Une femme a été agressée. Elle est retrouvée ligotée et blessée dans la cave de sa maison. Elle ne veut rien laisser paraître et reprend sa vie professionnelle dès le lendemain. Mais c'est sans compter sur la police qui enquête. Et elle passe du statut de victime à celui de coupable.
Le film La Syndicaliste est basé sur l'histoire vraie de la syndicaliste Maureen Kearney qui défendait les droits des travailleurs au sein du groupe français Areva. C'est un rôle de choix pour la star française Isabelle Huppert. Mais attention, au début du long métrage, elle est presque méconnaissable: Avec sa perruque blonde et son rouge à lèvres épais, elle tient tête aux hommes du lobby nucléaire.
On a rencontré l'actrice et on a causé avec elle de ce rôle si spécial.
C'est incroyable que cette femme ait été transformée en coupable, non?
Isabelle Huppert: Son erreur a été d'être une mauvaise victime. En tant que syndicaliste, elle était sur la piste d'une histoire brûlante. Elle n'a pas voulu se laisser arrêter, même lorsqu'elle a été victime d'une agression. Elle voulait résoudre le problème de manière originale, pas comme on l'attendait. C'est une provocation. Même des choses insignifiantes comme son rouge à lèvres jouent un rôle...
...Qu'elle met en valeur.
Oui, elle ne voulait absolument pas se cacher. Cela peut être compris symboliquement comme un geste de lutte. Mais c'est bien sûr aussi un masque, personne ne sait ce qui se passe à l'intérieur de cette femme.
Vous non plus? Après tout, vous avez étudié le personnage.
Pas de manière exhaustive, c'est impossible. J'ai lu le livre de Caroline Michel-Aguirre à son sujet. Ce qui est particulier, c'est que l'histoire s'est déroulée ces dernières années, il y a eu des articles dans les journaux et à la télévision. Mais maintenant, on me dit partout: quelle histoire de fou, je n'en ai jamais entendu parler!
On ne la croit pas dans un premier temps.
C'est malheureusement toujours le cas, il suffit de regarder les statistiques. C'est fou. Aujourd'hui, les victimes sont certes mieux écoutées qu'il y a quelques années. Mais les peines contre les violeurs, par exemple, sont encore souvent beaucoup trop légères. Et le soupçon d'avoir tout inventé ou du moins provoqué d'une manière ou d'une autre plane constamment dans l'air.
Comment vous préparez-vous à des scènes de violence?
C'est l'art du cinéma. En tant qu'actrice, les scènes de violence ne m'excitent ni ne me laissent particulièrement indifférente. C'est du cinéma. Je connais les deux côtés: je ne sais pas si je suis une bonne actrice, mais je suis une bonne spectatrice. Et je me laisse volontiers impressionner par la mise en scène ou une séquence de montage.
Vous faites de la coquetterie en disant que vous ne savez pas si vous êtes une bonne actrice!
Vous trouvez? Je ne suis pas toujours contente de moi. Mais vous n'avez pas besoin de me demander un exemple, je ne vous le dirai pas.
Le New York Times a publié une liste des meilleurs acteurs et actrices du 21e siècle. Denzel Washington y occupe la première place, Daniel Day-Lewis la troisième. Mais à la deuxième place...
... c'est moi, je sais. C'est ce que j'attendais. (Rires). C'est un grand honneur, mais je sais aussi que ces listes sont aléatoires. Il y a des commentaires sur chaque personne et dans mon cas, on parle beaucoup d'un film qui s'appelle Greta qui est habituellement un peu noyé dans ma filmographie. J'y joue le rôle d'une tueuse sadique. Je n'ai pas peur de ce genre de sujets, c'est ce qui a dû impressionner le New York Times.
Mais on mentionne aussi des films comme La Pianiste de Michael Haneke ou Elle de Paul Verhoeven.
Ce sont deux œuvres importantes pour moi. L'article dit que de tels rôles sont «osés», mais pour moi, ils ne le sont pas plus que d'autres. Néanmoins, je suis flatté. Et je me sens bien dans mon rôle de jambon pris en sandwich entre Denzel Washington et Daniel Day-Lewis.
Peut-être que tous vos rôles ne sont pas audacieux, mais vous jouez toujours des personnages aux multiples facettes qui ne se laissent pas facilement définir.
Les personnages de films ont longtemps eu tendance à être soit bons, soit mauvais. Je recherche l'ambiguïté, c'est clair. Sinon, je m'ennuie. Simone de Beauvoir me vient toujours à l'esprit. La grande féministe a écrit un essai intitulé Pour une morale de l'ambiguïté. Et c'est vrai: il y a toujours une morale dans l'ambiguïté.
C'est-à-dire?
Si un personnage est bon ou mauvais, tout devient vite clair. Mais le monde est compliqué. C'est là que réside la morale, même pour moi en tant qu'actrice.