La barre symbolique des 10% d’intentions de vote franchie par Eric Zemmour fait trembler la baraque France. Un sondage paru mardi le crédite de 11% des voix au premier tour. Ce score à deux chiffres permet à l’éditorialiste identitaire d’atteindre un nouveau palier, celui de la «dynamique favorable». A partir de quoi accéder au second tour de la présidentielle devient envisageable. Il y a dix jours à peine, Eric Zemmour pointait à 8%. Nous évoquions alors son nom comme on parle d’une hypothèse, avec ses chances et ses faiblesses. L’«hypothèse», à présent, grandit.
Le «huitième passager» de la présidentielle 2022, l’alien du vaisseau électoral français, celui qu'on n'attendait pas, éliminera-t-il un à un ses concurrents? Parviendra-t-il à faire en France ce que Donald Trump a fait en 2016 aux Etats-Unis: gagner? Voyons comment celui qui n’est même pas encore candidat impose son nom et un programme entièrement centré sur l’identité.
Il ne porte pas de casquette. Son langage est châtié. Il mange des steaks-frites. Il n’a rien d’américain. Pourtant, les ressorts de sa campagne sont américains. Ou plutôt trumpiens. Eric Zemmour, amoureux des classiques français à tout point de vue, veut rendre à la France sa grandeur enfuie, son éclat perdu, selon sa définition de l’une et de l’autre.
Comme Trump, Zemmour est anti-mondialiste. Pour lui, il n’y a de principes qu’en défense des intérêts. La récente perte du «contrat du siècle», la vente de douze sous-marins français à l’Australie, apporte de l’eau à son moulin souverainiste, sorte de pragmatisme intégral. Comme Trump, Zemmour n’aime pas l’Otan, cette organisation militaire qui empêche de parler avec la Russie de Poutine.
Donald Trump s’était entre autres fait élire sur sa proposition d'édification d'un mur à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, qui s'ajouterait ou remplacerait des tronçons érigés sous de précédentes administrations. Il en avait entrepris la construction, qu'il n'avait pas pu terminer. Eric Zemmour veut lui aussi son mur, mais avec l’«islam».
Cet adepte de la théorie du «grand remplacement» prône la «remigration» d’immigrés musulmans, des concepts agités par l’extrême droite. Editorialiste sur la chaîne France 5, Patrick Cohen estime que «Jean-Marie Le Pen (réd: l’ancien président du Front national devenu le Rassemblement national) n’est jamais allé aussi loin qu’Eric Zemmour dans un projet qui sort du cadre républicain».
«Jean-Marie le Pen n’est jamais allé aussi loin qu’Eric Zemmour dans un projet qui sort du cadre républicain» rappelle Patrick Cohen. Il faut absolument se pencher sur le fond du discours de Zemmour pour cesser de le banaliser, comme cette abjecte «remigration». A écouter! https://t.co/ultIVM0msB
— Laure Daussy (@LaureDaussy) September 11, 2021
Comme Donald Trump, Eric Zemmour entend incarner une success story, mais «à la française». Qui ne devrait rien à l’argent – mal aimé en France – mais tout au mérite et à l’«assimilation», l’un des thèmes cardinaux du polémiste. Un parcours scolaire et migratoire que ce descendant de juifs d’Algérie entend opposer au mécanisme de la discrimination positive, aujourd’hui dominant dans le processus d’intégration des minorités et qu'il juge «suicidaire».
Comme pour Donald Trump en son temps, l’exagération, l’outrance, le trait grossi sont ses amis dans la période électorale qui s'ouvre. Il s'imagine dire ce que de nombreuses personnes pensent, mais se retiennent de formuler publiquement, qu'elles soient de gauche ou de droite. Dire ce qu'on voit serait devenu à beaucoup trop difficile. Pas à lui. Il se veut la voix de l’anti-politiquement correct.
A ce titre, il gêne Marine Le Pen, deuxième derrière Emmanuel Macron, en «dégringolade» avec 18 à 19% d’intentions de vote. Il pourrait faire chuter la candidate du Rassemblement national au premier tour. Elle qui espérait ratisser plus large en dédiabolisant son image.
Le «danger Zemmour» tient dans la capacité du candidat supposé à incarner la «seule solution possible» face à une situation décrite par tous les candidats, exception faite du président sortant qui devrait se représenter, comme désastreuse. Si le désastre est partout, alors, aux grands maux, les grands remèdes!
Du fait de son extrémisme, de son intransigeance, diront ses partisans, Eric Zemmour pourra apparaître comme le plus déterminé à lutter, pêle-mêle, contre le wokisme, l’islamisme, le djihadisme, des phénomènes et réalités pourtant combattus par d’autres, opposés à lui. Les sinistres fanfaronnades de Salah Abdeslam, principal accusé au procès des attentats du 13 novembre 2015, serviront ses arguments. Le risque existe, d'ailleurs, que ce procès et les victimes auxquelles il doit rendre justice soient éclipsés par l’omniprésence zemmourienne.
Les médias font-ils le jeu d’Eric Zemmour? Le reproche, venant principalement d'une gauche basse dans les sondages et comme impuissante à contrer celui qu'elle qualifie de «fasciste», ne cessera pas tant que ce candidat, pour l’heure non déclaré, demeurera en lice pour l’Elysée.
Le débat Zemmour-Mélenchon, jeudi à 20h45 sur BFMTV, s’annonce comme le rendez-vous clé de cette pré-campagne, alors que les candidats des partis traditionnels n’ont pas encore été désignés. Chacun voudra démontrer en quoi l’autre est une imposture. Si Zemmour devait sortir «victorieux» de ce face-à-face avec le leader de la France insoumise (gauche), il y aurait péril pour les figures du parti de droite Les Républicains, Valérie Pécresse et Xavier Bertrand, situées entre 12 et 14% des intentions de vote.
Si les courbes de Zemmour et de Bertrand se croisent avant que MLP passe en 3ème position, ce sera très positif pour le camp national et de nbreux LR devraient rejoindre Zemmour. Dans les derniers sondages Zemmour est à 11%, Bertrand à 14% et MLP à 18%.
— Jerome Lala ن (@JeromeLala1) September 21, 2021
Les partisans d'Eric Zemmour, qui aura fait son ascension sur des sentiments de dépossession et de relégation, comme avant lui Donald Trump aux Etats-Unis, se prennent à rêver d'un duel avec Emmanuel Macron.