Rébellion de Wagner: récit d'une ahurissante démonstration de force
Des airs de Far West. Celui que l'on connaît grâce à John Wayne. Il est environ trois heures du matin lorsque, sur l'autoroute M4, non loin de Rostov-sur-le-Don, les premiers blindés de Wagner fendent la nuit, sous le bruit assourdissant des tirs de kalachnikov. C'est un message. Un avertissement, une opération punitive. Une démonstration de muscles ou un coup monté avec l'aval de Poutine lui-même.
Une chose semble certaine, Evgueni Prigojine (et une partie de sa milice) ne va faire qu’une bouchée de cette cité russe d'un million d'habitants, située à l'est de la Crimée. Sur ce même tronçon, dans la nuit noire, les Russes organisent des barrages routiers en urgence. Des affrontements ont lieu.
Nous sommes à quelques centaines de kilomètres de la frontière ukrainienne et celui qu'on aimait surnommer le «cuisinier de Poutine» affirme, quelques minutes plus tard, à l'aube et sur Telegram, qu'il contrôle désormais les «sites militaires» du patelin, dont le «quartier général» de l'armée russe.
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Le patron du groupe paramilitaire, qui a une dent (dure) contre le ministère de la Défense, accuse notamment les soldats du Kremlin d'avoir massacré un grand nombre de ses pions, ces dernières semaines.
Le centre-ville a encore les marques de l'oreiller sur son artère principale lorsque, vers 5 heures du matin, le poumon économique et scientifique du pays se fait secouer par un quadrillage bourrin et stratégique des mercenaires de Wagner. Et les premières images qui atterrissent sur les réseaux sociaux sont proprement hallucinantes.
Les traditionnelles e-trottinettes doivent désormais partager l'espace public avec des tanks imposants, rasant le gazon des parcs sur leur passage. Les stations-service se muent en baraquements de fortune. Les premiers promeneurs de chien et les fumeurs de clope en route vers la boulangerie se font voler la vedette par des snipers qui se postent au beau milieu des trottoirs.
Des scènes loufoques poussent à chaque coin de rue. Les cantonniers, les livreurs, les badauds, qui, malgré la prise de la ville par la milice Wagner, vaquent à leurs occupations habituelles. La tension est palpable, mais rien n'indique (encore) que les choses risquent de dégénérer. De son côté, le gouverneur de la région de Rostov, Vasily Golubev, appelle «tous les habitants à s'abstenir de se rendre dans le centre-ville et à ne pas quitter leur domicile».
Un message officiel qui semble tomber dans l'oreille d'un sourd, tant les vidéos montrant les tanks postés à tous les carrefours pullulent sur les réseaux sociaux. On y découvre des attroupements de travailleurs plutôt calmes aux arrêts de bus et les fenêtres des immeubles sont infestées de curieux, armés de leur smartphone.
"oh, let me clean that up real quick. Trust me, you don't wanna take fire and bleed out on a dirty pavement" pic.twitter.com/ioiSDUxvCC
— Thomas van Linge (@ThomasVLinge) June 24, 2023
Plusieurs vidéos ont ensuite fait leur apparition. A commencer par le compte Telegram de Prigojine. Bien qu'on ne puisse pas formellement dater ces séquences, on y voit notamment le «cuisinier de Poutine», face caméra, au cœur de Rostov, annoncer que ses hommes sont prêts «à marcher vers Moscou» si on ne lui remet pas «le chef de l’état-major, Valéri Guérassimov, et le ministre de la Défense, Sergueï Choïgou».
Dans une autre séquence, assez ahurissante, le patron de Wagner, le vice-ministre de la Défense russe Iounous-bek Evkourov et le chef d'état-major adjoint Vladimir Alexeyev font le point. Nous sommes au quartier général du district militaire sud à Rostov-on-Don. En arrière-plan, des habitants s'affairent, au calme. Quelques heures à peine avant ce briefing improvisé, Alexeyev publiait une vidéo sur Telegram, pour évoquer un «coup de poignard dans le dos du président» et appeler les mercenaires «à revenir à la raison».
En réalité, la discussion part dans tous les sens. Mais on comprend bien que Prigojine, manifestement très sûr de lui, fait littéralement la morale à ses interlocuteurs.
Extrait d'un échange, retranscrit par le média indépendant Meduza:
- Evkourov: Arrête de me parler sur ce ton!
- Prigojine: Mais oui, bien sûr.
- Evkourov: Quel genre de négociations pouvons-nous espérer sur ce ton?
- Prigojine: Ecoute. Une fois de plus. Une fois de plus... Si nous vous parlions tous sur un ton normal, nous ne serions pas arrivés ici en chars. Tu comprends?
- Evkourov: Vous pensez que tout ce que vous faites en ce moment est juste. Que c'est correct? Hein?
- Prigojine: Tout à fait. Nous sommes en train de sauver la Russie.
Peu avant 10 heures, Vladimir Poutine prenait la parole, pour évoquer, lui aussi, un «coup de poignard» et promettant une «punition exemplaire pour les traîtres». Le responsable de la rébellion, assurant que sa milice et lui-même sont prêts à mourir dans cette mission, n'a pas attendu avant de réagir: «Poutine a fait le mauvais choix. Le pire pour lui. Bientôt, nous aurons un nouveau président».
