Comment réagir intelligemment lorsqu'on nous annonce, par téléphone et avec une caméra braquée sur nos moindres mouvements de cils, qu'une «guerre totale» vient de commencer?
C'est sans doute impossible. Par chance, peu d'entre nous devront se poser cette question au cours de leur vie. Emmanuel Macron, lui, s'est mis volontairement dans cette galère, le 24 février dernier.
Pas dans une «guerre totale», mais sous l'œil d'une caméra.
La courte séquence s'est rapidement frayé un chemin sur l'internet mondial, mercredi dans la soirée. Le président de la République tripote de la paperasse machinalement, ramène ses mains sur son menton, s'affale ensuite sur son siège, tout en jetant quelques regards durs sur son entourage, manifestement debout. Il parle peu, mais lâche soudain un "OK", puis une deuxième, qui jurent avec la gravité du moment. Presque gêné. Comme pour gagner de précieuses secondes afin de trouver la bonne attitude. Le mot juste à offrir à celui qui, à l'autre bout du fil, constate au même moment que les frontières de son pays sont désormais criblées de soldats de Vladimir Poutine.
La scène paraît surréaliste. Emmanuel Macron, filmé par une caméra qui ne s'embarrasse d'aucune considération de stabilité, assiste oralement au décapsulage de l'agression russe en Ukraine. Comme pour s'assurer que l'Histoire, encore au saut du lit, ne s'écrira pas sans lui. A l'autre bout du fil, les explications de Zelensky sont limpides.
Si la guerre des images est saillante entre la Russie et l'Ukraine, elle peut compter, parfois, sur des séances de rattrapage. Mercredi soir, une vidéo d'une minute et trois secondes a laissé les internautes pantois. Les superlatifs ont pris le relais. C'est «incroyable» ou encore «it's just totally crazy». Les médias d'Europe de l'Est, moins figés, évoquent sans trembler «une vidéo historique» ou «une grande page de l'Histoire». Cette même page qu'Emmanuel Macron semblait précisément vouloir écrire lui-même, le 24 février, sous le regard complice d'un objectif.
Mercredi, Twitter semblait littéralement découvrir cette séquence, comme si un esprit malin avait décidé tout seul de laisser filer un moment censé rester planqué derrière les parois épaisses de la diplomatie mondiale. Et nous en sommes pas si loin. La responsable de cet emballement international est la correspondante à Paris pour National Public Radio, plus grande agence radiophonique des Etats-Unis. Elle s'appelle Eleanor Beardsley. Depuis quelques heures, la séquence est partagée plusieurs dizaines de milliers fois.
Or, cette minute «historique», qu'une bonne partie du globe semble découvrir six mois après le début de la guerre, a été isolée d'un documentaire officiel et qui avait fait grand bruit lors de sa diffusion sur France TV en juin dernier. Un Président, l'Europe et la guerre, réalisé par le journaliste Guy Lagache. Celui qui, jadis, incarnait l'émission Capital sur M6, avait entrepris de vulgariser l'Europe aux Français. En suivant, seul et caméra à l'épaule, Emmanuel Macron durant la présidence française du Conseil de l'Union Européenne. Mais la guerre de Poutine a offert d'un jour à l'autre de larges nervures au documentaire de Guy Lagache.
«Emmanuel, appelle Poutine pour lui dire stop!» Dans cet échange, Zelensky semble à la fois prendre (évidemment) la mesure du drame, mais dépose sur les épaules d'Emmanuel Macron et la communauté internationale une confiance qui peut, six longs mois après le début d'une guerre marathon, paraître à la fois trop lourde et trop optimiste.
Pour le déclic du maître du Kremlin, tant espéré par Zelensky ce 24 février, il faudra manifestement faire preuve d'encore un peu de patience. (fv)