c'est moi».
Il y a aussi le contexte de la guerre. Bien que, contrairement à Zemmour, il n'ait pas chuté dans les sondages après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, les déclarations pro-Poutine de Jean-Luc Mélenchon datant d'avant le conflit pourraient bien lui coûter quelques voix. Aussi, en temps de crise, le chef (et Macron l'incarne bien) ressort comme l'homme de la situation ce qui favorise un vote de la continuité.
On ne saurait cependant balayer une question centrale en lien aussi avec l'Ukraine: le pouvoir d'achat. Avec la hausse du prix de l'essence et toutes les incertitudes sur le quotidien des Français, les conséquences des sanctions contre la Russie et la situation du pays de manière générale (les «gilets jaunes» ont montré que cela date de bien avant) pourraient avoir comme effet que les abstentionnistes à faible revenu s'intéressent à un Mélenchon qui veut augmenter le SMIC, geler les prix, taxer les riches.
Or, Marine Le Pen, créditée actuellement à quelque 20% (contre environ 28% pour le président sortant), martèle elle aussi qu'elle compte redonner du pouvoir d'achat aux classes défavorisées. En cela, les deux candidats se ressemblent et s'affichent en opposition à Macron, taxé, comme Sarkozy à l'époque, de «président des riches». Mais sur cette question, le candidat de la gauche radicale pourrait avoir l'avantage d'être perçu comme étant «l'original» – et Marine Le Pen «la copie». Elle qui a opéré un virage social pour se démarquer d'Eric Zemmour, très porté sur les thèmes identitaires.
«En réalité, il n'y a même pas eu de virage social de la part de Marine Le Pen, ou seulement en surface», nuance Thomas Guénolé. «Ses thèmes de prédilection restent l'immigration, la sécurité et l'islam. La stratégie rassembleuse de souverainisme dur teinté d'étatisme social portée par Florian Philippot, alors bras droit de Marine Le Pen, s'est terminée avec lui, quand il a été poussé vers la sortie, comme à chaque fois dans ce parti qui fonctionne telle une monarchie héréditaire.» Pour lui, ce qu'il y a pu avoir de social et «de gauche» dans le FN (red: ancien nom du RN) n'existe plus dans le RN. Il sourit:
Décidément, la candidature du fondateur de Reconquête! a changé la donne et complexifié les paris. Sauf que c'est l'issue du premier tour qui est prioritairement incertaine. Rappelons que c'est dans un duel avec Mélenchon que Macron serait le mieux élu au deuxième tour, selon les baromètres. Mais il peut encore se passer des choses en trois semaines.