Samedi 2 avril 2022, La Défense Arena, Paris. Sur l'estrade, Emmanuel Macron, saison 2, en téléchargement et en plein meeting. Au premier rang, Manuel Valls, Premier ministre de François Hollande, et Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre de Jacques Chirac. La gauche et la droite qui partagent l'accoudoir avec, comme point d'horizon commun, un avenir En Marche. Voilà l'ADN historique de celui qu'on a taxé de «président des riches» dès l'instant où sa gueule d'ange est venue décoiffer les (trop) confortables chamailleries des partis traditionnels.
C'était il y a cinq ans. Emmanuel Macron, 39 ans et quatre mois, devenait le huitième président de la Ve République. Le 7 mai 2017, faisant de l'ombre à la pyramide du Louvre, marchant seul, mais majestueux, sur L'Ode à la joie de Beethoven (on le lui reprochera), ce fils de profs ne réalisait pas encore que ses futures tempes grisonnantes allaient fleurir pour d'autres crises que celle de la quarantaine.
Aujourd'hui harcelé de toutes parts pour qu'il consente à participer à des joutes télévisuelles d'avant-première danse (en vain), Macron saison 1, lui, a longtemps représenté le candidat sans programme. Mais pas sans «proooojeeeeet». Lors de son dernier meeting de campagne, Porte de Versailles à Paris, l'ex-artilleur de la finance et chouchou de la banque Rothschild de 2008 à 2012 avait choisi de hurler pour ne pas avoir à étayer. Son coach vocal de l'époque avait d'ailleurs réduit sa prestation en une «débandade vocale».
Sans pour autant se priver d'un entourage passé finement au tamis (sa chère Brigitte en indispensable cheftaine), le président jupitérien n'en a toujours fait qu'à sa tête. «Quand je viens sur un sujet que j’ai choisi, je parle du sujet que j’ai choisi», avait-il balancé lors d'un déplacement dans le Limousin, le 9 juin 2017. Un an plus tôt, devant une petite bouffe amicale et le fils de Philippe de Villiers, Emmanuel Macron, alors ministre de l'Economie, n'avait eu rien de mieux à rétorquer que «Je prends mon risque!», quand le gamin lui promettait une défaite cuisante parce qu'il «est considéré comme le simple collaborateur de François Hollande». Précoce. Ambitieux. Doué. Agaçant. Prétentieux. Insaisissable. Voilà pour la carte Panini.
Le jeune président, incarnation de la génuflexion politique dite de l'«en même temps», a toujours annoncé vouloir parader sur un quinquennat social-libéral théoriquement casse-gueule. Tardif sur le gras de son programme, Emmanuel Macron a finalement été élu sur son seul vœu de moderniser le pays et de «libérer les énergies». Slogan? «Ensemble, la France!». Qui sonnait déjà comme un ferme «Debout, là-dedans!». Lignes directrices? Disrupter la protection sociale, bouffer de l'Europe au petit-déj, moderniser l'économie, émacier les rouages politiques et administratifs. Des réformes structurelles et institutionnelles, histoire de maquiller la France en un pimpant profil LinkedIn de start-up.
Petite boule puante qui a roulé sur tout son quinquennat: la suppression de l'impôt sur la fortune. Le célèbre ISF. «Cadeau fait aux riches» pour les moins groupies du patron, «rééquilibrage indispensable» pour ceux qui vivent leur meilleure vie, cette réforme bruyante (et difficile à évaluer cinq ans plus tard), a surtout collé au fond de teint d'un «président des 1%».
Une chose est certaine, en cinq petites années, Emmanuel Macron a dû se salir les ongles pour escalader un nombre inédit de crises majeures. Des crises qui ont bouleversé l'itinéraire d'un programme politique qui misait sur un ravalement de façade et l'avenir d'un pays plus agile, plus audacieux.
C'était sans compter le soulèvement cyclopéen de la mal nommée «France d'en bas», dès le 17 novembre 2018. Emmanuel Macron, alors pied au plancher pour retaper l'Hexagone, s'est cogné méchamment contre des Gilets jaunes en manque de fuel (et de justice sociale). Carrefour d'un malaise autrefois silencieux, le mouvement a paralysé le pays pendant deux ans, enflammé et durci les rues de Paris avec une rigueur hebdomadaire et cristallisé, sur tous les ronds-points du pays, les ceintures serrées d'une population «humiliée». En France, la fin de mois prenait soudain une tournure de fin du monde.
Et qui a failli se conclure par une fin de règne. Même s'il jure avoir anticipé cette révolte «mais pas à ce point», Emmanuel Macron a failli voir son pays lui glisser des mains. Il admettra tardivement qu'avec cette crise, «on a redécouvert la violence». A peine un mois plus tôt, cocasse croche-pied du calendrier, le président de la République ancrait dans une petite phrase le «mépris» que ses ennemis ne cesseront de lui reprocher.
