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Contacts avec un défunt: interview avec la chercheuse Evelyn Elsaesser

A woman's hand touches another hand underwater. The concept of life and death, a living person and artificial intelligence.
Caresse, odeur, vision... Plus de la moitié des gens expérimenterait un contact avec un proche décédé au cours de sa vie. Le phénomène a un nom: VSCD.Image: Moment RF
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«On peut vivre un contact avec un défunt, même sans croire à la vie après la mort»

Plus de la moitié de la population expérimenterait un «VSCD» au cours de sa vie. Comprenez: être contacté par un proche décédé, alors qu'on ne s'y attend pas et qu'on n'a rien demandé. Phénomène méconnu, mais apparemment très répandu, la science se penche sur ces expériences troublantes depuis plusieurs années. Entretien avec la chercheuse suisse Evelyn Elsaesser, qui s'y consacre depuis plus de trente ans.
28.10.2023, 08:0331.10.2023, 17:42
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watson: Avant d'aborder votre dernier livre et l’avancée de vos recherches sur les expériences liées à la mort, pourriez-vous rappeler en quoi consiste exactement un «VSCD», un vécu subjectif de contact avec un défunt?
Evelyn Elsaesser: Un VSCD se produit lorsqu'une personne perçoit de manière inattendue un défunt. Les VSCD sont des expériences spontanées, apparemment initiées par les défunts, sans intention ni sollicitation de la part des récepteurs. Le caractère spontané de ces contacts est très important: les VSCD sont directs, c'est-à-dire qu'ils se produisent sans l’intervention d’un médium ni l’utilisation d’un appareil de transcommunication.

«Les VSCD se produisent sans qu’on s’y attende. On peut les expérimenter, même sans qu'on croie à une vie après la mort»
Evelyn Elsaesser.

Un agnostique ou un athée a les mêmes probabilités de vivre un contact spontané avec un défunt qu’une personne convaincue de l'existence d'une vie après la mort. Autre constante: après le VSCD, le récepteur est fermement convaincu de l'authenticité de son expérience. Malgré sa surprise et son étonnement, il est certain d’avoir reçu un message personnalisé de la part d'un défunt.

Par message «personnalisé», que voulez-vous dire?
Les VSCD peuvent se manifester par quatre des cinq organes sensoriels. L'ouïe, lorsque le récepteur perçoit très distinctement la voix du défunt. Le toucher, en ressentant un contact physique, par exemple un baiser sur la joue ou une main qui se poser sur la vôtre. Il y a aussi les VSCD olfactifs: le récepteur sent une odeur, un parfum, une fragrance caractéristique du défunt, qui l'avertit immédiatement de sa présence. Certains VSCD peuvent se produire durant le sommeil, lors des phases d’endormissement et de réveil, des états de conscience qui sont propices à la survenue de ces expériences. Il s'agit toutefois de quelque chose de très différent d’un rêve, beaucoup plus réel, concret.

«Vous pouvez encore, tout simplement, sentir la présence du défunt, sans le voir, ni l’entendre. Vous savez qu’il est là»

C’est quelque chose de totalement différent de la sensation, après un deuil, d'avoir la personne avec soi «dans son cœur». Dans le cas d'un VSCD, le récepteur perçoit une densité, une énergie, qui permet de situer précisément le défunt dans la pièce. Il est capable de dire quand le défunt est arrivé et reparti.

Qui est Evelyn Elsaesser?
Autrice de nombreux ouvrages et articles scientifiques et de vulgarisation, Evelyn Elsaesser mène des recherches à l’international, notamment avec l’université de Northampton (Royaume-Uni). Elle s'est particulièrement consacrée aux EMI (Expériences de mort imminente) et aux VSCD (Vécus subjectifs de contact avec un défunt). Elle conduit actuellement un projet de recherche de longue durée sur la phénoménologie et l'impact des VSCD. Elle est co-fondatrice et membre du comité de direction de Swiss-IANDS (International Association for Near-Death Studies) et collaboratrice du Scientific and Medical Network (SMN).

Si je comprends bien, l’objectif de vos recherches n’est pas de prouver l’existence de l’au-delà?
Non, pas du tout. Nous ne voulons pas prouver que les contacts avec le défunt sont réels. Notre objectif est d'analyser les expériences des gens, d'étudier la nature des VSCD et leur typologie visuelle, auditive, olfactive, etc. pour comprendre l’impact sur la vie des individus, sur leur deuil, sur leur système de croyances...

