Cette semaine, une série de bombes a secoué Kiev. De celles que Volodymyr Zelensky ne s'attendait pas à devoir désamorcer en deux-deux. Loin du front, mais tout près du pouvoir, ce sont plusieurs scandales de corruption qui ont éclaté en début de semaine et en cascade. Et au beau milieu d'une sensible et tant attendue livraison de chars occidentaux. Outch?
Accrochez-vous, ça va aller très vite. Kyrylo Timochenko, chef adjoint du bureau du président, s'est approprié un SUV de l'armée, dont l'usage était réservé à des besoins humanitaires. Le vice-ministre de la Défense, Viatcheslav Chapovalov, est embourbé dans une vaste escroquerie: le prix d'une large gamme d'aliments destinés à l’armée ont été volontairement surévalués. Le média Zerkalo Nedeli, qui a révélé l'affaire, évoque un montant de 330 millions de dollars.
Tous deux ont été poussés à la démission. Mais ce n'est pas terminé.
Le procureur général adjoint, Oleksii Simonenko, a été, lui, ouvertement fichu à la porte pour avoir pris des vacances interdites, en Espagne. Vassyl Lozinsky, ministre adjoint des Infrastructures, a été arrêté pour avoir perçu un pot-de-vin de 400 000 dollars, après avoir facilité un deal de générateurs d'électricité. Le gouverneur de la province de Dnipro, Valentin Reznitchenko, a démissionné pour avoir favorisé une société co-fondé par sa petite amie qui est prof de fitness. Pavlo Galimon, vice-patron du parti présidentiel Serviteur du Peuple, a été limogé pour s'être payé une baraque étonnamment luxueuse au centre de Kiev.
Les conséquences de ces multiples explosions sont d'une ampleur inédite depuis l'agression de Vladimir Poutine. «Cette semaine l'Etat prend des décisions appropriées, puissantes et nécessaires», a martelé le président ukrainien. Et si Zelensky a ordonné cet immense coup de balais ministériel, c'est d'abord pour éviter que la moindre saleté du passé ne lui revienne violemment au visage. Un nettoyage que tout le monde n'a d'ailleurs pas entamé à la même vitesse. Oleksii Reznikov, ministre des Infrastructures, a d'abord cru bon de nier les accusations en bloc et de blâmer les journalistes chargés de l'enquête, avant de finalement éjecter le vice-ministre.
Si la communauté internationale sait très bien que Volodymyr Zelensky a toujours fait de la corruption son ennemie numéro une, ces révélations n'en demeurent pas moins embarrassantes. D'autant que l'Ukraine n'a jamais été aussi proche d'une éventuelle adhésion à l'Union européenne, qui a débloqué près de 50 milliards d’euros pour soutenir Kiev. Citée par Le Monde, Viola von Cramon, députée européenne et vice-présidente de la délégation à la commission UE-Ukraine, soulève un risque:
Au bout du fil, René Schwok, professeur en science politique et relations internationales à l'Uni de Genève, constate que même les plus réfractaires au soutien matériel et financier à l'Ukraine n'ont pas tiré parti du scandale. «Tout est histoire d'interprétation. On pourrait effectivement choisir d'envisager cette affaire comme une occasion en or de prouver que Kiev n'est pas digne de confiance. Personne n'a emprunté ce chemin. Et notamment parce que le président ukrainien a immédiatement pris de bonnes décisions.»
En réagissant aussi vite, le président ukrainien a voulu rassurer sa population, mais aussi ses alliés de l'Ouest. Le président sait très bien qu'il doit se montrer absolument irréprochable s'il ne veut pas risquer l'érosion du soutien financier et militaire que lui apporte la communauté internationale. «En envoyant immédiatement des signes positifs, Zelensky coupe court à toute polémique et transforme l'éventualité d'une critique à son endroit en signe particulièrement négatif», analyse le géopolitologue français Bertrand Badie. Une aubaine, en somme? «Oui, Zelensky en a fait un effet d'aubaine.»
Notre spécialiste des relations internationales va même plus loin: «Sans l’agression menée par Vladimir Poutine, l'Ukraine ne se serait peut-être pas autant appliquée à combattre cette corruption». Pour sa part, Zelensky a déjà promis qu'il n'allait pas s'arrêter en si bon chemin.