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Pénurie de céréales: les spéculateurs aggravent-ils à la famine?

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Un paysan de la région de Khmelnytskyj, dans l'ouest de l'Ukraine, cultive son champ. photo: keystone

Pénurie de céréales: les spéculateurs aggravent-ils à la famine?

La guerre en Ukraine ravive une vieille question: à quel point la spéculation sur les céréales est-elle sensée?
01.06.2022, 19:01
Philipp Löpfe
Philipp Löpfe
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L'Ukraine et la Russie comptent parmi les principaux exportateurs de céréales au monde. Environ 30% de toutes les exportations de blé, de maïs et d'orge sont à mettre sur le compte des deux pays. La guerre de Poutine remet en question ces exportations. La situation s'est encore aggravée par le fait qu'en Chine, la dernière récolte a été mauvaise en raison d'inondations. En Inde, une chaleur record a entraîné des pertes conséquentes.

Tout cela a entraîné une explosion des prix sur les marchés des céréales. Le blé, par exemple, coûte 50% de plus qu'au début de l'année. Les victimes de cette hausse des prix sont une fois de plus les plus démunis de la planète. Le secrétaire général de l'ONU António Guterres met déjà en garde contre une «pénurie alimentaire mondiale» et déclare que jusqu'à 1,6 milliard de personnes sont menacées par la faim.

Workers plow wheat on the land belonging to Vasyl Pidhaniak, in Husakiv village, western Ukraine, Saturday, March 26, 2022. Planting season has arrived in Ukraine. Ukraine and Russia account for a thi ...
Semer malgré la guerre: un champ de blé dans l'ouest de l'Ukraine.photo: keystone

Les bourses s'enrichissent-elles grâce à la faim?

Dans cette situation, le rôle des marchés financiers est une fois de plus au centre de l'attention. Celui qui investit dans les denrées alimentaires est-il un spéculateur sans scrupules qui s'enrichit sur le dos des enfants affamés? Ou est-ce justement des investissements qui maintiennent les marchés fluides et empêchent ainsi la famine? La réponse à ces questions est ambiguë.

La spéculation sur les denrées alimentaires est presque aussi ancienne que l'économie agricole elle-même, et elle est en principe pertinente. Les produits dérivés, le droit d'acheter ou de vendre un certain produit comme les céréales, permettent d'assurer des prix relativement stables pour les agriculteurs et les commerçants, et donc de garantir un approvisionnement fiable.

Dans le cadre de la dérégulation des marchés financiers dans les années huitante, les produits dérivés ont toutefois commencé à mener une existence propre. Avant cette dérégulation, la part de la spéculation sur les marchés des céréales était d'environ 20%. Après cela, elle est passée à environ 80%.

Et si la spéculation n'avait aucune influence?

Lorsque, en 2007/2008, les récoltes de céréales ont été mauvaises dans le monde entier en raison d'une sécheresse persistante, favorisant une famine catastrophique pour les années suivantes, comme c'est le cas actuellement, un débat intense s'est déclenché sur le rôle de la spéculation. Une évolution surprenante s'est d'ailleurs produite à cette occasion.

epa05540743 Nobel Prize-winning economist Paul Krugman participating in a forum during the 4th annual 'Αthens Democracy Forum', Athens, Greece, 15 September 2016. The forum is organised to  ...
Paul Krugman avait mis le feu aux poudres avec sa thèse de «bêtise spéculative».photo: EPA/ANA-MPA

Le prix Nobel et chroniqueur du New York Times Paul Krugman qualifie la spéculation de «bêtise spéculative». Krugman est considéré comme un représentant des économistes progressistes et «de gauche».

Selon Krugman, les produits dérivés ne sont rien d'autre que des paris sur l'avenir. Il s'agit donc d'un jeu à somme nulle que les participants se livrent entre eux. Les répercussions sur les prix réels sont «nulles, zéro, nada». Ceux-ci seraient en effet déterminés sur les marchés au comptant, là où se négocient les produits réels et non leurs dérivés.

Krugman a reçu à l'époque un soutien de renom, par exemple de Steffen Roth de l'université de Cologne. Lui aussi expliquait:

«La quantité de produits agricoles physiquement disponibles n'est pas influencée par les activités des spéculateurs»

Et un «future» (un droit d'acquérir des céréales à un certain prix) détermine uniquement qui sera le propriétaire de la récolte en été, «mais pas la taille de la récolte».

La Bourse ferait tout de même grimper les prix

Avec sa thèse de la bêtise spéculative, Krugman avait toutefois mis le feu aux poudres. Ses opposants étaient nombreux. Leurs arguments peuvent être résumés comme suit :

  • Krugman est un théoricien qui n'a aucune idée de la réalité.
  • La grande majorité de l'argent spéculatif qui s'investit dans les denrées alimentaires est fait par le biais de fonds indiciels qui n'interviennent qu'en tant qu'acheteurs et font ainsi grimper les prix.
  • Ce ne sont pas les marchés au comptant, mais les marchés des «futures» à terme qui refléteraient la situation réelle et les acteurs du marché s'y référeraient. Des prix à terme plus élevés feraient également grimper les prix des céréales déjà stockées dans les silos.

Cette situation n'a pas changé aujourd'hui. Olivier De Schutter, responsable de la faim dans le monde à l'ONU, explique par exemple au Lighthouse Report, un réseau de journalistes à but non lucratif:

«Il est extrêmement frustrant et tragique de constater que rien n'ait changé au cours des 15 dernières années et que les mêmes arguments reviennent.»

Entre-temps, même les partisans de la spéculation exigent que l'on s'attaque aux grands fonds agricoles. L'un d'entre eux est Lukas Kornher, de l'Institut d'économie alimentaire de l'université de Bonn. Il s'est exprimé auprès de la chaîne de télévision allemande ARD en faveur d'une limitation du nombre de ces fonds en temps de crise.

«Il existe déjà des règles pour cela. Mais celles-ci doivent être encore mieux surveillées et appliquées»

Il est toutefois exagéré d'accuser les spéculateurs comme seuls responsables d'une éventuelle famine: environ 70% des céréales produites dans le monde sont utilisées pour l'élevage. Et c'est sous forme de steaks que le bétail se retrouve ensuite dans les assiettes.

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