Un marketing agressif à plusieurs centaines de millions et des tonnes de programmes pour appâter le spectateur. Ce mastodonte qu'est devenu Netflix, est désormais un élément de notre quotidien. A coup de «Netflix & chill», de «toudoum», la plateforme de Los Gatos a investi la Suisse en septembre 2014 et s'est imposée dans les foyers de manière graduelle depuis 2017, avant d'exploser pendant le Covid.
La folie s'est emparée des consommateurs, la mode du binge-watching s'est répandue comme une traînée de poudre pour devenir une norme pour les sériephiles. Netflix a réussi à démocratiser une manière d'apprécier les programmes et rebattu les cartes dans l'industrie de l'image.
Le producteur Romain Blondeau a écrit un petit essai de 52 pages, intitulé Netflix, l'aliénation en série. Blondeau met le doigt sur ce concept lancé et créé par les équipes du grand manitou Reed Hastings: le fameux binge-watching. Pour certains, c'est une révolution, un bonheur de pouvoir avaler les épisodes les uns après les autres.
Netflix a enclenché sa révolution du visionnage en décloisonnant cette tradition d'un épisode chaque semaine. Désormais, vous pouvez vous farcir un film de presque huit heures sans être stoppé dans votre élan.
Dans les colonnes du Figaro, Blondeau explique comme l'économie numérique tente de tirer profit de notre temps d'attention:
Ce modèle linéaire d'un épisode chaque semaine est souvent traité comme obsolète par les grands pontes des plateformes. Certes, cette pratique d'aligner les épisodes d'une traite est plaisante, mais le retour à la diffusion «old school» (re)devient de plus en plus plébiscitée par les chaînes et les plateformes. Apple TV+ a bâti son modèle ainsi, et Blondeau d'apprécier ce retour à une forme de normalité.
Avec un livre qui plante rapidement le décor, présentant le leader du streaming comme le fournisseur officiel d'images de la start-up nation, le média de nos vies immatérielles et domestiquées. Romain Blondeau appuie là où des équipes de centaines de personnes tentent d'entraver vos heures de sommeil. «Notre seul concurrent dans cette industrie, c'est le sommeil», ose Reed Hastings. Le grand oracle du streaming épuise ses ressources (financières) pour épuiser nos ressources (physiques):
Le livre aborde aussi la machine à fric qu'est Netflix. Misant sur un algorithme ultra performant, récoltant les données pour alpaguer l'abonné, Netflix délaisse la créativité. Blondeau rappelle que l'entreprise au N rouge, point d'ancrage d'un nouvel âge d'or pour les séries en 2010, a lancé des créations d'exception telles que House of Cards, Mindhunter, grâce à la maestria de David Fincher, ou la série Dark, ou encore des productions originales avec The OA et Sense8.
Blondeau explique que le modèle économique de Netflix est problématique et appauvrit la création. Comme la société est cotée en bourse, la cadence de production doit être soutenue. Voilà pourquoi la plateforme offre une foule de navets formatés et navrants.
Le formatage du récit est un effet pervers pour les créateurs et les showrunneurs. A force de vouloir faire du chiffre, il y a moins de prise de risque: «Quel auteur peut s'exprimer librement dans un tel système?», plaide l'ancien journaliste dans Le Point.
Blondeau persiste à dire que l'industrie du divertissement doit permettre l'échec à un auteur: «La force d'une industrie c'est à l'inverse d'autoriser les échecs.» Netflix, et son obsession des vues, pourrait décourager plus d'un apprenti cinéaste, selon le producteur, comme ses abonnés qui ont déjà commencé à déserter la plateforme.