#Macron et le mépris une longue histoire :
— Anonyme Citoyen (compte restreint) (@AnonymeCitoyenD) November 22, 2019
Septembre 2018 voilà ce qu'il disait a un jeune chômeur qui avait du mal a trouver du travail:
"Je traverse la rue je vous en trouve"#Macron #GiletsJaunes #greve5decembre #MacronAmiens#Amiens #Acte54pic.twitter.com/D6I89rMYGH
S'il ne boude pas son plaisir d'être toujours blotti dans les jupes de «mère finance», Emmanuel Macron n'a, en réalité, jamais cessé de diffuser à la fois le parfum d'une gauche «lève-toi et marche» et celui d'une droite «Je vous ai entendu». Brouiller les pistes, inlassablement, même devant des Gilets tachés de colère jaune. Et ça paraît presque simple dans sa tête: Tant que le Français se démerde pour driver sa life, l'Etat tendra de bon cœur le filet de sécurité. Mais gare aux feignasses.
Sauf que la guerre est venue gifler l'Elysée en stéréo. Le 16 mars 2020, sa harangue martiale et militaire devant des millions de Français résonnera de manière étrangement prémonitoire deux ans plus tard: «Nous sommes en guerre. Pas contre une autre nation, mais contre un ennemi invisible et insaisissable.» Emmanuel Macron avait volontairement brandi la «mobilisation générale» pour inaugurer, gueule grave et syllabe tendue, le «combat contre l’épidémie, de jour comme de nuit».
Si on lui reprochera notamment d'avoir séquestré ses citoyens «à l'italienne», le virus a offert à son costume de baby-trader arrogant ses premiers ourlets de baby-boss de l'Etat. Une guerre sanitaire qui l'a aussi durablement rapproché des Français. Le «président des élites» veut désormais protéger son peuple «quoiqu'il en coûte». «Ça lui a permis de mettre à l'évier ses deux premières années et de s'adresser de nouveau aux Français en tant que père de la Nation», confirme l'historien suisse, Joseph de Weck, basé à Paris. Mieux encore: Macron devenait brusquement le meilleur pote de Merkel et un capitaine européen crédible.
Du statut de chef d'une guerre invisible à celui de chef d'une guerre indicible, le président a probablement bétonné son deuxième mandat hors des traditionnels hémicycles, manches retroussées, capuche sur la nuque et Poutine au bout du fil.
L'invasion de l'Ukraine a définitivement archivé le programme politiquement scolaire d'un jeune président qui ne serait probablement pas parvenu à ranger ses boutons de manchettes s'il n'avait pas emprunté, sous des rires moqueurs, les fringues de Zelensky.
Samedi 2 avril 2022, La Défense Arena, Paris. Unique rencard filé par Emmanuel Macron à ses groupies les plus loyales. La «débandade vocale»? Du passé. Cette fois, au lieu du Louvre, le président l'ouvre. Trente mille paires de pupilles militantes autour d'un «phénomène qui va persister», comme le pariait son soutien de l'époque, Daniel Cohn-Bendit. Un meeting majoritairement décrit comme réussi et des slogans qui ont penché à gauche pour faire (un peu) oublier les chapitres radicalement à droite de son nouveau roman politique: la retraite à 65 ans ou la réforme du RSA.
Prime pour les salariés, meilleure pension pour les retraités, une poignée de petites révolutions pour les mères célibataires ou encore un cap ferme sur la santé et l'éducation, le président-candidat semble réaliser qu'à quelques vociférations du premier tour, pilonné par le scandale McKinsey, dans une France doublement fatiguée par des guerres et des violences à tous les étages, il faut marcher publiquement à gauche.
A 44 ans, le Jupitérien a quitté les étoiles pour retrouver la terre ferme. Toujours aussi clivant et insaisissable, le gosse des riches est devenu un homme. Entre deux coups de fil au Kremlin, il a réussi à faire oublier un bilan qui, s'il n'est pas catastrophique, se dévoile autrement plus tiède que la disruption made in start-up nation annoncée il y a cinq ans.
Ne soyons pas candides: Macron fait toujours du Macron. En choisissant par exemple d'offrir sa belle gueule au média Brut plutôt qu'à France 2. En gambadant sur la tête de ceux qu'il considère comme «des candidats politiques qui sont dans la violence et l'invective». En effrayant la France (de nouveau) silencieuse. En promettant de rebaptiser le factuel Pôle Emploi en un oppressant France Travail. En proposant de faire des bénéficiaires du RSA de simples collaborateurs de festival, avec l'obligation d'aligner jusqu'à vingt heures de bénévolat par semaine. En posant son coude, tel un Belmondo de l'Elysée, sur un dossier de siège de France Inter.
A quelques jours du premier tour, sa courbe d'intentions de vote est en demi-molle et sa fin de campagne trimballe un dernier lot de casseroles gorgées d'émotions: rien que mercredi, les familles d'Yvan Colonna et de Samuel Paty ont décidé de porter plainte contre l'Etat. De quoi faire définitivement trembler celui qui a déjà Marine Le Pen aux trousses?
Peu probable.
Ces derniers jours, l'ancien inspecteur des finances se contente de bomber le torse, d'abandonner doucement son allure maladroite du «Toutânmacron» et d'inclure les Français dans son check-up personnel.
Il y a cinq ans, la journaliste Christine Clerc disait que Macron était jugé «trop beau, trop jeune, trop gâté» pour gagner. En 2022, s'il est toujours ce candidat beau, jeune et gâté, le voilà désormais égratigné, expérimenté et... présidentiable.