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Saint-Javelin a «provoqué un scandale religieux en Ukraine»

Saint-Javelin: «Nous avons provoqué un scandale religieux en Ukraine»

Christian Borys portant un t-shirt Saint-javelin.
Christian Borys portant un t-shirt Saint-javelin.Image: Christian Borys
Ça s'est fait par hasard: peu avant le début de la guerre, le Canadien Christian Borys a décidé d'imprimer l'image de Saint-Javelin sur des autocollants pour récolter de l'argent pour l'Ukraine. En quelques mois, il a réussi à lever plus d'un million de dollars, se faire bannir de Russie et provoquer un scandale religieux.
18.07.2022, 06:1917.04.2023, 09:08
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A première vue, on ne voit qu'une normale icône orthodoxe. Pourtant, à y voir de plus près, la Sainte Vierge tient entre ses mains un lance-roquettes FGM-148 Javelin de fabrication américaine, l'une des premières armes que l'Occident a envoyées en Ukraine après le début de la guerre.

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Image: Saintjavelin.com

Baptisé «Saint Javelin», le mème a fait le tour de l'internet dès les premiers jours de combats et fait désormais partie de l'iconographie du conflit. Bien qu'antérieure à celui-ci – elle date de 2018 –, l'icône est vite devenue le symbole de la résistance ukrainienne face à l'agression russe.

Elle est également au centre de l'action caritative de Christian Borys, qui a lancé, il y a quelques mois, le site Saint Javelin: l'entrepreneur et ancien journaliste canadien voulait juste imprimer l'image sur des goodies, qu'il pensait vendre pour lever un peu d'argent pour les victimes de la guerre. Le succès a été énorme et inattendu. Rencontre.

Christian Borys, racontez-nous comment tout a commencé.
Christian Borys:
Ça s'est fait plutôt par hasard. J'ai découvert l'image de Saint-Javelin sur internet et un gars m'a dit qu'il l'avait imprimée pour la coller sur son ordinateur. J'ai trouvé ça génial et j'ai voulu faire de même, pour montrer mon soutien à l'Ukraine. Je me suis dit que je pouvais vendre quelques autocollants ici à Toronto à mes amis. Je pensais pouvoir récolter quelques centaines de dollars, à tout péter.

Que s'est-il passé ensuite?
Il était 23h30 quand j'ai lancé le site, c'était donc très très tard. Cette première nuit, nous avons fait deux ventes, pour un total de 88 dollars, je m'en souviens très bien. Puis, le jour suivant, c'était 1000 dollars. Pour moi, c'était un choc: la seule chose que j'avais faite, c'était de partager un post sur Instagram pour montrer le sticker à mes potes. Et puis, le lendemain, c'était 5000 dollars. Les gens ont commencé à partager le post Instagram et, petit-à-petit, c'est devenu viral. Quand la guerre a commencé, ça a pris une signification complètement différente, ça a explosé.

«C'est devenu extrêmement viral, à un niveau fou, c'est même difficile de comprendre comment c'est arrivé si vite»
Sur le champ de bataille.
Sur le champ de bataille.Image: Instagram

Comment expliquez-vous ce succès inattendu?
Tout d'abord, je pense que Saint-Javelin est devenu populaire si rapidement parce que les gens avaient besoin d'un symbole auquel se référer. Il y a une longue histoire d'utilisation d'images religieuses dans les guerres, les gens recherchent ces symboles pour en tirer une sorte de soutien moral. Deuxièmement, lorsque vous donnez de l'argent à d'autres organisations caritatives, vous n'obtenez rien en retour. Avec Saint-Javelin, il y a des contreparties. Les gens ont commencé à acheter les autocollants et à les mettre sur leurs voitures, leurs ordinateurs portables. C'est donc plus qu'un simple don: c'est une manière de montrer aux autres qu'ils soutiennent l'Ukraine.

Le projet a été lancé le 16 février, soit huit jours avant le début du conflit. Comment avez-vous su prévoir ça?
J'ai vécu en Ukraine de 2014 à 2018, j'y travaillais comme journaliste. Grâce à cette expérience, je comprenais mieux ce qui allait se passer là-bas. Personne ne croyait que la Russie allait vraiment envahir le pays. Moi, oui. J'ai toujours été actif dans les groupes de discussion en ligne avec des analystes et des experts, qui suivaient la situation de très près. L'image de Saint-Javelin a été partagée dans l'un de ces chats, c'est ainsi que je l'ai découverte.

