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Féminicide suisse: «Plus l'acte est violent moins il se justifie»

Une femme manifestent avec des torches lors d'un rassemblement suite a la 26eme victime de feminicide en Suisse et contre les violences faites aux femmes, ce mardi 21 decembre 2021 a Geneve. (KEY ...
Manifestation à Genève pour la 26e victime de féminicide en Suisse, en décembre 2021.Image: KEYSTONE

«La Suisse a un réel problème avec les féminicides»

En janvier dernier, un tribunal neuchâtelois condamnait à la prison ferme un homme pour le meurtre de son épouse. En février, le corps démembré d'une femme assassinée par son mari a été retrouvé à Paris. Comment justifier une telle violence? Comment enrayer le phénomène? Une avocate répond à nos questions.
04.03.2023, 16:2916.03.2023, 21:21
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«Il s’est trouvé dans un tourbillon de sidération totale. Il était dans l’incapacité de pouvoir dire à ses enfants qu’il était le responsable du décès de leur maman»: ces propos sont ceux de Me Dominique Beyreuther-Minkov, l'avocate de Youcef Matoug.

L'homme de 50 ans est soupçonné d'avoir étranglé son épouse âgée de 46 ans dans leur appartement de Montreuil et de l'avoir démembrée dans la cuisine. Les morceaux de corps ont ensuite été mis dans des sacs-poubelle, puis placés dans un chariot afin d'être transportés, en bus, jusqu'à Paris. Il a finalement dispersé les sacs dans le parc des Buttes Chaumont et sur des voies de chemin de fer abandonnées.

Il a été placé en garde à vue le 23 février pour «assassinat, atteinte à l'intégrité d'un cadavre et recel de cadavre».

«Plus l'acte est cruel, moins ils arrivent à l'expliquer»

Un crime d'une violence indicible et pourtant, voici ce qu'on lit dans les médias français comme Le Parisien, BFMTV ou encore Femmes Actuelles:

«Mon client est effondré. Il n'a jamais voulu donner la mort à sa femme»
Me Dominique Beyreuther-Minkov, l'avocate de Youcef Matoug. bfmtv

Retour en Suisse. Me Valérie Maurer a elle aussi entendu des propos similaires de la part d'un homme accusé d'avoir tué son épouse, âgée de 35 ans, de 23 coups de couteau, dont 6 au visage. Les faits se sont déroulés en avril 2021. En janvier dernier, le procès s'est ouvert au Tribunal criminel de Neuchâtel. L'avocate défendait les enfants de la victime.

Me Valérie Maurer.
Me Valérie Maurer.

«D'après moi, plus l'acte est cruel et violent, moins ils arrivent à l'expliquer ou à le justifier», explique-t-elle. Est-ce du déni ou simplement de la lâcheté face à leur crime? Dans le cas suisse, une expertise psychologique a été effectuée (comme il est de coutume), afin d'évaluer si l'accusé souffrait d'une maladie psychique qui pourrait notamment atténuer la peine. Ce n'était pas le cas.

Un diagnostic auquel s'ajoute le fait que, durant les audiences, le mari a changé de version à plusieurs reprises et qui, d'après Me Valérie Maurer, prouve qu'il était pleinement conscient lors du meurtre. Dans une de ses versions par exemple, il raconte qu'il n'a frappé sa femme que d'un seul coup de couteau.

Tuer une femme parce qu'elle est une femme

Le Tribunal criminel de Neuchâtel a condamné l'homme à 14 ans de prison ferme pour meurtre. Il sera expulsé du territoire à sa sortie.

Les types d'homicides:
En Suisse, une personne peut être condamnée différemment selon le type d'homicide commis:

Meurtre passionnel (1 an de prison minimum): l'auteur a tué alors qu'il était en proie à une émotion violente.
Meurtre (5 ans de prison minimum): l'auteur a tué intentionnellement un être humain.
Assassinat (10 ans de prison minimum): l'auteur a tué avec une absence particulière de scrupules. Dans ces cas là, les mobiles, le but ou la façon d'agir sont particulièrement odieux.

