Pour beaucoup, en Suisse, Kaliningrad reste associée à la victoire de la Nati contre la Serbie à la Coupe du monde 2018 et la polémique des aigles albanais. Quatre ans plus tard, la présence dans l'actu chaude de la ville-enclave russe ne dépend plus du tout d'un match de football, mais bien de la situation géopolitique très tendue dans la région.
La Lituanie a décidé, le week-end dernier, d'empêcher les marchandises russes à destination de Kaliningrad de transiter par son territoire. De quoi faire rougir de colère Vladimir Poutine, qui a promis de «sérieuses représailles» contre le pays balte, dont la population souffrira de «conséquences négatives».
Si la réaction de la Russie est si agressive, c'est parce que Kaliningrad représente énormément pour elle. Tant symboliquement que militairement.
Fondée en 1255, la ville – initialement appelée Königsberg – est restée germanique de ses débuts jusqu'en 1945. Avec la défaite allemande lors de la Seconde Guerre mondiale, son territoire a été rattaché à l'URSS, conformément aux accords de Yalta et Potsdam.
S'en est suivi, logiquement, une politique de soviétisation de la ville et d'effacement de son caractère germanique: populations allemandes chassées au profit de l'arrivée d'habitants de l'URSS, changements de noms de rues et bien sûr de celui de la ville. Elle a été renommée Kaliningrad (la ville de Kalinine) en 1946, en hommage à Mikhaïl Kalinine, le président du Soviet suprême décédé la même année.
Bastion soviétique le plus occidental, Kaliningrad a servi à l'URSS de balcon sur l'Europe. Il s'est rapidement mué en place forte militairement, de par sa position géographique stratégique. Au bord de la mer Baltique, la ville est, encore aujourd'hui, le siège de la flotte russe de la Baltique. Le port de Kaliningrad présente un grand avantage, tant commercial que militaire: contrairement à celui de Saint-Pétersbourg, il est dépourvu de glace toute l'année, et donc à tout moment praticable.
La situation de Kaliningrad a été bouleversée en 1991, quand les pays baltes ont acquis leur indépendance de l'URSS. Frontalier de la Lituanie, l'oblast de Kaliningrad – 205 kilomètres d’Ouest en Est, 108 du Nord au Sud, soit environ deux fois la Suisse romande – s'est retrouvé soudainement isolé. Le territoire, resté russe, a été détaché du reste de la Russie, dont la ville la plus proche (Pskov) est à 600 kilomètres et séparée par trois frontières.
L'isolement de Kaliningrad s'est renforcé quand ses voisins polonais et lituanien ont rejoint l'Otan, respectivement en 1999 et 2004. En réaction à cet encerclement devenu hostile, la Russie a intensifié sa présence militaire dans son enclave. En 1999, elle y lançait sa plus grande manœuvre militaire depuis des années avec un exercice au nom explicite de «Zapad 99» (Ouest 99), qui simulait une attaque de Kaliningrad par l'OTAN.
L'enclave abrite, depuis ce moment, de nombreux missiles dirigés vers l'Ouest. Son armement s'est encore musclé ces dernières années, avec le début des combats dans l'Est de l'Ukraine et en Crimée (2014). Depuis 2016, des missiles nucléaires sont présents à Kaliningrad. Un système de défense antiaérien et antimissile est venu s'ajouter à l'arsenal.
Juste avant l'invasion russe de l'Ukraine en février, ce dernier a été complété par des missiles Kinjal à ogive nucléaire. Leur particularité? Leur portée de 2400 kilomètres. Ils sont donc capables de frapper toutes les capitales d’Europe de l’Ouest, à l'exception de Madrid et Lisbonne.
De quoi, pour l'enclave et ses 10 000 soldats, rouler les mécaniques face à l'Otan et ses deux voisins membres de celui-ci et pro-Ukraine. Outre les menaces militaires, la Lituanie et les deux autres pays baltes (Lettonie et Estonie) peuvent craindre à leur tour un isolement. Seul l'étroit corridor de Suwalki (65 km) les relie – par voie terrestre – au reste des pays de l'Union européenne et de l'Otan. Problème: il est coincé entre l'oblast de Kaliningrad et la Biélorussie, pays allié de la Russie et où sont désormais présents des soldats russes.
Toutes ces caractéristiques font donc de Kaliningrad un endroit hautement stratégique pour la Russie, que celle-ci ne veut et ne peut pas affaiblir.