La guerre en Ukraine s'est déplacée en grande partie vers le Donbass. Mais lundi, une énorme explosion a eu lieu dans le centre du pays.
Elle a été déclenchée par un missile russe qui s'est abattu sur un centre commercial très fréquenté de Krementchouk. Au moins 18 personnes ont perdu la vie dans cette attaque et une soixantaine ont été blessées, parfois grièvement, selon le gouverneur de la région de Poltava, Dmytro Lunin.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a parlé d'un «acte de terrorisme». Pourtant, ce carnage n'était peut-être pas voulu par l'armée russe, explique sur Twitter l'historien militaire britannique Chris Owen. Le missile pourrait tout simplement avoir manqué sa véritable cible, estime-t-il. Et ce, parce qu'il est vieux.
L'analyse de l'historien militaire britannique se base sur les caractéristiques du missile qui a frappé le centre commercial. Il s'agit vraisemblablement d'un missile Raduga Ch-22. Un véritable monstre de plus de 11 mètres de long pour 5600 kilos.
Les premiers missiles Ch-22 ont été mis à la disposition des forces aéronavales soviétiques à partir de 1962. A l'origine, le Ch-22 avait été conçu pour détruire les porte-avions et les unités de guerre navale de l'Otan – et ce, en un seul impact. Pour ce faire, les missiles ont été construits de manière à être incroyablement rapides et à pouvoir être équipés, au choix, d'une charge nucléaire.
Le fabricant des missiles, MKB Raduga, indique que la portée de l'arme est de 500 kilomètres. Le Ch-22 a une trajectoire relativement compliquée, c'est pourquoi il est plutôt difficile de l'intercepter.
Les Ch-22 sont plutôt imprévisibles, car ils ont une probabilité d'erreur de 200 à 300 mètres. Cela signifie qu'ils pourraient toucher n'importe quel point à cette distance de la cible prévue. Et c'est justement cette grande «marge d'erreur» qui pourrait avoir été fatale aux Ukrainiens à Krementchouk, comme l'analyse l'historien militaire britannique Chris Owen sur Twitter.
Les missiles qui ont frappé le centre commercial Amstor à Krementchouk auraient été tirés par un bombardier Tu-22 à la hauteur de la ville de Koursk, à l'ouest de la Russie. Krementchouk et Koursk sont distants d'environ 450 kilomètres à vol d'oiseau, une distance qui se situe dans la portée des missiles Ch-22.
Une autre bombe a frappé un stade de sport à proximité immédiate du centre commercial.
Owen pense que l'attaque russe n'a pas visé le centre commercial ou le stade, mais la PJSC Kredmash, une usine de machines. Elle est située au cœur de la ville et est entourée d'infrastructures civiles et d'habitations. Le centre commercial Amstor se trouve directement au sud de l'usine.
Comme l'indique un communiqué de l'ambassade russe à Londres, les forces armées russes sont parties du principe que des armes et des munitions fournies par les Etats-Unis et des pays européens étaient stockées dans cette usine.
Avec un missile moderne, comme le 3M-54 Kalibr (également fabriqué par MKB Raduga), la Russie aurait pu frapper avec précision l'usine de construction de machines sans grands dommages collatéraux civils, Owen en est certain. Mais avec cette vieille arme soviétique, conçue à l'origine pour faire exploser des porte-avions, l'armée russe a sciemment pris le risque de toucher des cibles civiles:
La machine de propagande russe tourne plein régime depuis l'attaque contre le centre commercial. Pourtant, il est possible de prouver ou de retracer un certain nombre d'éléments à l'aide d'informations accessibles au public.
L'ambassade russe en Grande-Bretagne a par exemple affirmé qu'il n'y avait pas de personnes dans le centre commercial au moment de l'attaque (contre l'usine de machines, il faut le souligner):
La propagande russe a donc affirmé que le centre commercial n'était pas ouvert au moment de l'impact.
En effet, le centre commercial est indiqué comme étant fermé sur Google depuis plusieurs semaines, mais certaines boutiques ont rouvert depuis juin, comme l'a reconstitué le journal Bild à partir d'anciens messages Telegram indiquant les heures d'ouverture actualisées. En outre, plusieurs témoins oculaires ont déclaré à la BBC et au Bild qu'ils s'étaient rendus dans le centre commercial au cours des derniers jours et semaines.
Une autre affirmation russe affirme que l'incident a été mis en scène par l'Ukraine. Les histoires ont été diffusées sur les canaux Telegram russes et par Dmitry Polyanskiy, l'ambassadeur adjoint de la Russie auprès des Nations unies. Toutefois, aucune preuve solide n'a encore été avancée par la Russie pour étayer cette affirmation.
Le 9 mai déjà, les services secrets britanniques ont supposé que la Russie devait désormais recourir à des munitions moins précises, car elle avait du mal à remplacer les armes de précision déjà usées.
Une chose est claire: depuis l'invasion russe de l'Ukraine, l'utilisation de missiles russes Raduga Ch-22 a été signalée à plusieurs reprises, particulièrement dans la région de Donetsk.
Le 30 mai, l'armée de l'air ukrainienne a réussi pour la première fois à abattre un Ch-22 avec un missile R-27. Le dimanche 5 juin au matin, cinq Ch-22 ont notamment été tirés en direction de Kiev par des bombardiers russes, probablement depuis la mer Caspienne, et l'un d'entre eux a pu être intercepté. Quatre Ch-22 ont touché l'usine de wagons Darnyzja à Kiev.
Chris Owell conclut son explication avec cette affirmation:
Article traduit de l'allemand par Léa Krejci