«Notre but n'est pas d'essayer de prouver qu’il y a une vie après la mort»

Nous nous focalisons uniquement sur l’expérience des individus, sans vouloir prouver que ce qu'ils ont vécu est vrai. Pour eux, toutefois, il est évident que ce qu'ils ont expérimenté est réel. D’où l’importance du mot «subjectif».

Ce type d'expérience est-il courant dans la population?
C’est effectivement un phénomène extrêmement courant.

«Entre 50 et 60% des gens expérimenteraient un VSCD au cours de leur vie»

Un sondage, qui a été mené à l'occasion de la Journée mondiale des soins palliatifs, le 28 septembre dernier, est éclairant. Sur les 329 personnes qui y ont participé, 25% affirme avoir vécu un VSCD, et 37% en aurait même expérimenté plusieurs. Soit un total de 62%, ce qui correspond aux estimations avancées par la recherche.

Sur ce pourcentage d’environ 50 à 60%, il ressort que ces expériences sont souvent très positives. C'est étonnant, on pourrait plutôt s'attendre à ce que la prise de contact par un défunt soit effrayante...
En effet! Dans la plupart des cas, on a observé que les VSCD apportent une guérison émotionnelle et s'avèrent très bénéfiques dans le processus de deuil. Le message le plus fréquemment transmis par les défunts est: «J'ai survécu à la mort du corps, je vais bien et je suis à tes côtés». Ce type de message permet au récepteur de prendre conscience que le lien d’amour est toujours là, que la mort physique n'a pas coupé toute connexion. Le lien continue. Pas de la même manière qu’avant, bien entendu. Il se poursuit seulement d'une manière internalisée, métamorphosée.

«Les VSCD sont des expériences extrêmement positives qui ouvrent la perspective de l'existence d'une vie après la mort. Le récepteur a la conviction que son défunt et lui vont se revoir un jour»

Nous avons demandé aux participants à notre étude comment ils se sentaient d'avoir vécu leur VSCD. 71% ont répondu qu’ils chérissent cette expérience. 20% se disent très heureux de l'avoir vécue. Indifférent, 3%. Seul 1% d'entre eux affirment qu'ils auraient préféré qu’elle ne se soit jamais produite et 4% n'étaient pas sûrs. Soit plus de 91% de ressenti très positif.

Pour en savoir plus
Le phénomène vous intéresse? Retrouvez d'autres chiffres et résultats sur le site internet du projet de recherche mené par Evelyn Elsaesser et son équipe, ainsi que sur son site personnel.

Où en sont vos recherches sur les vécus subjectifs de contact avec un défunt?
Lors de notre première enquête en 2018, 1004 participants de langue anglaise, française et espagnole avaient rempli notre questionnaire, ce qui en faisait la base de données la plus grande au niveau mondial sur le phénomène des VSCD. Depuis une année, nous avons reconduit la même enquête en allemand, ce qui nous a permis d'enrichir notre base de données, avec 235 participants supplémentaires. Nous n’avons pas observé de grandes variations dans les résultats. Nous venons également de lancer la même enquête, sur la base du même questionnaire, en chinois.

Justement! Y a-t-il des différences culturelles ou religieuses dans les vécus subjectifs de contacts avec un défunt?
Nous n’avons pas encore les résultats pour l'enquête chinoise, car le questionnaire a été mis en ligne le 1er septembre 2023 et sera disponible pour les six prochains mois. Nous avons toutefois observé dans les deux enquêtes précédentes que les différentes convictions religieuses n’ont que très peu d’impact sur les VSCD. D'ailleurs, au terme de l'expérience, la religiosité des participants n'a que peu évolué. Dans notre première enquête, seuls 9% des participants se considéraient comme religieux avant le VSCD, contre 12% après. Une petite augmentation, certes, mais pas significative. En revanche, 36% des participants se considéraient comme spirituels avant le VSCD, contre 64% après. Presque le double. Les gens ne deviennent donc pas plus religieux, mais beaucoup plus spirituels. La spiritualité n’est pas un dogme religieux en particulier, mais l'ouverture à la possibilité de l'existence d'une puissance supérieure, d’une vie après la mort, de quelqu’un ou de quelque chose de plus grand que nous…

Peut-on toutefois observer un lien entre le fait de vivre un VSCD et le rapport qu’on entretient à la mort? Par exemple, si le sujet nous intéressait avant d’être confronté au décès d'un proche?
Non, notre rapport à la mort n’a pas d’influence sur le fait de vivre un VSCD. En revanche, nous avons observé que cette expérience change considérablement la conception de sa propre mort. Il ressort de notre enquête que la peur de mourir diminue fortement après un VSCD. Dans plus d'un tiers des cas, elle a même disparu. Avoir l'impression de percevoir un défunt chamboule toute la conception de la réalité. Non seulement de la mort, mais aussi de la vie.

