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Comment une «flotte fantôme» transporte le pétrole russe

FILE - An oil tanker is moored at the Sheskharis complex, part of Chernomortransneft JSC, a subsidiary of Transneft PJSC, in Novorossiysk, Russia, on Oct. 11, 2022. A Russian official says the country ...
Des pétroliers comme celui-ci transportent du pétrole russe dans le monde entier ; mais à qui appartiennent-ils?image: keystone

Comment une «flotte fantôme» transporte secrètement le pétrole russe

A cause des sanctions, la Russie a dû chercher de nouveaux marchés et de nouvelles voies pour son pétrole brut – et elle les a trouvés. Mais qui transporte ces énormes quantités d'or noir?
06.03.2023, 06:2106.03.2023, 07:59
Carl-Philipp Frank
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Le pétrole russe est boycotté à l'Ouest, mais toujours demandé ailleurs. Avec la guerre en Ukraine et les sanctions contre la Russie qui l'ont accompagnée, le deuxième exportateur mondial de pétrole brut a dû se restructurer. Alors que l'Europe s'est séparée du pétrole russe, les pays asiatiques ont frappé fort.

Ainsi, depuis 2022, la Chine a importé 1,9 million de barils (environ 300 millions de litres) de pétrole russe par jour. C'est 19% de plus que l'année précédente, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE). L'Inde a augmenté ses importations de pétrole de manière encore plus marquée: 140 millions de litres de pétrole par jour en moyenne, soit près de 8 fois le volume importé avant la guerre. Auparavant, le pays se fournissait majoritairement en pétrole au Proche-Orient.

En janvier 2023, les exportations russes vers la Chine et l'Inde ont atteint un niveau record. En raison des sanctions, les prix du pétrole brut en provenance de Russie sont actuellement très bas, et le diesel et l'essence sont chers. La Chine en profite et a massivement développé sa propre industrie de transformation.

Plus de chemin à parcourir

Mais comment la Russie gère-t-elle ces nouvelles structures? Les voies de transport vers l'Europe sont nettement plus courtes que vers l'Asie – d'autant plus que la majorité des ports d'exportation et des terminaux pétroliers russes se trouvent à l'ouest. Selon un rapport de la chaîne de télévision CNN, la flotte russe ne suffit pas à couvrir tous les besoins en pétroliers. Il faut environ quatre fois plus de pétroliers qu'avant la guerre. C'est là qu'intervient la «flotte fantôme».

Les experts estiment que cette flotte compte environ 600 navires, soit environ 10% de tous les pétroliers du monde. Et ce nombre ne cesse de croître. A qui appartiennent ces navires et qui les exploite? C'est un mystère. Richard Matthews, responsable de la recherche chez EA Gibson, un courtier maritime international, divise le système pétrolier mondial en deux parties:

«Il y a la flotte qui n'a rien à voir avec la Russie. Et puis il y a celle qui n'est liée qu'à la Russie»

Mais la flotte oeuvrant pour la Russie n'est pas homogène, explique Matthew Wright de la société d'analyse de données Kpler. Celui-ci la divise en navires «gris» et «noirs». Les navires gris ont été vendus après le début de l'invasion russe – en majorité par des Européens à des entreprises du Proche-Orient et d'Asie qui n'avaient rien à voir avec le transport de pétrole auparavant.

Les navires noirs, en revanche, sont depuis longtemps dans le commerce du pétrole. Ils ont déjà été utilisés par l'Iran et le Venezuela pour contourner les sanctions occidentales et continuer à exporter du pétrole brut. Nombre de ces navires ont pour pratique de désactiver leur transpondeur AIS et d'opérer ainsi littéralement «sous le radar».

Qu'est-ce qu'un transpondeur AIS?
L'abréviation signifie Automatic Identification System ou système d'identification automatique. Ces appareils se composent d'un récepteur GPS et d'une radio de données. Le système AIS permet aux navires du monde entier de s'identifier entre eux et de transmettre des données importantes aux autres navires, mais aussi aux stations terrestres et aux centres de trafic sur la côte.
source: svb.de

La «flotte fantôme» continue de s'agrandir

Cela ne devrait pas fonctionner ainsi. Alors que les pays occidentaux ont interdit la plupart des importations de pétrole en provenance de Russie, le transport de pétrole russe n'est toutefois pas interdit aux entreprises occidentales. La seule condition est que les prix plafonds du Groupe des sept (G7) soient respectés. Ainsi, les navires appartenant à des Européens ont transporté 36% de tout le pétrole brut russe en janvier.

Mais que se passe-t-il si les prix plafonds ne sont pas respectés? Les dommages à la réputation et au porte-monnaie seraient grands; des risques trop importants pour que les compagnies maritimes occidentales se mettent le G7 à dos.

Activists of the environmental organization Greenpeace paint the words 'Oil fuels war' on the hull of a ship carrying Russian oil near the German island Fehmarn, Germany, Wednesday, March 23 ...
image: keystone

C'est pourquoi on estime que 25 à 35 navires sont vendus chaque mois à la «flotte fantôme». Global Witness, une organisation à but non lucratif, estime qu'environ un quart des achats de navires en janvier ont été effectués par des personnes inconnues. La demande de pétroliers pour les exportations de la Russie pourrait encore augmenter dans les mois à venir. En fonction de la capacité de la Chine à stimuler son économie post-covid, elle importera également davantage de pétrole russe.

Dangers économiques et environnementaux

Qui se cache donc derrière cette «flotte fantôme»? Certains soupçonnent l'Etat russe ou des personnes proches de l'Etat d'être derrière des entreprises qui se sont soudainement lancées dans le transport de pétrole à partir de rien, explique Sergei Vakulenko, autrefois à la tête d'une entreprise pétrolière russe.

Ainsi, le week-end dernier, l'Union européenne (UE) a sanctionné la société Sun Ship Management. Cette dernière appartient à Sovcomflot, l'une des plus grandes entreprises de fret russes. L'UE a fait valoir que cette société, enregistrée à Dubaï, «agissait comme l'un des principaux acteurs du transport de pétrole brut russe.» L'Etat russe serait le principal bénéficiaire de ces actions.

De plus, grâce à cette «flotte fantôme», la Russie pourrait plus facilement contourner les sanctions, comme l'ont déjà fait le Venezuela et l'Iran. Des experts, dont Vakulenko, ont ainsi trouvé des preuves que l'Urals, la principale variété de pétrole russe, est vendue en de nombreux endroits à un prix supérieur à celui autorisé par les plafonds de prix du G7.

Enfin, la «flotte de l'ombre» représente également un risque pour l'environnement:

«Les risques d'importantes fuites de pétrole ou d'accidents augmentent chaque jour»
Richard Matthews, responsable de la recherche chez EA Gibson

De nombreux navires «noirs» ont vraisemblablement plus de quinze ans. Les compagnies maritimes retirent généralement les navires de cet âge de la circulation, car l'usure devient alors un risque pour la sécurité. Mais aujourd'hui, de plus en plus de ces vieux pétroliers sillonnent les mers du monde. Et il est fort probable qu'ils ne soient pas entretenus comme ils le devraient, explique Richard Matthews à la CNN.

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