C'est l'un des derniers opposants de Vladimir Poutine à ne pas avoir (encore) été condamné à une longue peine de prison ou à avoir fui dans des contrées très, très, lointaines. Ilia Iachine, condamné fin juin à quinze jours de détention pour «désobéissance envers la police» est toujours derrière les barreaux. Mi-juillet, nouvelle affaire: le voilà accusé de «diffusion de fausses informations». Une enquête criminelle a été dégoupillée et l'homme de 39 ans risque désormais jusqu'à quinze ans de détention.
Depuis sa cellule, l'ami du militant anti-corruption Alexeï Navalny ne se retient pas de communiquer avec l'extérieur. Dans des posts Telegram, le célèbre prisonnier déroule son quotidien. Au programme, propagande, «torture» et café Starbucks (ou presque). Lundi, il a également donné sa toute première interview depuis qu'il a été conduit au centre de détention de Petrovka. Il affirme notamment ne «pas regretter» d'avoir pris la décision de rester en Russie, «malgré les risques».
Tous les soirs, Ilia Iachine boit du thé. Il raconte qu'à travers la «mangeoire», les détenus reçoivent une tasse en métal, des feuilles de thé et de l'eau bouillante. Histoire de donner un peu de rondeur à la boisson, le sucre est autorisé.
Mardi, par l'intermédiaire d'un long post sur Telegram, l'opposant a décrit le rythme de vie «dans l'IVS» (réd: centre de détention provisoire). Dès le réveil, à 6 heures, l'hymne national russe retentit et «voilà que commence une grande journée de lavage de cerveau».
Une fois sur ses deux pieds, le détenu reçoit des nouvelles chaudes du front. Une information forcément partiale. «Les nouvelles se ressemblent toutes. On nous décrit les frappes russes chirurgicales sur les QG militaires ennemis. Ou comment les "punisseurs ukrainiens" bombarderaient quotidiennement des zones résidentielles, des jardins d'enfants.»
Au programme également, des poèmes audio, des émissions de radio à la gloire du «courage russe» et de la vantardise militaire en intraveineuse. «On nous bassine avec l'efficacité de nos soi-disant héros au combat en Ukraine. C'est fou comme ils se mettent toujours sur un pied d'égalité avec les vétérans de la Grande Victoire de 1945.»
Ilia Iachine décrit le programme de ses journées comme un menu de restaurant. Si bien que «pour le dessert», c'est une grande rasade de chansons du Printemps russe, interprétées d'une «voix nasillarde» par des chœurs amateurs, entrecoupées d'hommage à la victoire du port de Marioupol.
L'opposant au régime de Poutine explique ensuite comment cette propagande ressemble comme deux gouttes d'eau à un véritable supplice. Selon lui, toujours sur Telegram, «l'Organisation des Nations unies (ONU) devrait reconnaître l'écoute forcée d'émissions de propagande du matin au soir, comme une forme de torture. C'est insupportable».
Malgré tout, Ilia Iachine ne condamne pas tout ce qu'il vit en prison. Il évoque notamment «la gentillesse des gardiens» qui n'hésitent pas à glisser «plus de couvertures» aux détenus quand ils le demandent. «L'un d'eux m'a même dit "Ilya, tiens bon". Des moments comme ceux-ci renforcent le sentiment de justesse morale.»
Dans l'interview qu'il a donné lundi à la BBC, il évoque le risque de perdre la foi et la motivation de combattre le régime de Poutine. «Il y a parfois un sentiment d'apathie, mais je ne veux pas m'apitoyer sur mon sort. Je ne m'aime vraiment pas comme ça, donc ça ne dure pas longtemps.»
Il termine son message Telegram par une sorte de mantra psychologique, qui justifie aussi le fait qu'il ne fuira jamais la Russie: «Après tout, ce n'est pas celui qui est le plus fort en ce moment qui gagne, mais celui qui est prêt à aller jusqu'au bout».