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Mixité, Pralinato et pipi dans l'eau: vive les piscines municipales

Piscine de Bellerive-Plage, à Lausanne, 2022.
Piscine de Bellerive-Plage, à Lausanne, 2022.image: fred valet

Mixité, Pralinato et pipi dans l'eau: vive les piscines municipales

Sur les pelouses rasées de près, des corps, des baudruches, des glacières. Dans les bassins, des éclats de chlore et de rire. En été, la piscine municipale brasse les origines, les gabarits, les fiches de paie et les fluides dans un grand bain populaire. Hommage et immersion à Lausanne. (Venez comme vous êtes.)
24.07.2022, 17:4628.07.2022, 16:12
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Sans chlore, le bassin d'une piscine municipale ressemblerait à une cuvette de toilettes dont la chasse d'eau serait doucement, mais continuellement en marche. Nous y reviendrons. (Ceux qui n'aiment pas les pieds, les bactéries, les pipis dans l'eau, les enfants et les frites grasses, restez avec nous.)

Dès la fin du mois de mai, les bassins romands de plein-air déverrouillent leurs portiques pour drainer des milliers de citadins épuisés. Les jeux d'eau brillent encore, les pelouses sont rasées de près. Jusqu'en septembre, ces étendues de baignade, bon marché et noires de monde, verront défiler les corps. Tous les corps. Sculptés ou un peu moins. Mats ou un peu moins. Jeunes ou un peu moins. L'opulence y côtoie aussi la farniente plus chiche. Dans la bouche des sociologues, on appelle ça le brassage social. N'est-ce pas Monsieur Jean Viard? «Il existe effectivement des lieux où peuvent se fréquenter plusieurs couches de la population. Même si l'objectif, une fois sur place, n'est pas toujours le même.»

«C'est comme dans les campings. On y trouve aussi bien des caravanes tirées par de somptueuses Mercedes, que la famille d'ouvriers. Expérience de la nature pour les uns, raison financière pour les autres»
Jean Viard, sociologue spécialiste des loisirs

Par chance, une fois saucissonné dans un maillot qui colle aux cuisses, tout le monde (ou presque) a l'air passablement ridicule.

La pelouse de Bellerive. Au total, 7,5 hectares d'herbe qui longent les rives du Léman.
La pelouse de Bellerive. Au total, 7,5 hectares d'herbe qui longent les rives du Léman.image: fred valet

Piscine de Bellerive, Lausanne. Une journée ordinaire de juillet. Comprenez, une tiaffe de tous les diables et des enfants libérés de l'école. Diego*, 15 ans, caleçon fluo et crinière plaquée en arrière, congratule le garçon plus âgé qui vient de «gérer au max» son double backflip. L'artiste sort de l'eau sous les applaudissements et un soleil de plomb. Il réajuste son slip de bain. Le papa a filmé l'exploit du beau gosse. Dans les pupilles du jeune spectateur, respect et saine jalousie. Un dur doux qui a aussi l'habitude de se shooter à l’adrénaline en chatouillant le ciel, mais une mauvaise chute l'en privera encore quelques jours.

Ils se connaissent tous les deux. Peu, mais suffisamment. Chaque soir, la communauté des plongeurs des dix mètres s'évapore dans la ville une fois les deux genoux glissés dans un pantalon. Mais, à heure fixe, quand le garde-bains en t-shirt blanc moulant ferme provisoirement l'accès aux petits plongeoirs, les corps téméraires se succèdent sur l'escalier en béton et en colimaçon, dans une chorégraphie huilée comme un torse.

Les plongeoirs de la piscine de Bellerive, à Lausanne, juillet 2022. La tour de béton a été construite au début des années 1930.
Les plongeoirs de la piscine de Bellerive, à Lausanne, juillet 2022. La tour de béton a été construite au début des années 1930.image: fred valet

Au sommet, concentration et appréhension. High five, conseils avisés et salves d'encouragement s'échangent. Les néophytes se frottent aux plus doués, mais jamais les pectoraux saillants ne bousculent les chairs plus chétives. S'il est permis de fanfaronner, la moquerie reste pendue aux vestiaires. Qu'on enchaîne les figures ou qu'on hésite à se jeter le vide, l’atterrissage est le même: le bassin de Bellerive. Profondeur: quatre mètres cinquante. Parfois, les badauds ferment les yeux et ouvrent grand la bouche au moment de l'impact.

Plouf.

