Olena Zelenska a toujours été une personnalité discrète. L'accession de son époux à la tête de l'Ukraine n'a rien changé. Les dîners mondains et les galas, très peu pour cette première dame. «Je me sens plus à l'aise dans l'ombre. Je ne suis pas l'âme de la fête, je n'aime pas raconter des blagues. Ce n'est pas dans mon caractère», confiait-elle à l'édition ukrainienne de Vogue en 2019.
Ce n'est pas faute d'avoir le physique tout désigné pour faire la une de magazines sur papier glacé: blond polaire, beauté nordique, sourire colgate... Elle pourrait aisément s'en contenter pour assumer le rôle attendu de la first lady cantonné à de la figuration. Mais non. Olena Zelenska est bien plus que «la femme de». La preuve en six points.
Olena est née le 6 février 1978 à Kryvyï Rih, dans le centre de l'Ukraine, où elle a grandi. «J'ai vécu toute ma vie dans ce pays, et je comprends combien de problèmes nous avons», racontera-t-elle des années plus tard.
Dans cette ville industrielle russophone, Olena étudie l'architecture à la Faculté de génie civil. C'est sur les bancs de l'Université nationale qu'elle fait la connaissance de son futur mari, Volodymyr Zelensky, lequel mène de son côté des études de droit à l'Institut d'économie. Selon une interview à la Corriere della Sera, le tenace Volodymyr la courtise pendant huit ans avant qu'elle n'accepte de quitter son fiancé pour les beaux yeux de Volodymyr. Par la même occasion, elle exige qu'il se fasse baptiser.
Le couple se dit finalement «oui» le 6 septembre 2003.
De cette union découlent deux enfants: une fille, Aleksandra, en 2004, et un fils, Kyrylo, en 2013. Ainsi qu'un perroquet. «C'est un animal à problèmes. Il crie beaucoup. Il fait le guet. Il lève ses plumes, il est agressif», s'en amuse Olena dans son interview au Corriere della Sera. «Les vétérinaires nous ont dit qu'il est complètement neurasthénique.»
Après leurs études, Olena et Volodymyr construisent leur carrière en parallèle. Elle renonce à l'architecture pour fonder avec son époux une société de production, Kvartal 95. Les rôles se répartissent. Elle: derrière la caméra, en tant que scénariste. Lui: devant, comme animateur.
Ils co-produisent ainsi le «Serviteur du peuple», la comédie dans laquelle Zelensky joue le rôle du président de l'Ukraine, qui le révèle aux yeux du grand public. Le programme, dont Olena contribue à l'écriture du script, est suivi par quelque 20 millions de téléspectateurs.
Olena Zelenska participe ensuite à la création de «Liga Smichu», littéralement «La ligue du rire», programme populaire dans lequel des humoristes s'affrontent au cours de concours de stand-up. Puis elle décline le concept au féminin avec «Femmes de Kvartal», dans lequel elle met à l’honneur des femmes humoristes.
Un jour de décembre, Zelensky décrète que jouer les présidents à la télé ne lui suffit plus. C'est décidé: il veut se lancer sur les traces des Reagan et autre Schwarzenegger, en passant de la scène à la tribune.
Lors de l'émission du Nouvel an de la chaîne de télévision ukrainienne 1+1, le comédien annonce briguer la présidence de l'Ukraine, avec son propre parti, «Serviteur du peuple».
Olena n'apprend pas la nouvelle de sa bouche. Elle le découvre, à l'instar du monde entier, médusé, sur les réseaux sociaux. Et autant dire que la nouvelle ne la séduit pas du tout: «J'y étais totalement opposée. Et je le lui ai dit de manière très agressive:»
«Cela ne me semblait même pas envisageable: c'était un changement total de direction dans nos vies. J'ai réalisé à quel point tout allait changer, et quelles difficultés nous allions devoir affronter».
La surprise passée, son mari parvient à la rassurer. «Quand j'ai compris qu'il était sérieux et qu'il ferait tout pour protéger notre famille, je suis devenue sa supportrice», conclut Olena. «J'ai dit que je le soutiendrais toujours».
Promesse tenue: costume blanc impeccable et diamants Graff, Piaget et Breguet aux poignets pour seule armure, Olena prend le volant de sa Mercedes et sillonne quatre mois durant les rallyes et meetings politiques. Consciente qu'elle risque tout. Prête à affronter, sans ciller, les attaques virulentes des opposants, qui accusent le couple de proximité avec Poutine et les sécessionnistes pro-russes.
Pourtant, le 20 mai 2019, contre toute attente, Olena Zelenska devient la première dame d'Ukraine.
Malgré ce nouveau rôle, elle n'entend pas immédiatement arrêter de travailler. Elle poursuit l'écriture de ses scripts pour sa société de production, comme elle s'en explique auprès de Vogue: «Je voulais continuer à vivre ma vie en me tenant à l'écart des problèmes et des attaques.»
Olena se résout finalement à interrompre sa carrière de scénariste pour se consacrer à son rôle de première dame et soutenir son époux.
De parolière, elle se mue en conseillère en communication. Première étape: soigner l'image de Volodymyr. «Je n'ai pas le temps pour la mode, elle choisit mes vêtements et je les achète», résume-t-il dans une interview.
Mais le rôle de la première dame ne s'arrête de loin pas au choix des cravates de Monsieur: cette professionnelle du spectacle et de l'élocution jette toujours un dernier regard sur ses discours. Même un peu trop, murmurent certains.
