Les témoignages du massacre de Boutcha affluent. Et les rescapés n'ont souvent pas assez de mots pour décrire à hauteur d'homme l'horreur vécue par les habitants de cette petite localité de la banlieue de Kiev. Depuis le départ de l’armée russe le 30 mars dernier, la communauté internationale découvre, heure après heure, l'ampleur de la catastrophe. Des centaines de corps, au moins 300 selon les médias locaux, jonchent le sol, parfois la tête étouffée dans des sacs plastiques ou les bras noués dans le dos. «Nous n'arrivons même plus à les compter», expliquait le maire de Boutcha à FranceInfo lundi.
Vladislav Kozlovsky fait partie des rescapés du massacre. Dimanche, il a été interviewé par Vot Tak, l'un des sites d'information de Belsat TV, chaîne biélorusse qui émet depuis Varsovie et qui est reconnue par la communauté internationale. Quand Vladimir Poutine a déclenché la guerre fin février, le trentenaire raconte qu'il a quitté, en l'espace d'une nuit, son job de sommelier au centre de Kiev, pour rejoindre sa mère et sa grand-mère restées à Boutcha.
Рассказ местного жителя Владислава Козловского о происходившем в Буче, в том числе о расстрелахhttps://t.co/2vHnjnqHOm
— Dmitry Kolezev | Против войны! (@kolezev) April 4, 2022
Le 2 mars, quand les premiers soldats russes sont entrés dans la ville de Boutcha, l'homme se trouvait «avec quelques connaissances» près du quartier général de la défense territoriale. Ils ont très vite été encerclés par les troupes ennemies. «Tous ceux qui n'avaient pas d'armes ont reçu l'ordre de se regrouper dans un abri anti-bombes près de la base». Alors que Kiev pliait sous les premières bombes ennemies, Vladislav Kozlovsky précise d'emblée que personne n'était autorisé à sortir.
Selon son témoignage, également relayé par le journal britannique The Telegraph, cette relève de soldats russes a fait sortir d'abord les femmes et les enfants, puis les hommes. «Ils nous ont mis à genoux et ont commencé à nous fouiller.» Vladislav Kozlovsky avait ses économies et sa montre sur lui. Ils ont tout pris, «comme à tous les autres, mais ils m'ont juste pillé au début».
Selon lui, les soldats russes vérifiaient tous les documents d'identité et si une personne avait participé à l'ATO (terme ukrainien désignant la période des opérations de combat dans les régions de Donetsk et de Louhansk de 2014 à 2018) «ils l'abattaient immédiatement». D'après le témoignage de Vladislav Kozlovsky, les tatouages anti-russes étaient également traqués «et les "nazis" étaient activement recherchés. Ceux qui portaient simplement un blason ukrainien étaient également abattus».
Quand le média Vot Tak lui demande s'il sait combien de personnes entassées avec lui dans le bunker ont été tuées, il avoue avoir été aidé par l'une des photographies qui ont fait leur apparition dès le 3 avril sur les sites d'information du monde entier.
Vladislav Kozlovsky avoue qu'il était terrorisé: «Tout était flou pour moi, c'était effrayant, et j'étais sûr que je ne rentrerais plus jamais chez moi.» Un de ses amis aurait pris une balle dans le flan «pour qu'il ne fuie pas trop vite». Toujours selon son témoignage, les soldats russes auraient interrogé tout le monde avec brutalité, pour «trouver d'anciens combattants et des nationalistes ukrainiens».
A la mi-mars, Vladislav Kozlovsky explique que les hommes de Kadyrov (l'homme de main tchétchène de Vladimir Poutine) sont arrivés en ville. «Les Kadyrovites se sont tous comportés de manière brutale et barbare. Beaucoup plus que les soldats russes qui étaient très jeunes. Ils tiraient sur tout ce qui se trouvait sur leur passage. Ils ont même tué notre voisin, un retraité qui passait ses journées assis sur un banc. Il n'avait jamais fait de mal à personne dans sa vie.» Le trentenaire enchaîne ensuite les récits macabres. Il évoque, par exemple, le destin de deux de «ses connaissances» qui ont été tuées alors qu'elles tentaient de fuir pour rejoindre la ville d'Irpin.
L'homme n'ira pas plus loin. Il dit avoir conscience de n'avoir vu de ses propres yeux qu'une petite partie des événements. Lui, et ceux qui étaient en sa compagnie pendant ce long mois de mars n'ont pu s'éloigner du quartier dans lequel ils étaient retenus par les soldats russes. Il explique avoir été torturé à plusieurs reprises. Qu'il a eu le visage en sang plusieurs fois. Qu'un jour, les os de son nez avaient été brisés sous les coups de pied. «Nous n'avions même pas le droit d'enterrer nos morts ou de nous rendre au cimetière. Quand j'ai découvert toutes les photos de ce drame, j'ai compris que j'avais échappé à un massacre.»
Vladislav Kozlovsky a pu quitter Boutcha quand l'armée ukrainienne a repris le contrôle de la ville. Lui, sa mère et sa grand-mère ont survécu au pire. En passant par Irpin, ils ont finalement pu rejoindre Kiev, où ils ont été hébergés par des amis. «Même la douche est devenue un luxe pour nous.»