Le dernier livre de Michel Houellebecq a le goût d'un long tweet de Booba et l'odeur d'une interminable émission d'Hanouna. Ainsi voguent les états d'âme des personnalités aujourd'hui. Chacun ses armes, quitte à séquestrer la littérature pour en faire un statut Facebook. Tant que l'ennemi finit au sol... Mais que cherche-t-on à assassiner ici?
Une réputation. Celle de Houellebecq, soudain fatigué de danser sur un fil qui a failli rompre sous le poids de la provoc'. On parle d'une période s'étalant d'octobre 2022 à mars 2023. L'ennui, c'est que malgré ses fringues d'enterrement (couverture nuit, lettrage de sépulture), son livre abrite une tombe sans cadavre. Un long râle, sans deuil. Une déposition sans véritable crime. A moins que l'amour-propre d'un auteur à succès puisse être livré aux asticots avec le même cérémonial qu'une carcasse humaine, cet objet est moins un carnet noir qu'un appel à l'aide.
Un cri un peu mou de la plume, dont de gros postillons ont déjà eu le loisir de tremper les pages des journaux français. Que des entretiens exclusifs, bien entendu. Du Journal du dimanche (JDD) au Figaro pour Monsieur Houellebecq, jusqu'à Paris match pour Madame. Et puis, mercredi soir, énième interview événement dans la Grande librairie sur France 5. Il y déclare sa guerre au Mal (comprenez, les gens pas gentils, les salauds comme Michel Onfray ou Edwy Plenel qui en prennent plein la tronche) et affirme que la «haine du sexe» est quelque chose de «très moderne». Allez, on plonge dans le bouquin.
Curieusement, Michel Houellebecq ne fait que survoler ses propos «ambigus» à l'encontre de la communauté musulmane, qui lui avaient valu une bruyante polémique, une menace de procès de la Grande Mosquée de Paris et le blase d'«écrivain d'extrême droite». Important? Oui, mais «moins grave» que le pornogate. Car après de plates excuses pour sa «grande bêtise» et quelques règlements de compte, le gros de ce maigre pamphlet se déroule en dessous de la ceinture.
Et la colère jaillit à chaque page. Une colère flasque, mais en stéréo. Car son épouse, Lysis Houellebecq, présente aux Pays-Bas et à l'écran, s'est senti tout autant «dupée», «trahie», «moquée» et «malmenée» par le (désormais) célèbre réalisateur néerlandais du (beaucoup trop) célèbre «porno de Houellebecq». Si, à mesure des versions et des procès, tout le monde s'est surpris à douter de l'existence même du tournage, suspectant même un coup monté, le bouquin nous offre au moins le fin mot.
Preuve du ras-le-bol, les protagonistes de ce gang-bang porno-judiciaire sont désormais parqués dans un simple bestiaire. Si cette première femme est une «Truie», le réalisateur devient le «Cafard». Sachez, en passant, que Houellebecq n'a finalement pas couché avec «La Dinde», «73 fois moins désirable» qu'une jeune Asiatique rencontrée quelques heures plus tôt, à Amsterdam.
Oui, c'est compliqué et tordu.
Le livre est pourtant censé faire toute la lumière sur «cette histoire de film érotique», qui a «pris de court» et «traumatisé» l'écrivain français. En vain. Le lecteur, pour peu qu'il se montre endurant, devra se contenter d'explications alambiquées, de tournures ampoulées, d'insultes de PMU (parfois à ça de la diffamation), de vulgarité gratuite, de tristesses immenses, d'aveux de naïveté et de vanité.
Beaucoup de rancœurs, aussi, concassées dans ces 103 petites pages.
Qui a dupé qui? Qui espérait quoi? Qui va gagner? Impossible de trancher, si tant est que quiconque en ressente le besoin. Ce porno expérimental, Houellebecq voulait le faire interdire, brandissant sans succès sa «dépression» pour jouer la carte de l'abus de faiblesse. Le fameux contrat, que l'auteur dépose tel quel au milieu de l'ouvrage (comme une espèce de préservatif enfilé sur sa mauvaise foi) n'y changera rien. Même s'il concède n'avoir pas suffisamment offert d'attention au «point 1.4.».