Combien d'argent avez-vous levé jusqu'à ce jour?
Nous avons vendu pour 2,5 millions de dollars, auxquels il faut soustraire les coûts de fabrication de nos produits. A ce jour, nous avons donné plus d'un million de dollars. Nous avons d'abord fait un don de 500 000 dollars à une organisation caritative canadienne appelée Help Us Help. Ensuite, nous avons décidé de cibler plus directement les organisations en Ukraine: nous avons acheté un certain nombre de camionnettes, car les médecins de guerre en demandaient, ainsi que des kits de premiers secours et des gilets pare-balles. Nous avons commencé à travailler avec une organisation appelée Ukrainian World Congress, qui s'occupe d'acheter des choses avec notre argent. C'est devenu beaucoup plus efficace: les premiers jours, c'était chaotique, personne n'était prêt et personne ne savait quoi faire.

Le ministre de la Défense ukrainien Oleksiy Reznikov est un gros fan de Saint-Javelin.
Le ministre de la Défense ukrainien Oleksiy Reznikov est un gros fan de Saint-Javelin.Image: christian borys

Avez-vous jamais acheté des armes?
Non, jamais. Je ne connais même pas les implications légales que cela comporte. Surtout, nous ne pouvons pas nous permettre d'acheter des armes, elles sont extrêmement coûteuses. Certes, on pourrait, par exemple, tenter d'acheter un drone pour un million de dollars, mais ce ne serait pas une bonne utilisation de notre argent. Il est préférable pour nous de le dépenser pour des kits de premiers secours et des produits qui aident les gens à survivre.

Pensez-vous que l'image de la Sainte Vierge tenant un lance-roquettes puisse choquer des gens?
Oui, au fait ça arrive souvent (rires). Je comprends pourquoi certaines personnes sont contrariées par cette image, elles voient la Sainte Vierge tenant une arme et pensent que c'est un sacrilège. Ce n'est pas du tout le but, c'est un symbole de soutien. Si vous regardez dans l'histoire, il y a beaucoup d'exemples de «saints de guerre», si je peux dire ça comme ça. La seule chose qui change, c'est qu'il y a 200 ans, ils n'avaient pas de lance-roquettes, mais des épées et des haches. Nous n'avons rien inventé, Saint-Javelin est juste une version moderne de quelque chose qui existait avant.

«A Kiev, par exemple, il y a une statue de l'archange Michel, et il tient une épée»

Mais tout le monde ne voit pas les choses de cette façon: nous avons provoqué un scandale religieux en Ukraine.

Que s'est-il passé?
Nous avons réalisé une fresque, à Kiev, avec une grande image de Saint-Javelin sur la façade d'un immeuble. C'était incroyable, la plupart des gens trouvaient ça génial. Le lendemain, l'Eglise ukrainienne a commencé à se plaindre très bruyamment, en disant que c'était sacrilège et offensant. L'administration municipale a engagé quelqu'un pour peindre par-dessus l'auréole, qui a donc été effacée. C'était très étrange pour moi.

A mural depicts an image known as "Saint Javelina"- Virgin Mary cradling a US-made FGM-148 anti-tank weapon Javelin - on a living house wall in Kyiv, Ukraine, Monday, June 6, 2022. These mis ...
La fresque réalisée à Kiev. A noter que l'auréole a été effacée.Image: sda

Au-delà de cet exemple négatif, quelles réactions le projet Saint-Javelin a suscitées en Ukraine?
Toutes les personnes à qui j'ai parlé étaient extrêmement reconnaissantes. Je pense qu'elles sont simplement heureuses que des gens extérieurs à l'Ukraine se soucient de leur sort. C'est la chose la plus importante. Faire un don d'un million de dollars, c'est bien, mais dans le grand schéma d'une guerre, c'est rien. Le symbolisme et la signification de ce projet sont bien plus grands: cela prouve que beaucoup de gens dans le monde s'intéressent à l'Ukraine.

Des personnalités politiques ukrainiennes ont posé avec un t-shirt de Saint-Javelin, à l'instar du ministre de la Défense et du maire de Kiev, Vitali Klitschko. Qu'est-ce que ça vous fait?
C'est très étrange (rires). Oleksiy Reznikov, le ministre de la Défense ukrainien, m'envoie parfois des mèmes, il a notre t-shirt et il en a donné un au président Zelensky. C'est génial si ça les aide un peu, même si ça les fait sourire pendant quelques minutes au milieu de tout ce qu'ils font. Je ne peux même pas imaginer le stress qu'ils vivent depuis cinq mois. Pour moi, c'est bon de savoir que j'ai eu un petit impact sur leur moral. C'est très surréaliste de voir ce que l'on peut faire avec les réseaux sociaux et la bonne image.