Le changement de vie n'est pas facile. La constante représentation ne plaît guère à celle qui cultive un goût pour la discrétion et dit «préférer rester en coulisses».
«Honnêtement, je ne voudrais pas être vue comme une première dame. Mais je suis dans le jeu maintenant», explique-t-elle en 2018.
«Je n'ai pas assez de temps seule avec moi-même. J'ai probablement eu mon seul espace privé dans la voiture, en conduisant. Maintenant qu'ils m'en ont privé, la salle de bains est ma seule retraite (rires).»
Mais elle ne se plaint pas. «J'ai de la chance avec les personnes qui m'entourent: elles gardent le silence quand j'ai besoin de ce silence, et peuvent maintenir une conversation quand elles estiment que c'est nécessaire.»
Olena perçoit aussi les avantages de sa position: «J’ai pris conscience du rôle que je pouvais jouer pour soutenir des causes humanitaires et sociales, pour lesquelles j’étais déjà engagée tout au long de ma carrière», fait-elle savoir au Diplomatic Courier l'année passée.
Elle souligne un autre avantage notoire: «L'épouse du président a la possibilité de communiquer avec les personnes proches du pouvoir. Les portes des officiels ne se ferment pas devant la première dame».
Ainsi, Olena Zelenska fait siennes des causes qui lui sont chères: lutte pour l’égalité femmes-hommes, accessibilité à la culture, lutte contre l’obésité ou pour les sportifs en situation de handicap, ou encore droits de l’enfant. Et là encore, pas question de se contenter de la figuration. La première dame veut du concret.
Olena mène de front des projets de sensibilisation dont l'amélioration du système de nutrition scolaire, la lutte contre la violence domestique, ainsi que la promotion de la langue ukrainienne.
Elle prend notamment la parole en 2020, lors du Quatrième Congrès des femmes ukrainiennes. La plateforme réunit des personnalités publiques ukrainiennes et internationales, des politiques, des responsables gouvernementaux, des experts et des leaders d'opinion qui militent pour l'égalité des droits entre les femmes et les hommes.
Olena en veut. Derrière le visage aux traits délicats, c'est une battante. En 2020, bien que vaccinée, Olena contracte le Covid-19. La pneumonie qui s'en suit lui vaut d'être hospitalisée pendant deux semaines. Mais une fois encore, elle tient à relativiser: «De nombreuses personnes ont souffert davantage que moi. L'Ukraine continue de tout faire pour arrêter le Covid et faire face à ses impacts».
Le 24 février 2022, la vie d'Olena Zelenska et de sa famille bascule.
Du jour au lendemain, celle qui préférait rester au second plan devient l’une des figures de proue de la résistance ukrainienne, face à l’invasion russe.
Qu'advient-il alors de la famille Zelensky? Dans son discours diffusé au premier jour de l'offensive, le président ukrainien donne au monde quelques éléments de réponse: «Je reste dans la capitale, ma famille est aussi en Ukraine, mes enfants sont en Ukraine. Ma famille et moi ne sommes pas des traîtres, nous sommes des citoyens ukrainiens.»
Le 7 mars, 12 jours après le début de l’invasion, Zelensky confirme dans une vidéo publiée qu’il se trouve toujours dans la capitale de son pays, prêt à résister à l’envahisseur, relaie RTL.
Pas question pour Olena Zelenska de se murer dans le silence d'un abri souterrain. Depuis son refuge (dont on ignore toujours où il se trouve exactement), elle utilise les réseaux sociaux pour souligner la souffrance des Ukrainiens et faire la lumière sur l'évolution rapide de la situation de son pays.
Le 8 mars, c'est à son tour de lancer un appel. Un cri du cœur qui a fait grand bruit. Dans une lettre ouverte aux médias internationaux, Olena Zelenska, dénonce le «massacre de civils ukrainiens», et notamment d’enfants.
Ce lundi 21 mars, la première dame ukrainienne accorde au Parisien son premier entretien à la presse européenne et détaille son rôle depuis le début de la guerre.
Olena se mobilise pour assurer des corridors humanitaires, des «convois de la vie», pour la population. Son principal objectif: évacuer des enfants malades ou atteints par le cancer vers des pays occidentaux, dont la France, avec l’aide de Brigitte Macron. «Une véritable opération de sauvetage», résume-t-elle.
Et sinon, que fait-elle? «Je guette les nouvelles de Marioupol, où des centaines de milliers de personnes, même des connaissances personnelles, sont dans les sous-sols sans communication, sans électricité, sans médicaments».
Elle décrit l'attente, l'angoisse. «Vérifier les messageries. Si les messages s’affichent comme lus, il reste de l’espoir qu’ils aient eu un peu de réseau, qu’ils soient en vie.»
Quand on l'interroge au sujet de son mari, devenu la figure principale de ce conflit, elle affirme avec conviction: «Est-ce que j’admire cet homme? Tous les jours. Suis-je surprise? Non. Volodymyr a toujours été comme ça, déterminé et calme. En temps de guerre, tous les Ukrainiens et le monde entier ont bien vu les principes qu’il a et ils ont senti la force en lui. Il n’abandonnera pas les intérêts de l’Ukraine.»
Fidèle à ses engagements de longue date, Olena conclut en louant le courage des Ukrainiennes.
«Avant la guerre — je ne m’habitue pas à cette expression — j’avais écrit qu’en Ukraine, il y a 2 millions de femmes de plus que d’hommes.»
Un visage qui empruntera, sans doute, quelques traits à Olena Zelenska.