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Ces touristes sont priés de ne pas parler de Pablo Escobar

Escobar? Beaucoup de Colombiens aimeraient s'en libérer. Mais rien n'est si simple.
Escobar? Beaucoup de Colombiens aimeraient s'en libérer. Mais rien n'est si simple.image: getty

On a visité la ville où il ne faut pas «parler de Pablo Escobar»

La Colombie attire de plus en plus de touristes, notamment grâce à des séries comme Narcos. Mais le phénomène déplaît à la population locale. Mieux vaut faire preuve de doigté.
01.06.2025, 18:5001.06.2025, 23:49
Gregory Remez, Medellin / ch media
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Les nuages sont bas sur Medellín, ils font pâlir le vert habituellement saturé de la végétation. Un cortège de camions s'engage sur un pont en périphérie de la ville. A sa tête, une jeep avec deux occupants, qui discutent énergiquement.

Avant même de pouvoir franchir l'ouvrage, des policiers les arrêtent. Ils doivent descendre du véhicule et sont priés de présenter les documents relatifs au chargement du camion. Ils refusent.

Au lieu de cela, l'un des hommes demande aux agents de faire un choix: «Écoutez, les affaires, ce sont toute ma vie. Donc à vous d'accepter mes conditions ou de subir les conséquences», dit-il calmement avant de laisser échapper une phrase qui sera par la suite reprise sur des T-shirts: «Plata o plomo, l'argent ou le plomb».

Traduction approximative:

«Bouffe ou crève»

La scène est tirée de la série Netflix Narcos. On doit cette expression à Pablo Escobar, célèbre baron colombien de la drogue, dont l'héritage pèse encore aujourd'hui sur le pays sud-américain.

Une grande majorité de ses ressortissants aimerait s'en libérer. Mais rien n'est si simple. Le nom d'Escobar a durablement ruiné la réputation de leur pays. La cocaïne colle à la peau des Colombiens comme la vodka à celle des Russes. Ou l'odeur de l'argent à celle des Suisses.

Les goodies à l’effigie de Pablo Escobar à Medellín
Les goodies à l’effigie de Pablo Escobar à Medellín getty

Et le mythe survit encore plus de 30 ans après sa mort. Chaque année, il attire des milliers de visiteurs du monde entier en Colombie. Le souvenir du mafieux fait recette aujourd'hui encore. Au grand dam d'une majeure partie de la population.

Pablo Escobar, une icône pop

T-shirts, verres à shots, gommes. Le merchandising à l'effigie de l'ancien baron de la drogue a de quoi donner le tournis. Des articles que l'on retrouve avant tout dans les hauts lieux touristiques de Medellín, deuxième ville du territoire, où sévissait autrefois le cartel d'Escobar. L'assortiment coloré témoigne d'une demande soutenue.

La vodka Pablo Escobar
La vodka Pablo Escobarimage: pabloescobarvodka.com

En Europe aussi, Escobar se vend désormais comme une marque. Récemment, le principal quotidien colombien, El Tiempo a poussé un coup de gueule contre une «vodka Escobar» de Pologne. Le trafiquant fait depuis longtemps partie de la culture pop, et ce bien au-delà des frontières nationales.

Mais attention à ne pas prendre tout ce grabuge trop au sérieux. Il s'agit avant tout d'un clin d'œil inoffensif pour touristes imprudents ou grisés. Cela ne fait cependant pas rire la plupart des Colombiens, que cette récupération commerciale n'amuse guère. Ils la trouvent grossière et ne supportent pas qu'elle continue à défigurer leurs rues.

Ils n'apprécient pas davantage des séries comme Narcos. A leurs yeux, celles-ci cultivent la réputation de la Colombie comme haut lieu de la drogue et entretiennent artificiellement le mythe d'Escobar. Carlos Salazar, sociologue à la retraite qui a longtemps travaillé avec les indigènes, souligne:

«On devrait comprendre que notre pays a autre chose à offrir que la plante de coca. Nous faisons aujourd'hui partie des plus grands producteurs mondiaux de café, de sucre de canne et de fleurs coupées. Nous exportons des fruits, des légumes, du bois, du plastique, des métaux rares. Et pourtant, quand ils entendent parler de la Colombie, les gens pensent d'abord à Escobar. Cela devrait nous faire réfléchir».

Celui dont il ne faut pas prononcer le nom

A Medellín en particulier, les gens n'aiment pas qu'on leur remémore ce passé sombre. Qui pourrait le leur reprocher? Au milieu des années 1980, alors que le cartel vivait son apogée, la ville était considérée comme la plus dangereuse de la planète. Rien qu'en 1985 et 1986, plus de 5000 personnes y ont été assassinées par le groupe criminel, selon la Drug Enforcement Administration (DEA) américaine.

La tombe de Pablo Escobar à Itagüí, au sud-ouest de Medellín, est un lieu de pèlerinage populaire.
La tombe de Pablo Escobar à Itagüí, au sud-ouest de Medellín, est un lieu de pèlerinage populaire.getty

Aujourd'hui, les touristes de passage seraient donc bien inspirés de rester discrets à ce sujet. Dans un guide touristique, on trouve par exemple une rubrique:

«Choses à éviter à tout prix à Medellín»

Elle contient des astuces socioculturelles et de la vie quotidienne, telles que «ne pas forcer les portières de voiture» ou «ne pas s'habiller de manière trop voyante». Mais elle conseille aussi avec insistance de «ne pas évoquer Escobar avec les locaux».