«Elle a fait un plat, non?»
Les vestiaires de la piscine de Bellerive, à Lausanne, juillet 2022.
Les vestiaires de la piscine de Bellerive, à Lausanne, juillet 2022.image: fred valet

Dans une piscine municipale, pas de bistronomie boboïsante ou de fauteuils en teck. Les buvettes affichent des Zweifel au paprika, des bonbons Haribo, des glaces Pralinato. Le thé froid n'est pas à la fleur d'hibiscus et les barquettes de frites narguent le thermomètre à grands coups de mayo entre les doigts des gamins. Le temps semble n'avoir aucune prise sur les présentoirs. Dans les hauts-parleurs, pas l’ombre d’une playlist lounge-summer-beach-love-sex-mmmh qui transpire les années nonante. Seules des annonces, éparses, à peine angoissante et désormais légendaires, viennent perturber le lancinant brouhaha aquatique.

«Le petit Kevin, 3 ans et demi, vêtu d'un maillot à motifs "Reine des Neiges", attend sa maman à la caisse»
«Le propriétaire de la voiture de marque Subaru Impreza, de couleur bleu, immatriculée en Valais...»

Sans l'avouer, beaucoup attendent la maman de Kevin et la révocation de l'avis de disparition pour vaquer, soulagés. «Ça aurait pu être le nôtre de mioche.» Ici, beaucoup de bonheur, peu de chichi. Stéphane, 42 ans est d'accord avec ça. «Ouais, c'est un peu comme à la maison. On y croise les mêmes têtes et souvent au même emplacement. C'est apaisant. Chacun a ses petites habitudes et ses horaires.» Il faut dire que la piscine municipale n'a jamais été un bon spot, comme disent les uns (en chemisette Zadig & Voltaire à 300 balles). C'est popu', comme disent (tous) les autres. A Bellerive, ce sont plus de sept hectares à fouler, pour six petits francs. Le reste, c'est du béton. Beaucoup de béton. Certains s'y crament le dos après trois brasses histoire de sécher plus vite. La plupart sautillent maladroitement pour ne pas y abandonner un bout d'orteil.

Le bassin olympique de Bellerive. Les nageurs y côtoient les badauds, le crawl ne se laisse pas perturber par le small talk.
Le bassin olympique de Bellerive. Les nageurs y côtoient les badauds, le crawl ne se laisse pas perturber par le small talk. image: fred valet

Les différentes parcelles de pelouse et de bitume s'amusent d'ailleurs à reproduire la vraie vie. Là, une ambiance de quartier populaire avec ses grands gamins et ses sonos portables. Ici, un jardin privé et ses petits bouquets de couples d'amis. Plus loin, ce sont les ballons qui font la loi. A droite, la cour d'école. «C'est rare qu'on se prenne le chou avec d'autres. Tout le monde vient juste profiter de l'été.»

Manger du gras et du regard

Tous les après-midis, un discret ballet des cœurs se met en place au bord du bassin olympique. Une parade nuptiale estivale, chevilles dans l'eau. Abdos et jolis maillots sont de sortie. Aucune cheveu ne dépasse, sauf quand il faut se rafraîchir quelques secondes sans esquinter la mèche. Souvent, les garçons papotent d'un côté, les filles de l'autre. Une boum aquatique où ça se toise, où tout se joue sur un regard, une attitude, une démarche. On se rêve à Ibiza mais, sorti de nulle part, un garnement fait une bombe, les genoux fièrement sous le menton. On est bien à Bellerive, David Guetta n'est pas au programme, les éclats de rire et de chlore décrispent les derniers timides.

«Non, on n'est pas forcément là pour draguer. On vient entre copines. Parfois, oui, on mate les mecs... Mais c'est tout. Le samedi, c'est un peu différent, c'est blindé de monde»
Chacun sa manière de prendre son pied sur le gazon municipal, jaunit par la canicule.
Chacun sa manière de prendre son pied sur le gazon municipal, jaunit par la canicule.image: fred valet

La piscine municipale, c'est l'occasion de dessiner sa propre bulle selon le sociologue Jean Viard: «Ce sont des lieux où l'on est continuellement en spectacle, on se regarde et on se sait regardé. A l'instar des plages, on y voit des gens âgés qui se tiennent plus facilement par la main, se bécotent, comme rarement en ville le reste de l'année. Chacun sa bulle, mais il n'y a finalement que des bulles. Le couple, le sexe et la famille». A quelques mètres du grand bassin, tandis qu'une famille d'origine italienne déploie bruyamment tables, chaises, progéniture et salade de pâtes dans une organisation militaire, un couple aux yeux clairs défroisse les derniers coins de leurs serviettes. Bataillon de bons vivants d'un côté, perfection géométrique de l'autre. Chacun son bivouac. On n'est, d'ailleurs, jamais à l'abri d'une installation au confort digne d'un stand du Paléo Festival.