«Que celui qui n’a jamais signé un contrat sans le lire me jette la première pierre», écrivait-il déjà, en mars dernier, dans une lettre adressée à la revue La règle du jeu. Les règles, de son jeu cette fois, celui qui est allé beaucoup trop loin si l'on en croit ses confessions, Houellebecq refuse toujours de les accepter. C'est l'histoire d'une sommité mondiale, aujourd'hui vulnérable, qui collectionne les mauvaises décisions face aux mauvaises personnes. Il suffit de jeter un œil furtif à la carrière du «Cafard» néerlandais, pour que la fumisterie planquée derrière la caution artistique explose au visage.
L'appétit sans fond et archi-documentée des Houellebecq pour les galipettes en hors-piste fera le reste. Il faut dire que des détails sexuels, il y en a un paquet.
Et notamment lorsqu'il démolit, à la frontière du ridicule, l'apparence physique et les prestations catastrophiques des jeunes filles qu'il a tripotées, les pieds au mur et accompagné de son épouse.
Houellebecq précise que le tournage a duré deux heures et qu'ils auraient dû, «dans un monde justice», être «payés à l'issue de cette rencontre», tant «La Truie» faisait montre d'une «passivité totale». Il fouille aussi ses propres fantasmes et (se) pose des questions philo-phalliques. Mater du porno, par exemple, est une activité qu'il «exècre». Fâché d'avoir été, selon lui, filmé à son insu, il suggère en revanche que s'envoyer en l'air devant une caméra peut représenter le «prolongement évident d’une vie de couple».
Tant que ça n'atterrit pas sur Youporn.
Avouons qu'ici, le cul, sous la plume faussement rasoir du presque Nobel, est à la fois le plus gênant et le plus inspiré. Comme si, en plein ménage de printemps, Michel se souvenait qu'il était Houellebecq.
Malgré cette passion quasi laborantine pour le «léchage de couilles», avec une verve turgescente plutôt amusante, cet homme a les boules. C'est d'ailleurs la sale impression qu'offre ce geste littéraire d'une cinglante impuissance: quand Houellebecq est blessé, il devient blessant.
On prend également conscience que réveiller l'opinion publique en sursaut pour détailler sa fatigue généralisée est un sacré privilège de célébrité. On pourrait bien sûr reprocher à Michel Houellebecq de s'être simplement trompé de numéro. L'homme de 67 ans ayant, en pleine pulsion de rédemption, réquisitionné son éditeur au lieu d'harceler son psy.
Trois raisons, au moins, expliquent ce choix. L'ego de l'écrivain et le tarif de la consultation, déjà. Et puis, quand il s'agit de faire la lumière d'un geste brusque, le vieux parquet des librairies fera toujours plus de boucan que le divan d'un cabinet. Comme s'il fallait pointer un énième indice au malaise, Flammarion n'a pas eu le cran d'afficher son très lucratif poulain sur sa page d'accueil.
Quand on désire à tout prix se faire entendre, c'est que l'on s'estime incompris. Or, Houellebecq, par ce livre impudique et brouillon, aggrave son cas et passe simplement pour un vieil hédoniste un peu rance, dépassé par sa propre aura et par tout ce qui va désormais trop vite pour lui. Cela dit, l'auteur semble encore suffisamment lucide pour se charger de la critique la plus sévère et réaliste du bouquin:
De la plume de celui qui excelle dans l'art délicat de la dissection des tendres errances contemporaines de son prochain, c'est d'abord une immense déception. Certes, Quelques mois dans ma vie n'aura duré que quelques minutes dans la nôtre. Mais ce fut déjà trop. Ou pas assez, pour peu que l'on goûte au génie littéraire du bonhomme, quand il avait suffisamment d'aplomb pour se contenter du métier de romancier. Et d'assumer ses propres excès.
Avec tout cela, on aurait presque oublié que le «porno de Houellebecq», baptisé Kirac 27 et d'une durée de 40 minutes, devait sortir ce vendredi. La balle est désormais dans le camp de la justice néerlandaise et de l'amour-propre de tous les acteurs de cette agaçante anomalie médiatique.