Vieille France, doux pays de son enfance: Eric Zemmour, 63 ans, cite des artistes morts et canonisés pour exprimer sa vision politique d'avenir, en mode autoradio sur la route de l'Elysée.
Brassens, Johnny, Aznavour, Barbara. Un temps que les moins de 40 ans peuvent difficilement connaître, ou pas sur le bout de la langue. Mais les hommages posthumes de ces quatre-là (hommages qui commencent tous par «Le dernier des géants») insistent sur «l'amuuur» qu'ils portaient à la France; ou une certaine représentation de la France, vue de Gstaad (Johnny) ou de Saint-Sulpice (Aznavour).
Cette France que nos parents chantaient à tue-tête était celle du troquet et du sonnet. Pas «que» mais dans la réthorique de Zemmour, ce cadre a l'avantage d'installer une ambiance, de se construire en opposition à la France du bar à chicha et du langage épicène.
Car la France d'aujourd'hui existe, elle est même très écoutée. En guise «d'échantillon représentatif», Yann Zitouni, référence musicale sur La Première, sort trois noms.
Hoshi, de son nom zemmourien Mathilde Germer, fut d'abord une voix qui porte. Elle est maintenant la figure iconique sur laquelle Fabien Lecoeuvre a eu la prétention de cracher. Lecoeuvre, 62 ans, 16 de moins que Johnny et 37 de plus qu'Hoshi, chroniqueur à Europe 1 avant de périr par le glaviot, qualifiant la chanteuse d'«effrayante», lui suggérant de «donner ses chansons à des filles sublimes» et, rappelé au bon souvenir de ses vieux «Play-Boy» froissés, prenant à témoin son audience testostéronée: «Vous mettez un poster de Hoshi dans votre chambre, vous?»
«Quand Hoshi se prend la tête avec Fabien Lecoeuvre, elle existe politiquement et occupe une place, soutient Yann Zitouni. Hoshi, c'est la France du physique, du genre, et du "vos gueules les cons", surtout.»
Gaël Faye est un autre auteur-compositeur-interprète, rappeur et écrivain franco-rwandais, 39 ans. «Il a importé une histoire africaine globale, poursuit Yann Zitouni. A travers son filtre, il raconte une France, il entreprend de raconter la France à sa façon, comme il la voit et la vit, et un jour Christiane Taubira apparaît dans l'un de ses albums, et Gaël Faye entre dans une démarche politique, lui aussi.»
«On peut dire qu'au fil de ses albums, Orelsan a un vrai parcours politique. Aujourd'hui, il est partout. Il amène (comme d'autres) un ton et une esthétique dans le discours politique. Je ne sais pas s'il s'y retrouve; j'en doute. Bob Dylan, par exemple, n'aimait pas qu'on le désigne comme un chanteur politique, ça lui cassait les couilles. Je ne voudrais pas comparer Orelsan à Dylan, surtout pas, mais il y a un peu cette même façon de voir, pas forcément frontale.»
Johnny répandait un peu les mêmes odeurs d'essence, déjà, sans toujours le vouloir, lui. «Causeur.fr» observe que «par bien des aspects, la France des gilets jaunes ressemble à la France de Johnny: populaire, méprisée», «la France qui souffre, qui fume et qui pollue», la France qui «aime la clope et la bagnole, en un mot la liberté», «la France des siphonnés». Denis Bachelot, journaliste à «Causeur», s'est fait la remarque aux obsèques du «taulier», qu'il préfère appeler «l'idole des jaunes»:
Dans «Odeur d'Essence», Orelsan lève un poing vaguement rageur, un poing nu à travers les flammes des bagnoles, comme un mégot jeté en passant pour allumer le feu à la France amère (l'odeur d'effervescence), avant de repartir sur son scooter électrique.
«Dans l'ensemble et avec une palette extrêmement large, la France musicale dit beaucoup de choses», affirme Yann Zitouni, avant de rappeler que «si on s'en tient aux chiffres, Indochine et Jul, quoi qu'on en pense, sont les artistes français d'aujourd'hui».
Ceux d'hier, Brassens, Johnny, Aznavour ou Barbara, parlent encore à beaucoup de gens, des mots bleus qu'on dit avec les vieux, mais forcément, c'est toujours la même histoire, cette histoire que Zemmour voudrait réécrire tandis qu'Orelsan lui susurre au loin: «L'histoire appartient à ceux qui l'ont écrite.»