Les sanctions contre la Russie sont-elles utiles? Oui. Elles frappent déjà durement le président Poutine et ses complices, et leur impact sur l'économie russe ne fera que s'accentuer au fil du temps.
Depuis que la Russie a enfreint le droit international en envahissant l'Ukraine, l'Union européenne a mis en place six paquets de sanctions contre Moscou. Nos mesures visent désormais près de 1200 personnes et 100 organisations en Russie, ainsi qu'un nombre considérable de secteurs de l'économie russe. Ces sanctions ont été adoptées en concertation avec les membres du G7.
Leur efficacité est renforcée par le fait que plus de 40 autres pays, dont la Suisse et d'autres pays traditionnellement neutres, les ont aussi adoptées ou ont pris des mesures similaires.
Ces décisions nous libèrent progressivement d'une dépendance qui a longtemps freiné nos décisions politiques face à l'agressivité de Poutine. Ce dernier pensait sans doute que l'Europe limiterait la sévérité de ses sanctions en raison de sa dépendance énergétique. Une des nombreuses erreurs d'appréciation commises par le régime russe dans ce conflit, et pas des moindres.
Certes, se détourner aussi rapidement de l'énergie russe entraîne aussi des difficultés pour de nombreux pays et secteurs économiques de l'UE. Mais c'est le prix à payer pour la défense de nos démocraties et du droit international. Nous prenons les mesures nécessaires pour faire face à ces problèmes de manière solidaire.
Très bien, diront certains, mais ces sanctions ont-elles au moins un impact réel sur l'économie russe? La réponse est oui. Car si la Russie exporte de grandes quantités de matières premières, elle est également contrainte d'importer de nombreux produits à haute valeur ajoutée qu'elle ne fabrique pas elle-même.
Dans le domaine militaire, primordial dans le contexte de la guerre en Ukraine, les sanctions limitent la capacité de la Russie à produire des missiles de précision comme l'Iskander ou le KH 101. Presque tous les constructeurs automobiles étrangers ont décidé de se retirer de Russie et les rares voitures produites par les constructeurs russes sont vendues sans airbag ni transmission automatique.
L'industrie pétrolière souffre non seulement du départ des opérateurs étrangers, mais aussi de la difficulté d'accéder à des technologies de pointe telles que le forage horizontal. La capacité de l'industrie russe à mettre en service de nouveaux puits sera probablement limitée.
Pour maintenir son trafic aérien, la Russie doit mettre hors service une grande partie de ses avions: elle les utilise comme réservoirs de pièces de rechange dont elle a urgemment besoin pour faire voler ses autres appareils.
A cela s'ajoutent la perte d'accès aux marchés financiers, la rupture avec les grands réseaux de recherche mondiaux et une fuite massive des cerveaux.
Jusqu'à présent, le gouvernement de Pékin, fortement dépendant de ses exportations vers les pays industrialisés, n'a globalement pas permis à la Russie de contourner les sanctions occidentales. Les exportations chinoises vers la Russie ont diminué dans des proportions similaires à celles des pays occidentaux.
Ces conséquences importantes – et croissants – inciteront-elles Poutine à modifier sa réflexion stratégique? Probablement pas dans l'immédiat, car ses actions ne sont pas guidées en premier lieu par une logique économique. Les sanctions l'obligent, toutefois, à choisir entre le beurre et les canons, et le maintiennent dans un étau qui se resserre peu à peu.
Reste l'impact de ces sanctions sur les pays tiers, et notamment sur les pays africains, qui dépendent du blé et des engrais russes et ukrainiens. Les responsabilités dans la crise alimentaire sont claires: nos sanctions ne visent en aucun cas les exportations de blé ou d'engrais russes, alors que le blocus de la mer Noire et les destructions causées par l'agression russe empêchent l'Ukraine d'exporter son blé.
Si des difficultés potentielles liées à nos sanctions devaient effectivement survenir, nous sommes prêts à prendre les dispositions nécessaires pour y répondre. J'en ai informé mes homologues africains, tout en leur demandant de ne pas se laisser duper par la désinformation des autorités russes au sujet de nos sanctions.
La véritable solution aux difficultés sur les marchés mondiaux de l'énergie et de l'alimentation est la fin de la guerre. Et cela ne peut pas se faire par l'acceptation d'un diktat russe, mais par le retrait de la Russie d'Ukraine.
Le respect de l'intégrité territoriale des Etats et le non-recours à la force ne sont pas des principes occidentaux ou européens. Ils sont le fondement du droit international. La Russie les bafoue. Accepter une telle violation serait la porte ouverte à la loi de la jungle au niveau mondial.
Contrairement à ce que nous pensions avec une certaine naïveté il y a encore quelques années, l'interdépendance économique ne signifie pas automatiquement une pacification des relations internationales. De ce fait, le passage à une Europe-puissance, que j’appelle de mes vœux depuis le début de mon mandat, est un impératif.
Nous avons montré que l'Europe sait réagir lorsqu'elle est provoquée. Nous ne voulons pas d'affrontement militaire avec la Russie, nos sanctions économiques constituent aujourd'hui le cœur de cette réponse. Elles commencent déjà à produire leurs effets et le feront encore plus dans les mois à venir.
Il est particulièrement important à ce stade que les démocraties occidentales se serrent les coudes et agissent ensemble. D'une part, nous devons maintenir la pression sur la Russie, d'autre part, nous devons donner à l'Ukraine des perspectives d'avenir pour l'après-guerre – un avenir de liberté, de démocratie et de prospérité. En accordant à l'Ukraine le statut de candidat à l'UE, l'Union européenne lui a tracé une perspective politique claire en ce sens.
Le deuxième thème est la reconstruction du pays ravagé par la guerre.
Les principes qui seront adoptés à Lugano serviront de ligne directrice pour la reconstruction et l'ancrage solide de l'Ukraine dans les valeurs européennes et occidentales.
(aargauerzeitung.ch)
Article traduit de l'allemand par Léa Krejci