Dans le même ouvrage, on trouve toutefois de nombreuses références à des lieux qui rappellent le mafieux et sa vie de débauche. Ceux qui souhaitent partir sur les traces du chef de cartel, autrefois l'homme le plus riche du monde, ne seront pas déçus.

C'est ce qu'on appelle le narco-tourisme. Et nombreux sont ceux qui s'y adonnent malgré eux.

Le Musée Escobar à Medellin.
Le Musée Escobar à Medellin.getty

Il y a par exemple l'ancienne maison d'Escobar à l'est de la ville, qui abrite aujourd'hui un musée. En déambulant dans les pièces de cette petite bâtisse à la façade blanche, on se voit servir un pot-pourri de souvenirs de l'époque. De l'art, du kitsch, des armes, un jet-ski du James Bond L'espion qui m'aimait, qu'Escobar s'était procuré autrefois. Et partout, des photos censées prouver l'authenticité des reliques.

A cela s'ajoutent ses propriétés de luxe. Comme l'hacienda Nápoles, à environ trois heures et demie de route à l'est de Medellín, qu'Escobar s'est fait construire comme un refuge au plus fort de sa folie des grandeurs. Le domaine a une surface équivalente à environ 4200 terrains de football. Il compte un lac artificiel et un zoo privé, où 1700 employés s'occupaient autrefois de la famille du gangster. Il s'est transformé depuis en un parc à thème très fréquenté.

La finca La Manuela à Guatapé se trouve à mi-chemin de l'hacienda Nápoles. Sur cette propriété, bombardée en 1993 par une bande rivale, les visiteurs peuvent désormais faire une partie de paintball pour quelques pesos.

Autrefois villa de luxe, aujourd'hui arène de paintball: la Finca La Manuela au bord du lac de Guatapé.
Autrefois villa de luxe, aujourd'hui arène de paintball: la Finca La Manuela au bord du lac de Guatapé.getty

Escobar, producteur de cocaïne nº1

Cette manière de considérer l'héritage d'Escobar, en faisant fi de l'histoire, irrite bon nombre de Colombiens. Ce sont en partie les descendants du personnage qui gèrent le patrimoine familial. Outre Roberto, le frère de Pablo, ses enfants dirigent des musées avec des boutiques de souvenirs à Medellín et dans les environs.

Les autorités suppriment de temps à autre l'un des monuments commémoratifs à l'effigie du mafieux et quelques initiatives législatives tentent d'interdire la vente de produits dérivés. Mais pour de nombreux Colombiens, les autorités demeurent trop laxistes.

Ils estiment également que l'Etat n'en fait pas assez pour redorer son blason. La Colombie reste le numéro un incontesté des producteurs de cocaïne. Selon les données de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), en 2020, environ 61% de la cocaïne commercialisée autour du globe en était issue.

Depuis, les surfaces cultivées pour la feuille de coca continuent de croître allègrement. La pandémie a renforcé ce phénomène, car il y a eu moins de contrôles et une plus grande détresse économique chez les paysans. Malgré les milliards investis dans la lutte contre la drogue, la Colombie produit aujourd'hui quatre fois plus de cocaïne qu'il y a dix ans, selon l'ONUDC.

Poser avec un flinge et une valise pleine de billets

Le problème, c'est que cette question reste la motivation première d'une foule de touristes qui ont choisi cette destination. Là où les paradoxes du narco-tourisme apparaissent plus clairement que nulle par ailleurs, c'est dans la Comuna 13, un quartier précaire des collines ouest de Medellín, considéré comme dangereux à l'époque du cartel. Il propose désormais des visites guidées de plusieurs heures pour partir sur les traces du narcotrafiquant.

En 2011, un gigantesque escalier roulant en plein air y a été installé. Un projet de revalorisation de la zone qui a fait la une des journaux à l'international. Aujourd'hui, une rue festive et bruyante serpente à travers ce qui fut l'épicentre de la guerre contre la drogue.

Au milieu des maisons en briques sans fenêtres et recouvertes de tôle ondulée, on danse et on fait la fête comme si aucun coup de feu n'avait jamais été tiré ici. A la place, il y a des shooters. Bistrots et magasins se succèdent. L'air est chargé d'une odeur de viande grillée et d'une cacophonie de sons latinos.

Et puis, il est soudain de retour. En personne, bien sûr. Un pistolet dans la main droite, une valise pleine de billets dans la gauche, il crie du haut d'une estrade:

«Avant, j'aidais les pauvres du quartier. Aujourd'hui, vous pouvez prendre une photo avec moi. Pour seulement 10 000 pesos»
(un peu plus de 2 francs)

La foule autour rit. Quelqu'un finit par prendre un selfie avec le sosie moustachu. Clic, clic. Beau souvenir d'Escobar. Pendant ce temps, un couple âgé contourne le petit attroupement. La femme regarde son mari et secoue la tête. Elle préférerait sans doute oublier tout ça.

(Traduit et adapté par Valentine Zenker)

La villa de Audrey Hepburns
1 / 8
La villa de Audrey Hepburns
La villa vue de l'extérieur.
source: ealestate.juliusbaer.com
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