Monsieur Annen, au moins 20 personnes ont perdu la vie dans une attaque contre un centre commercial de la ville de Krementchouk, au centre de l'Ukraine, la semaine dernière. Cette attaque vous surprend-elle?
Hubert Annen: D'un point de vue psychologique, pas du tout. Il y a déjà eu plusieurs attaques au cours desquelles la population civile a été prise pour cible. Cela fait partie du conflit et représente une tentative de fatiguer la population ukrainienne et de lui ôter tout espoir. Cela peut donc être interprété comme une attaque ciblée sur le moral des Ukrainiens.
Ces derniers temps, la Russie a attaqué de plus en plus de cibles civiles éloignées du front. Peut-on observer une radicalisation de la conduite de la guerre?
Tout à fait. La Russie a plus d'armes et aussi plus de soldats, qui semblent traiter la vie humaine de manière très superficielle. C'est presque une conséquence logique que la conduite de la guerre évolue dans cette direction.
Est-il donc inévitable que la guerre devienne de plus en plus cruelle au fur et à mesure qu'elle dure?
D'un point de vue psychologique, oui. La guerre du Vietnam en est un exemple frappant. Le comportement des soldats américains et la rhétorique des hommes politiques sont devenus de plus en plus radicaux au fil des années. Les limites sont dépassées pendant la guerre. Il y a une citation de Shakespeare dans Macbeth qui décrit parfaitement ce phénomène:
Quel est l'impact psychologique de telles attaques sur la population civile?
Les Russes donnent le sentiment à la population ukrainienne qu'elle ne peut plus se sentir en sécurité nulle part. Elle n'a plus de lieu de refuge. Cela peut finir par épuiser et influencer la volonté de résistance.
L'effet inverse n'est-il pas également possible? Que de telles attaques soudent les gens et remplacent la lente lassitude de la guerre par une détermination qui s'enflamme à nouveau?
C'est possible. La condition préalable est, toutefois, d'avoir des possibilités de réagir. L'armée ukrainienne se plaint, depuis des mois, de ne pas avoir assez de matériel de guerre. On lit également de plus en plus souvent que les soldats sont épuisés de la guerre.
Et ils ne sont pas seulement fatigués. Les deux camps subissent de lourdes pertes parmi leurs meilleurs combattants. Quelle influence cela a-t-il sur le moral des troupes?
Lorsque des personnes qui jouent un rôle de modèle tombent dans nos rangs, cela peut considérablement démotiver. Comme vous l'avez déjà fait remarquer, cela peut aussi déclencher un élan de motivation. Mais il faut qu’il y ait des personnes capables de combler ce vide.
Vous avez évoqué la lassitude de la guerre. Combien de temps un être humain peut-il supporter la vie sur le front, sous les bombardements et les missiles continus?
Cela dépend beaucoup de la mesure dans laquelle les besoins psychologiques de base peuvent être comblés. Une bonne camaraderie au sein de la troupe peut contribuer à supporter de telles situations très longtemps. On l'a vu pendant les guerres mondiales.
Y a-t-il d'autres facteurs?
A cet égard, la guerre n'est pas fondamentalement différente de la vie civile. De temps en temps, il faut avoir un sentiment de réussite. Nous pouvons persister dans nos actions, si nous pouvons triompher de temps en temps. En Ukraine, un succès pourrait être de repousser une troupe. C'est aux dirigeants de le communiquer correctement.
Les dirigeants ont donc généralement une grande responsabilité lorsqu'il s'agit du moral des troupes...
Absolument. La sollicitude est ici élémentaire. Les soldats doivent sentir que leur supérieur s'engage pour eux. Cette attention et ce soutien doivent également venir du gouvernement et de la population. On le voit bien avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky:
Les Ukrainiens sont-ils meilleurs que les Russes?
Les Ukrainiens s'en sortent bien. Comme ils se battent pour leur patrie, ils ont déjà un avantage moral en général. Il faut, toutefois, garder à l'esprit que le moral a aussi ses limites. Bien sûr, une équipe de football inférieure peut gagner contre un meilleur adversaire avec un bon état d'esprit, mais si les différences de qualité sont trop importantes, même le meilleur mental ne sert plus à rien.
La Russie semble justement miser sur cette carte.
Les Russes misent, en effet, sur une autre stratégie. Ils utilisent leur artillerie, leurs bombardements et leur «matériel humain», si je puis m'exprimer ainsi. C'est une approche très différente, qui peut nous sembler étrangère, mais qui peut aussi mener au succès.
Traduit de l'allemand par Charlotte Donzallaz