Zelensky reçoit un t-shirt Saint-Javelin des mains du ministre ukrainien de la Défense.
Zelensky reçoit un t-shirt Saint-Javelin des mains du ministre ukrainien de la Défense.Image: christian borys

Des combattants portent vos produits aussi?
Beaucoup de soldats et de volontaires nous envoient de photos d'eux en train de porter le t-shirt. Ils mettent les autocollants sur leur casque et leur gilet pare-balles, ils portent des patchs sur leur tenue de combat. C'est incroyable à voir.

Sur le champ de bataille, pt 2.
Sur le champ de bataille, pt 2.Image: Christian Borys

Est-ce que des Russes ont déjà acheté vous produits?
Non, malheureusement. Nous ne pouvons pas livrer en Russie, c'est techniquement impossible. J'adorerais envoyer des produits là-bas, mais je ne peux même pas imaginer ce qui se passerait si quelqu'un portait un t-shirt Saint-Javelin en Russie. De plus, je suis maintenant personnellement banni de Russie, j'ai été sanctionné. C'est un sentiment étrange de voir que vous avez été banni d'un pays.

Votre site propose, désormais, une panoplie de saints, qui correspondent chacun à une arme. Il y a par exemple Saint-Himars, Saint-Stinger, etc. Comment décidez-vous quels saints créer?
Nous avons une équipe d'environ 13 personnes, dont de nombreux designers et artistes ukrainiens, qui s'occupent de dessiner les nouvelles icônes. Pour ce qui est du choix, nous demandons à notre communauté sur les réseaux sociaux. Nous recevons de nouvelles demandes chaque jour. Il y a quelques semaines, les gens nous ont demandé de faire un dessin avec les missiles américains Himars, alors nous l'avons fait! Maintenant, c'est un grand succès. Chaque pays demande ses propres saints. En ce moment, nous travaillons sur un dessin pour les Lituaniens, car ils ne cessent de demander une image représentant le Bayraktar, le drone qu'ils ont acheté en Turquie.

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La Saint-Javelin et les autres
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Où vos produits sont-ils fabriqués?
Nous avons commencé à fabriquer des produits en Ukraine, mais c'est évidemment très compliqué, compte tenu du contexte. Notre objectif à l'avenir est de tout produire là-bas, dans des usines ukrainiennes, avec du personnel ukrainien.

«Notre but est de participer à la reconstruction du pays. Ça va prendre des années: si nous pouvons aider, ce serait extraordinaire»

La guerre se poursuit depuis cinq mois. Constatez-vous une baisse d'intérêt?
Oui, l'intérêt des gens a énormément baissé, c'était attendu. Toutes les organisations caritatives auxquelles j'ai parlé m'ont dit que les dons avaient considérablement diminué: c'est juillet, les gens partent en vacances, ils retournent à leur vie normale. Nous aussi, nous remarquons une énorme chute. C'est la raison pour laquelle nous voulons devenir une véritable marque de vêtements, quelque chose comme Patagonia.

Dans quel objectif?
Nous voulons pouvoir exister pendant longtemps et, pour ce faire, il faut aller au-delà d'une logique caritative. On veut que les gens achètent nos produits parce qu'ils sont géniaux, indépendamment de ce que nous faisons pour soutenir l'Ukraine. Les gens ont toujours besoin de vêtement, mais n'ont pas toujours besoin de faire des dons. C'est le seul moyen de continuer à jouer un rôle dans la reconstruction de l'Ukraine.

Des gens prennent ça plutôt au sérieux.
Des gens prennent ça plutôt au sérieux.Image: Facebook

Pensez-vous y parvenir avec des images centrées sur des armes?
Non, justement. Nous avons déjà commencé à créer de nouveaux designs qui ne sont pas axés sur les armes, qui sont plutôt destinés au commun des mortels. Des t-shirts et des bonnets avec «Saint Javelin» écrit dessus, par exemple. Pour ces personnes, nous devons créer des vêtements moins offensants, je suppose. Lorsque vous portez un T-shirt Saint-Javelin et que vous marchez dans la rue, les gens vous regardent (rires), cela m'arrive tout le temps. Je comprends que, pour maintenir ce projet, nous devons devenir plus mainstream.

Un nouveau foyer pour des enfants ukrainiens
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