Si, vous aussi, vous faites partie de ces gens vieux avant l'heure qui prennent davantage leur pied devant un documentaire sur Cléopâtre qu'avec Stranger Things, vous avez peut-être été intrigués par cette nouveauté du catalogue Netflix.
Débarquée le 11 novembre dernier, Ancient Apocalypse (en français: A l'aube de notre histoire), docu à gros budget signé Graham Hancock, nous promet de partir à la découverte des civilisations perdues.
Lundi soir, cacao, tartines et fesses au fond du canapé, on se laisse séduire par sa bande-annonce prometteuse, ses belles images et notre intérêt naturel pour l'archéologie. Mais très vite... malaise.
Dès les premières minutes de la série, le décor est planté et Graham Hancock assume: il n'est ni historien, ni archéologue, ni scientifique. Ancien journaliste (arf), globe-trotter et auteur prolifique (il a vendu des millions d'ouvrages à travers le monde), le Britannique de 72 ans s'est lancé dans une croisade de plus de 30 ans contre l'establishment archéologique.
Son postulat? Nous aurions été précédés sur Terre par d'autres grandes civilisations détruites lors d'un cataclysme, il y a plusieurs milliers d'années. Autant dire que la communauté scientifique toussote.
Rien d'étonnant à ce que ce genre de «documentaire» nous fascine: la quête de nos origines est la porte ouverte à tous les fantasmes. Même les scientifiques jouent avec cette fascination.
«Les archéologues et les historiens sérieux existent parce qu’il y a une part de rêve, d’imaginaire dans ce qu'ils produisent», concède Dominique Garcia, archéologue, professeur à l'université d'Aix-Marseille et président de l'Inrap.
«L’archéologie est porteuse de mystère, car elle comporte encore sa part de découverte», confirme Matthieu Honegger, archéologue à l'université de Neuchâtel.
On a toutefois tendance à oublier qu’en archéologie, la découverte est cadrée. «Nos chantiers de fouille ne sont pas des lieux de découvertes extraordinaires, mais des endroits de récolte d'informations», rappelle Dominique Garcia.
«On travaille de manière rationnelle... malheureusement!» confirme pour sa part Matthieu Honegger, dans un rire.
L’archéologie, c’est la recherche d’archives, pas la recherche de preuves.
La méthode de l’archéologue (le vrai) est de rassembler de la documentation, de l’analyser, de la mettre en perspective et d’établir une synthèse.
Tout le contraire d'un Graham Hancock. Dans Ancient Apocalypse, le réalisateur, et protagoniste principal de son propre documentaire, affiche et assume sa méthode -ou plutôt, son absence de méthode-, dès le début.
C'est très pratique: dans la diversité du monde, vous trouverez toujours une société, un document, une archive, un monument, qui vous permettra d'appuyer un propos - aussi abracadabrant soit-il. Une démarche aussi «inquiétante que perturbante», selon Garcia, que parfaitement «anti-scientifique».
Le problème? De nos jours, sur les réseaux sociaux et dans les médias, l’esprit critique et la démarche scientifique sont des denrées aussi rares que les tombeaux remplis d'or. «Cela ne touche pas que l’archéologie. Notre société actuelle a du mal à distinguer la preuve de la théorie, le scientifique du chroniqueur», constate Matthieu Honegger.
Un phénomène mis cruellement en lumière durant la pandémie:
Ces «pseudo-scientifiques» opèrent en marge des réseaux conventionnels de la science. «Dans les congrès, les illuminés qui débarquent avec des théories abracadabrantes se font allumer. Là, c’est sans contrôle», s'inquiète Matthieu Honegger.
«Heureusement, il y a encore des garde-fous. Si le réseau scientifique est fort, les contrevenants se font remettre en place», conclut l'archéologue, tout en admettant que le rôle des scientifiques au milieu de ce brouhaha est de plus en plus complexe.
Autant dire qu'en promouvant des séries à la valeur scientifique très contestable, comme Ancient Apocalypse, Netflix n'aide pas le travail d'information des authentiques scientifiques. «Si une plateforme fait de l’argent sur ce genre de documentaire, elle n’a aucune raison d’arrêter.»
Les fictions basées sur des données archéologiques ne datent pas d'hier: au début du 20e siècle, les rumeurs sur la malédiction de Toutânkhamon circulent déjà dans la population.
«Tout le monde a le droit de faire des romans avec une bonne dose d’imagination, mais on doit apprendre à distinguer la fiction de la réalité. La barrière est sensible», avertit Dominique Garcia, qui confesse adorer Indiana Jones.
«Il faut regarder Arte!» s'amuse Matthieu Honegger. «Plus sérieusement, pour les documentaires, je recommande ceux diffusés par le service public, qui fait encore plutôt attention à la rigueur de ce qu'ils diffusent.»
Et pour intéresser le public au travail d'authentiques scientifiques, Dominique Garcia a sa petite idée:
Par exemple, son institut, l'Inrap, a organisé des expositions dans les couloirs du métro ou le parvis de la Gare de Lyon, à Paris, pour présente les résultats de ses recherches et de nos fouilles et de nos chantiers. «Indiana Jones, c'est super, mais l’archéologie, ce n’est pas ça. C’est réunir des archives et les présenter, les partager à tous, avec un regard critique.»