Après de nombreux ouvrages scientifiques, vous venez de publier votre premier roman, Le Pays d'Ange aux éditions Les Presses du Midi, qui se consacre à l'expérience de fin de vie d'une jeune fille malade. Quel était votre objectif?
Cela fait des années que j’écris des livres et articles scientifiques. C’est important, bien sûr, car il faut mener des recherches pour pouvoir présenter des résultats au public. Mais je me suis dit qu’il y avait peut-être une autre manière de communiquer tous ces résultats. Tout le monde ne lit pas des livres scientifiques.

Dans ce court roman, j’évoque sous la forme d'une histoire trois phénomènes connus et étudiés: les expériences de mort imminente (EMI), les vécus subjectifs de contact avec un défunt (VSCD), ainsi que les visions au moment du décès. Ce livre condense toutes mes années de recherche et les connaissances que nous avons acquises, d’autres chercheurs et moi-même, sous une forme romancée, beaucoup plus accessible pour le public. Mon désir est de faire connaître au plus grand nombre les expériences liées à la mort et les perspectives éminemment positives qu'elles ouvrent. C’est important.

Image
image: evelyn elsaesser

Cette jeune fille dont vous parlez, l’avez-vous rencontrée? Ou est-elle complètement fictive?
Elle est complètement fictive. Elle n’a ni nom ni âge, ce qui permet de s’identifier pleinement à elle. Elle est universelle, elle représente tous les êtres humains. Cela peut être vous, moi, un homme, une femme. Nous sommes tous dans la même situation: nous allons tous mourir un jour. Ce personnage nous devient très proche au fur et à mesure qu'on découvre son histoire. On peut toutefois s'apercevoir au fil des pages qu'elle très jeune et que ce qu'elle traverse la fait mûrir plus vite.

Aujourd'hui, quelles sont les prochaines étapes de vos recherches sur les vécus subjectifs de contact avec un défunt?
Actuellement, nous faisons les analyses quantitatives et qualitatives des données récoltées et nous les publions dans des revues scientifiques. Parallèlement, nous continuons à mener notre enquête dans d'autres groupes linguistiques afin de collecter toujours plus de données. Par exemple, nous avons publié une recherche en partenariat avec une université française sur les quelque 12% de participants qui qualifient leur VSCD d’«effrayant». Cette peur serait en partie liée à l'impression de vivre une expérience qu'on pensait impossible.

«Etre persuadé que tout est fini après la mort, avant de voir sa mère décédée, c'est forcément un peu effrayant»

Nous sommes aussi sur le point de publier un autre article sur les VSCD «probants», qui eux, sont particulièrement convaincants: dans ce cas, le défunt vient informer le récepteur de quelque chose qu'il ne savait pas encore. Par exemple, annoncer lui-même son décès qui vient de se produire. Un phénomène particulièrement intéressant, car il ne peut pas être imputé au deuil ou à un phénomène psychologique, puisque la personne n'était même pas encore informée de la mort de son proche. Enfin, nous allons publier un article consacré aux VSCD partagés par plusieurs personnes.

En ce qui vous concerne, l'écriture d'un prochain roman peut-être?
D’autres publications scientifiques, certainement, mais un roman, je ne crois pas! Le Pays d'Ange sera sûrement le premier et le dernier. Ce livre, je l’ai écrit pour l’accompagnement en fin de vie. Ceux qui vont mourir, ceux qui accompagnent, et ceux qui ont perdu quelqu'un qu'ils ont aimé. Ce n’est pas un livre pour les enfants, même s’il traite de l’histoire d’une jeune fille. L'histoire est un prétexte pour évoquer l’accompagnement spirituel en fin de vie et ouvrir d'autres perspectives pour ceux qui restent. C'est l’espoir que son proche est mort physiquement, mais continue d’exister ailleurs.

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