Le grand N rouge a bousculé notre quotidien. Il s'est même permis de redistribuer les cartes dans le divertissement et le circuit de distribution dans le cinéma. La mania «Netflix & Chill» a fait son apparition dans le lexique des sériphiles, les soirées sont désormais rythmées par les programmes de la firme de Los Gatos. Si le streaming continue son essor avec une pléthore de plateformes, Netflix commence à chatouiller ses limites. Les premiers abonnés ont pris la poudre d'escampette: 200 000 comptes fermés en un an sur les 222 millions. La suite ne s'annonce guère mieux, puisqu'un exode de deux millions d'abonnés est attendu pour le second trimestre.
A force de tout vouloir contrôler, de passer au crible le moindre de ses abonnés concernant le choix de ses programmes, Netflix en oublie son rôle: la création. Pour mieux analyser le processus instauré par ce fichu algorithme, chaque utilisateur est classé dans une des 2000 «communautés de goût» répertoriées au niveau mondial. Vous faites partie d'un gros pack et vous voilà gavés de programmes similaires après avoir visionné votre divertissement du soir. Vous voyez défiler une pluie de productions dupliquées de vos préférences.
En anticipant à l'extrême les attentes de ses clients, Netflix a créé une forme de «cage artistique» avec son algorithme: le contexte, le scénario, les personnages, pour tout est analysé pour emprisonner créateur et abonné dans un carcan bien défini. Une course à la robotisation des goûts, poussant le curseur si loin que la bande à Reed Hastings a même organisé un concours pour les férus d'informatique: un million de billets verts sur la table pour le geek qui réussit à booster ce glorieux algorithme. Améliorer l'interface, moderniser le noyau central de la plateforme; la folie pour anticiper les attentes prend des airs de «black mirrorisation» de l'attention.
Comme l'indique L'Express, des analystes financiers valorisent à un milliard de dollars le système de recommandation du géant du streaming. Une perle qui est bichonnée, travaillée sans cesse au détriment, comme susmentionné, de la découverte et de l'originalité. Le consommateur est coincé dans ses propres préférences: Vous avez apprécié ce film? Alors vous allez en bouffer trois nouveaux calqués sur le même moule. Entrainer l'encéphale à ne plus choisir, à ne plus chercher, un symptôme de notre époque malade.
Indirectement, ce système est le cancer de la création, réduisant ostensiblement la découverte du consommateur. Logiquement, l'algorithme tyran va aiguiller sur les mêmes genres de programmes. Là est le nœud: autour de la table, les investissements iront dans des productions maintes fois visionnées par l'utilisateur, dopées par ce système de recherche. En somme, l'argent va dans des productions qu'on pourrait aisément qualifier de clones.
Heureusement que des créateurs peuvent encore travailler sur des projets originaux, s'évitant les affres – ou les déviances – de la technologie. Stranger Things récemment, les différentes productions sérielles de Mike Flanagan ou encore l'apport d'autres créateurs ou réalisateurs (David Fincher entre autres) sont primordiaux pour la qualité artistique dans le paysage Netflix.
C'est d'ailleurs une création de David Fincher qui a propulsé la plateforme sur le devant de la scène, avec House of Cards (2012). La plateforme a réussi à se démarquer avec des séries telles que The Crown, Dark, The Witcher, The OA, Ozark ou encore Maniac. Une illustration de cette recette ultra pointue en passe d'être rouillée? La prolifération de séries documentaire sur des tueurs en série, dopant ce cher trafic des clics.
Mais les arrivées récentes de gros concurrents tels que Disney+, Amazon, Apple TV+ font grincer des dents dans les bureaux des pontes de Los Gatos. La guerre du streaming est intraitable et ne fait qu'enfoncer Netflix dans son irréflexion. La firme s'évertue à générer des nouveautés chaque mois, à grands coups de milliards injectés (20 milliards annoncés) dans de nouvelles productions, aveuglée, hypnotisée par le rendement. Une course au succès (et aux nouveaux programmes) qui sent le souffre, qui atrophie l'originalité et exhale une brise de l'enfer. Et comme le souligne le dicton: l'enfer est pavé de bonnes intentions.
Mais, à l'image des grands studios de cinéma, Netflix ne fait que mimer un miroir du passé en usant de techniques éculées dans le grand Hollywood: s'approprier un sujet qui fonctionne, pour le saigner jusqu'à l'os. Netflix n'est pas donc pas si éloigné de l'époque MGM ou Universal. A un détail près (qui n'en est pas un). Désormais, les requins du divertissement sont armés d'ordinateurs ultra performants.