C'est une histoire glauque comme il n'en existe qu'aux States. Samuel Rappylee Bateman, 46 ans, se trouve depuis quelques mois dans le viseur du FBI. Selon les derniers documents judiciaires en date, dévoilés la semaine passée par le Salt Lake Tribune, il est poursuivi pour «tentatives de destruction de preuves», depuis sa cellule d'une prison de l'Arizona, dans une enquête pour maltraitance.
Sauf que, comme souvent dans le cas des procédures judiciaires américaines, les faits sont un peu plus retors que cela. Retour sur une affaire sordide qui mêle polygamie, trafic de mineures et secte religieuse fondamentaliste.
Samuel Bateman n'a pas toujours collectionné les épouses. Il y a quatre ans, ce natif de Colorado City, en Arizona, n'en comptait qu'une. Ainsi qu'une fille unique de 14 ans.
Pilote et adepte de survivalisme à ses heures perdues, Bateman a eu une révélation en 2019. C'est lui que le Ciel envoie pour reprendre les rênes de l'Eglise fondamentaliste de Jésus-Christ des saints des derniers jours (FLDS), secte dans laquelle il a grandi et s'est forgé ses convictions religieuses.
Avant d'aller plus loin, il faut que nous nous attardions sur la FLDS. Active depuis les années 50, cette ramification radicale du mormonisme a fait l'objet d'un documentaire sur Netflix. Vous n'aurez sans doute pas oublié les tenues strictes, genre Petite Maison dans la Prairie, et les coiffures élaborées de ses disciples féminines.
Son chef actuel, le prophète autoproclamé Warren Jeffs, purge une peine d'emprisonnement à perpétuité pour abus sexuels sur des enfants et mariages avec des mineurs.
A la tête du mouvement depuis 2002, Warren Jeffs décide d'établir sa communauté et de bâtir son propre temple dans un ranch du Texas, YFZ (pour Yearning for Zion, «Envie de Sion»), afin de maîtriser plus aisément tous les aspects de la vie de ses fidèles.
Au sein de cette petite ville auto-gérée de quelques milliers de membres presque totalement coupée du monde extérieur, Warren Jeffs accumule 78 épouses, dont plus d'un tiers n'ont pas 16 ans.
Jeffs érige en principe absolu la «loi de placement», selon laquelle le mariage entre deux membres ne peut avoir lieu qu'avec son approbation - lui-même recevant l'aval du Seigneur au moyen de révélations divines.
En 2014, au terme d'une opération policière d'envergure, le ranch a été perquisitionné pour des soupçons d'abus sexuels et de mariages forcés.
La plupart des membres encore actifs de la FLDS restent convaincus que Warren Jeffs est leur véritable «prophète». Il continue de leur donner des ordres depuis sa prison.
Mais revenons à l'homme qui nous intéresse aujourd'hui, Samuel Bateman. Il est l'un des anciens proches de Jeffs, qu'il surnomme alors «Oncle Warren». D'après des témoins, Bateman a longtemps tenté de se forger une place privilégiée auprès du «roi» de la secte et de son cercle intime.
De vaines tentatives de rapprochement qui n'ont pas empêché le prophète déchu, Warren Jeffs, de dénoncer Bateman dans une révélation écrite et envoyée à ses partisans depuis sa prison texane.
Vexé et exclu, Samuel Bateman s'est donc mis en tête de créer sa propre faction dissidente. Il se convainc qu'il est un successeur et nouveau prophète digne de ce nom. Mais pour cela, il lui faut d'autres épouses.
De retour d'un road trip au Canada, Bateman profite d'une pause pipi sur une aire de repos pour placer sous le nez de sa fille deux gros sacs de Doritos, 50 dollars («comme si c'était un pot-de-vin», note un enquêteur dans le rapport d'enquête) et une demande en mariage impromptue. Avant de lui décrire en détail comment il aimerait beaucoup «lui faire un bébé».
Embarrassée par les baisers de son père qu'elle décrit comme «dégoûtants» et «baveux», l'adolescente réplique qu'elle est trop jeune pour penser au mariage. Bateman persiste. Il soumet l'idée à son épouse. Madame Bateman prend peur, obtient une ordonnance restrictive et quitte le domicile familial avec leur fille.
Dès lors, selon le FBI, Bateman parvient à rassembler une cinquantaine d'adeptes, patchwork désordonné de membres dévots du FLDS et d'anciens membres d'églises mormones, qu'il marie et contraint à des actes sexuels selon son bon plaisir - et la volonté de Dieu.
Avant d'assouvir son fantasme de polygamie. En moins de quatre ans, Bateman prend 19 épouses. Toutes issues de deux mêmes familles de ses partisans. La plupart sont âgées de moins de 15 ans. La plus jeune, née en 2011, a neuf ans, au moment de l'union.
Ce n'est qu'en novembre 2020, suite à plusieurs signalements, que Samuel Bateman commence enfin à intriguer les autorités. Il faudra attendre deux ans de plus et un simple contrôle routier pour mettre fin à sa sinistre collection.
Ce 28 août 2022, Samuel Bateman est arrêté au volant de son SUV Bentley à Flagstaff, petite ville de montagne de l'Arizona, par un service de police de l'Etat. Tandis qu'il gare son véhicule, un policier est interpellé par des «petits doigts d'enfants qui bougent sur la porte arrière de la remorque».
Quelle n'est pas la surprise des agents de découvrir à l'intérieur de la remorque «sordide»: trois filles, toutes âgées entre 11 et 14 ans, ainsi qu'un canapé, des chaises de camping et un seau en guise de WC.
Arrêté et inculpé pour soupçons de maltraitance, Bateman est placé en détention à la prison du comté de Coconino. Le jour-même, il décroche le téléphone pour contacter l'un de ses fidèles partisans. Mot d'ordre: supprimer toutes ses communications compromettantes, échangées sur la messagerie cryptée Signal.
Des instructions qui lui valent désormais un acte d'accusation fédéral pour «destruction ou de tentative de destruction de dossiers» et de «falsification de procédures pénales».
Bateman en profite pour contacter également plusieurs de ses épouses.
Quelques jours après l'arrestation, neuf filles mineures ont été retrouvées à son domicile de Colorado City et placées sous la garde du service de protection de l'enfance de l'Etat, dans des foyers.
Selon les derniers documents judiciaires publiés la semaine dernière, le FBI a des raisons de croire que le «prophète» autoproclamé a transporté des mineurs entre l'Arizona, l'Utah, le Nevada et le Nebraska, pour se livrer à des relations sexuelles illicites entre mai 2020 et novembre 2021.
La juge américaine Camille Bibles a exigé que l'inculpé reste derrière les barreaux tant que l'affaire sera décortiquée par les tribunaux. S'il est reconnu coupable, Samuel Bateman encourt jusqu'à 20 ans de prison pour chaque chef d'inculpation. L'acte d'accusation de «crimes sexuels sur enfants» n'a pas été retenu.