En Suisse, le terme féminicide n'est pas inscrit dans le Code pénal, malgré une demande déposée au Conseil des états en 2020. Une décision que Me Valérie Maurer regrette. Elle salue toutefois le fait qu'il est de plus en plus utilisé dans les tribunaux et les médias: «J'ai été surprise lorsque le juge, en rendant son verdict, a explicitement parlé de féminicide.» Elle poursuit: «Le procureur et moi-même avons également nommé ce meurtre ainsi». L'utilisation de ce jargon est importante, car selon elle, il permet de préciser que la femme a été tuée par un homme en raison du fait qu'elle est une femme.

Et c'est justement le motif derrière le meurtre de Peseux. D'après l'avocate, le mari n'a pas supporté que sa femme refasse sa vie. La victime était venue ici sans lui depuis l'Érythrée, notamment pour fuir la guerre civile. «Elle s'est émancipée, elle travaillait, s'organisait seule, précise Me Valérie Maurer. Il l'a tuée trois semaines après être arrivé en Suisse.»

La faute de la victime

C'est donc le comportement de la femme qui justifie, selon ces hommes, le passage à l'acte. D'après les enquêteurs, Youcef Matoug, qui a démembré sa femme à Paris, explique quant à lui que son geste a été motivé par «des rancoeurs qui existaient au sein du couple depuis plusieurs années». «C'est toujours de la faute de la victime», se désole Me Valérie Maurer.

«Mais ce n'est qu'une parade pour qu'on les prenne en pitié»

Une banalisation de la violence qui ne permet pas d'améliorer la situation, au contraire. L'association Stop feminizid le rappelle: en Suisse, une femme est tuée par son mari, son partenaire, son ex-partenaire, son frère ou son fils, parfois même par un inconnu, toutes les deux semaines. Le Bureau fédéral de l'égalité rapporte que chaque semaine une femme survit à une tentative de féminicide.

L'homicide n'est cependant que la pointe de l'iceberg, comme l'explique Béatrice Cortellini, directrice de l’Aide aux victimes de violence en couple (AVVEC). Dans le quotidien ArcInfo, elle rappelle que tout commence par de la violence verbale, qui évolue en violence psychologique, puis physique et enfin sexuelle. «Et l'extrême, c'est l'homicide», conclut-elle.

Quelles sont les solutions pour enrayer le phénomène? Premièrement, une meilleure prévention et sensibilisation, selon l'avocate neuchâteloise. Pour elle, ce rapport de domination entre les hommes et les femmes est encore problématique dans la société, peu importe la génération. Elle observe d'ailleurs une recrudescence des violences envers les jeunes filles. «Je suis choquée par l'âge des protagonistes, raconte-t-elle. Les parents et les écoles ont encore beaucoup de travail à faire.»

Secondement, il faut que les autorités soient moins frileuses quant à l'utilisation de l'arsenal juridique à disposition. Par exemple: les bracelets électroniques, les services de prévention pour les prévenus, les interdictions de contact ou encore les thérapies (contrôlées par les autorités) pour les hommes violents. «Malheureusement, en huit ans de carrière, je n'ai vu que deux fois des juges envoyer des hommes suivre ces thérapies», regrette Me Valérie Maurer.

Elle poursuit: «Aujourd'hui encore, la police se sent démunie face à des cas de violences conjugales. Il y a une pudeur, un malaise lorsqu'on entre dans ce débat.» Et de conclure:

«Nous avons un réel problème en Suisse dans la manière de gérer ce phénomène»
La première grève féministe de Suisse le 14 juin 1991
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La première grève féministe de Suisse le 14 juin 1991
La première grève des femmes* de Suisse avait impliqué plus de 500 000 femmes à travers le pays.
source: keystone
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Video: watson
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