Imaginez-vous: vous êtes étudiant dans le sud-ouest de l'Angleterre dans une petite ville au bord d'une rivière entourée de forêt. Au programme de vos cours? Les dragons dans la tradition littéraire et artistique occidentale, la légende du roi Arthur, la pratique de la tromperie et de l'illusion ou encore la philosophie des psychédéliques.
Non, il ne s'agit pas du pitch du prochain Harry Potter, mais bel et bien d'un master en magie et sciences occultes proposé par l'Université d'Exeter dès septembre 2024. Une première au Royaume-Uni.
Les motivations derrière la création de cette filière sont on ne peut plus sérieuses. D'ailleurs, des études similaires existent en Suisse. Que penser d'un tel cursus? Eclairage (ou Lumos, comme dirait Potter).
Début octobre, date de l'annonce de la création du master, la professeure et cheffe du programme Emily Selove s'est exprimée dans le New York Times. Elle explique qu'elle a observé ces dernières années un regain d'intérêt pour les sujets qui touchent à la sorcellerie, à la magie, à l'occulte ou au folklore.
Elle cite en exemple l'importance de la figure de la sorcière dans les luttes féministes – qui représente l'indépendance, la liberté et le combat contre la société patriarcale – déclenchant ainsi l'envie chez certains étudiants d'en savoir plus sur l'histoire de ces femmes persécutées à la Renaissance.
Dans The Guardian, Emily Selove revient également sur la présence de la magie dans le quotidien. Elle se réfère notamment à la mode de l'ésotérisme, de l'astrologie, du tarot ou encore des cristaux. Des tendances qui s'observent d'ailleurs sur les réseaux sociaux. En bref, des nouvelles spiritualités souvent utilisées dans un but de développement personnel.
Sur TikTok par exemple, le hashtag #witchtok regroupe une communauté de sorcières qui partagent leurs sorts et autres astuces magiques. Il cumule presque 50 milliards de vues.
Toujours selon la professeure britannique, le monde académique doit se montrer responsable en prenant ces croyances, leur étude et la compréhension de leur impact sur la société d'aujourd'hui, au sérieux.
Le but du master de l'Université d'Exeter est donc de créer un espace où la magie et l'occulte pourraient être analysés à la lumière de divers champs académiques: historique, sociologique, religieux, philosophique ou archéologique.
Que penser d'un tel master? Contactées par watson, la faculté de sciences des religions de l'Université de Fribourg (Unifr) et la faculté de théologie de l'Université de Genève (Unige) sont unanimes sur une chose: l'importance de l'étude des nouvelles spiritualités.
«Les spiritualités modernes sont un sujet très sérieux. Elles font l'objet de cours depuis presque 10 ans à l'Université de Fribourg», explique Sâm Ghavami, chargé de cours et conseiller aux études à la faculté de sciences des religions de l'Unifr.
Des propos que confirme Christophe Chalamet, professeur de théologie et vice-doyen de la faculté de théologie de l'Unige. Selon lui:
Contrairement à l'Université de Fribourg, l'Université de Genève n'a pas remarqué un regain d'intérêt pour les thématiques en lien avec la magie ou l'occulte. Christophe Chalamet explique que l'étude de la sorcellerie et de la magie sont déjà au programme des cours des facultés des lettres et de théologie.
Sâm Ghavami indique en revanche que depuis trois ans, il y a bel et bien un nouvel attrait pour les spiritualités modernes. Des cours ont donc été ajoutés au programme de bachelor de l'Université de Fribourg:
Sâm Ghavami rappelle que de manière générale, les nouvelles spiritualités font partie des théories modernes en sciences des religions et sont étudiées depuis plusieurs années en Suisse.
Christophe Chalamet émet cependant de grandes réserves quant au master proposé par l'Université d'Exeter. Selon lui, il y a trop de sujets qui n'ont rien à voir les uns avec les autres: la paléographie, la pensée islamique, l'archéologie ou encore la représentation des femmes au Moyen Âge. Ce mélange l'empêche de voir la rigueur académique derrière le programme. Il dit:
Le vice-doyen met en garde contre le risque d'un master «fourre-tout». D'après lui, les cours proposés sont évidemment passionnants, mais les thématiques méritent d'être étudiées individuellement, car elles ne rentrent pas forcément dans la catégorie de l'occulte ou de la magie.
A l'Université de Fribourg, l'avis est plus nuancé. Sans pour autant se montrer aussi critique, Sâm Ghavami reconnaît que l'Université d'Exeter joue sur le côté marketing de son nouveau cursus académique.
En même temps, tous les ingrédients sont réunis: le sud-ouest de l'Angleterre est une région dont l'Histoire a été marquée par les sorcières et la sorcellerie, rappelle le New York Times. Ajoutez à cela une touche de magie et de sciences occultes et bingo: vous avez dans votre chaudron la recette d'un master qui fera saliver tous les apprentis sorciers et les fans de Harry Potter.