Quand la piscine est très fréquentée, c'est comme si le centre-ville s'était paré de soleil. Comme une vie quotidienne à continuer, mais en juillet. Le premier défi quand on se fraie un chemin à la piscine municipale, c'est de définir son emplacement. Celui qu'on défendra bec et ombre jusqu'au lever de camp. Forcément, le meilleur. Pas trop loin des bassins. Pas trop près du voisin. Les bandes de potes évitent les smalas. (L'inverse n'est pas toujours vrai.) Si les arbres ne manquent pas, les ombrelles naturelles restent une denrée rare qui se déplace et se négocie âprement entre les plus matinaux, les plus malins et les sans-gêne.

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image: fred valet
«C'est moi où les gars se sont vautrés SUR nos linges?»

Quant aux nageurs, reconnaissables à leurs petites lunettes et à leur bonnet en caoutchouc, ils se contentent souvent d'un petit linge à même le béton. A deux pas de la gouille olympique. Au diable la sieste avec le dernier pavé de Joël Dicker, les longueurs n'attendent pas. Sylvie perfectionne son crawl tous les soirs à Bellerive «quand les gamins sont partis». Seule, sans sac, ni glacière. La proximité du lac lui rappelle la mer.

«Quelques minutes de vacances par jour. C'est mieux que de s'enfermer dans un fitness»
Une nageuse

Sous le cagnard et la petite rangée d’arbustes, une dame d'un certain âge et à l'épiderme trumpesque met de longues minutes à déployer son attirail. Serviette, soutien pour le dos, visière jaunâtre, bouteille d'eau. Le paquet de clopes est à portée de lèvres. Elle n'ira se tremper que pour faire baisser la température d'un corps dont la teinte se devra d'évoluer régulièrement au fil de l'été. Mission bronzage.

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image: fred valet

Dans le carré d'herbe qui jouxte le grand bassin, seul un jeune homme, chaussettes et baskets aux pieds et bouquin sous le nez, n'ira pas piquer une tête cet après-midi-là.

A la piscine, midi ne sonne jamais à la même heure. Les fringales peuvent se ruer dans les glacières à n'importe quel moment. Sandwichs habillés d'alu, saucisson de la Coop, tire-bouchons, bières fraîches, melons prédécoupés. «Le pique-nique, c'est plus pratique pour les enfants. Ils mangent ce qu'ils aiment et c'est pas cher. On n'oublie jamais rien, même le couteau, car une fois sur place, c'est pour la journée.» Ici, les enfants sont au paradis. Des pataugeoires dignes d'Hollywood avec bateau pirate et clown géant qui fout les jetons. En toute sécurité. «Aujourd'hui, on doit avoir ses enfants pas loin. La piscine est plus rassurante pour les parents et les vacances sont devenues beaucoup plus familiales qu’avant», nous confirme Jean Viard.

Certains se contenteront de fixer le ciel pendant quelques heures et d'attraper un paquet de chips à la buvette en sortant. D'autres n'avaleront que des grandes tasses de chlore. C'est d'ailleurs ce qui rebutent ceux qui ne mettent jamais un pied à Bellerive: les autres. Et, avec eux, leurs fluides. Il y a quelques années, les mamans mentaient sans vergogne aux enfants. «Si tu fais pipi dans la piscine, tout le monde le verra parce que l'eau deviendra verte.» Oui, dans l'eau, on pisse, on crache, on se mouche.

«Je n'y pense pas, sinon je n'irais jamais me baigner. Heureusement, le chlore nous fait croire que l'eau est parfaitement bleue et propre. C'est con, mais ça marche»
Lisa, une habituée
L'avantage de Bellerive-Plage, c'est précisément... sa plage. Loin du chlore, une bordure de sable et de graviers invite les amoureux des algues à profiter du Léman, sans quitter la piscine.
L'avantage de Bellerive-Plage, c'est précisément... sa plage. Loin du chlore, une bordure de sable et de graviers invite les amoureux des algues à profiter du Léman, sans quitter la piscine.image: fred valet

Toute la journée, partout, les visages et les crèmes sont solaires. Les légumes et les lumières crues. Les membres sont dénudés, les parasols bigarrés. On croirait presque que le fameux fantasme du vivre-ensemble, cher à une certaine classe politique française, a trouvé refuge à Lausanne. Incognito.

Bellerive, comme toute piscine municipale qui se respecte, semble capable d'aimanter les couleurs. Comme sous le flash du photographe Martin Parr.

Pour finir par s'éteindre, invariablement, dans la moiteur du crépuscule.

Jusqu'au lendemain.

Une scène ordinaire, à Bellerive-Plage, été 1954.
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