En Russie, les citoyens sont de plus en plus souvent intimidés par des formes archaïques d'humiliation et de bannissement. En clair: celui qui ne respecte pas les normes est puni. Il s'agit souvent d'une justice extrajudiciaire que le président Vladimir Poutine a encouragée, écrit l'historien Alexey Tikhomoriv dans une tribune publiée dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ).
Ainsi, sur le canal Telegram «Veuves de soldats de Russie», il a été déclaré début juillet que les patriotes avaient le droit de juger eux-mêmes les «traîtres de la patrie». La sentence peut aller «jusqu'à l'exécution, sans qu'un tribunal soit nécessaire». Il est difficile d'évaluer la force d'impact de ce type d'appel, précise Alexey Tikhomoriv.
Ce qui est certain en revanche, c'est que les témoignages de victimes s'accumulent. Selon l'article du FAZ, les jeunes exerçant des professions créatives sont particulièrement touchés par cette justice de la vengeance. Ainsi, en juillet, deux hommes ont coupé les cheveux et une partie du cuir chevelu d'un jeune homme de 19 ans, rapporte le portail médiatique russe indépendant Holod. Les hommes n'auraient pas apprécié la couleur des cheveux du jeune homme. Il portait une coupe iroquoise verte.
Depuis le début de la guerre, l'Etat agit comme contrôleur de la moralité, souligne Alexey Tikhomoriv. Ainsi, les forces de sécurité ont arrêté le TikToker moldave Nekoglai, l'ont frappé et lui ont rasé la tête. Il avait publié l'année dernière une vidéo parodique sur un soldat russe en Ukraine. Nekoglai aurait été déporté en Moldavie après avoir présenté des excuses publiques.
De son côté, Nikita Chouravel a été arrêté en mai à Volgograd. Il est accusé d'avoir brûlé un Coran. Poutine a décidé, contrairement aux règles de procédure, que le jeune homme serait jugé en Tchétchénie, pays majoritairement musulman.
Dans une vidéo de remords, Nikita Chouravel a déclaré avoir commis son crime sur ordre des services secrets ukrainiens et aurait demandé pardon devant la caméra aux musulmans du monde entier.
Selon Alexey Tikhomoriv, de telles excuses publiques devant la caméra sont systématiques et font partie intégrante de la «justice de vengeance».
Les vidéos sont ensuite postées sur des canaux Telegram patriotiques. Les personnes devant la caméra voient donc leur réputation voler en éclats. Ceux qui refusent de se prêter à l'exercice sont menacés de «jugement et de souffrance» dans les prisons et les établissements psychiatriques. En règle générale, les brimades contre les personnes accusées ne cessent qu'après cette «sorte d'autocritique devant la caméra», poursuit l'expert.
Mais il suffit parfois d'un rien pour que l'on soit contraint de réaliser de telles vidéos de remords et d'excuses. Deux hommes d'affaires auraient reçu des menaces les accusant de trahison et de comportement indécent après avoir porté des toasts tels que «A l'Ukraine». Selon le FAZ, ils se sont excusés par vidéo.
Trois autres femmes auraient été condamnées à une amende en Crimée pour avoir dansé sur une chanson de la pop star ukrainienne Verka Serduchka. Une vidéo de repentir a ensuite été publiée de leur part, dans laquelle elles chantaient:
Traduit et adapté de l'allemand par Nicolas Varin