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GPT-3: ces start-up créent des clones virtuels des défunts

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Ces start-up font parler les morts, mais est-ce vraiment une bonne idée?

Les services dits de «grief-tech» permettent à leurs clients de «communiquer» avec des clones numériques de leurs défunts, lesquels sont toujours plus réalistes. Véritable progrès, ou danger pour ceux qui tentent de faire leur deuil?
10.12.2022, 08:01
Daniel Huber / watson.ch
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La mort est irrémédiable. Nous avons du mal à l'accepter, surtout lorsque des personnes qui nous sont proches décèdent. Même ceux qui ne croient pas du tout à la vie après la mort dialoguent parfois intérieurement avec des personnes chères disparues.

Et si nous pouvions réellement parler avec les morts, et eux avec nous? C'est ce que promettent des services numériques comme Hereafter AI, Forever Identity, Project December ou Storyfile – ou du moins une illusion de plus en plus parfaite de cela. La différence avec les albums photos, les enregistrements audio ou les vidéos, qui rappellent également les défunts, réside dans l'interactivité de ces technologies, qui crée l'illusion d'une conversation.

Contrairement aux charlatans et aux médiums qui, depuis des siècles, répondent au besoin des gens d'entrer en contact avec les défunts, ces services ne prétendent pas que les personnes décédées continuent réellement d'exister dans un autre monde ou une autre dimension.

Les entreprises dites de «grief-tech» («grief» signifie tristesse, chagrin) font des affaires avec des versions numériques des défunts. Les clients peuvent ainsi «communiquer» avec ces clones numériques par chat vidéo, message, application pour smartphone ou assistant vocal.

Imiter la voix des personnes décédées

L'éventail des possibilités techniques est large. Cela va des vidéos interactives aux avatars plus ou moins réalistes de la réalité virtuelle, en passant par des robots intelligents. Même les assistants vocaux comme Alexa d'Amazon sont déjà en mesure d'imiter la voix d'une personne décédée à l'aide de quelques données audio, même si cela ne fait pas (encore) partie de l'offre de tels services.

Ces «Large Language Models» (LLM), comme le GPT-3 d'OpenAI, qui peuvent délivrer un texte convaincant sur la base de quelques phrases, ont été tellement développés ces dernières années qu'on les a déjà qualifiés – à tort – de systèmes doués de sensibilité.

Amazon en a fait la démonstration lors d'une récente conférence à Las Vegas: Alexa a lu des passages d'un livre avec la voix de la grand-mère de l'enfant qui l'écoutait. L'intelligence artificielle (IA) n'a eu besoin que d'un enregistrement audio d'une minute pour générer la voix de manière réaliste.

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Parler lors de son propre enterrement

En revanche, Storyfile opère avec des enregistrements audio et vidéo originaux – donc sans vidéos deepfake ni génération de voix.

La start-up a été lancée en 2017, à l'origine dans l'intention de préserver les histoires des survivants de l'Holocauste et de parler avec d'autres personnalités historiques.

Basée à Los Angeles, l'entreprise collecte des vidéos de personnes de leur vivant, qui contiennent des réponses à des questions précises. L'IA Conversa sert à diffuser des séquences vidéo pertinentes en réponse à des questions – par exemple lors d'enterrements.

C'est ce qui s'est passé lors des funérailles de la mère du fondateur de la start-up Stephen Smith, âgée de 87 ans:
Marina Helen Smith, cofondatrice du National Holocaust Centre and Museum au Royaume-Uni, a prononcé un bref discours à l'attention de la communauté endeuillée pendant ses funérailles, via une vidéo préenregistrée, dans laquelle elle décrivait sa vie.
Elle a également répondu à quelques questions, créant ainsi l'illusion d'une conversation réelle.
Marina Helen Smith prend la parole lors de ses funérailles.
Marina Helen Smith prend la parole lors de ses funérailles.Image: storyfile

Et Marina Smith n'est pas la seule: Ed Asner a également utilisé Storyfile pour ses propres funérailles. L'acteur américain avait tout couvert: son enfance, son parcours professionnel, son histoire politique, sa vie de famille, a déclaré son fils Matt. C'était comme s'il se trouvait dans la pièce. Certaines personnes ont eu «un peu peur», mais la grande majorité a été subjuguée.

Storyfile est en train de constituer des archives de célébrités qui donnent des informations sur elles-mêmes dans des enregistrements vidéo de plusieurs heures.

Vous voulez un exemple? Voici la vidéo interactive de l'acteur de Star Trek William Shatner.

Le réconfort du chatbot

Le logiciel Project December, également basé sur GPT-3, est un «chatbot» pur, c'est-à-dire un programme informatique qui simule une conversation avec des utilisateurs humains.

Un article de Jason Fagone, paru l'année dernière dans le San Francisco Chronicle, décrit à quel point la conversation avec le chatbot d'une personne décédée proche peut être émotionnelle.

Le journaliste américain décrit de manière impressionnante comment Joshua, la trentaine, originaire d'une banlieue de Toronto, a téléchargé sur Project December d'anciens textes et posts Facebook de sa fiancée décédée, Jessica, et a trouvé du réconfort dans la communication avec le chatbot.

Joshua contactant le chatbot de sa défunte fiancée.
Joshua contactant le chatbot de sa défunte fiancée.image: sfchronicle.com

Joshua a souffert de dépression et de culpabilité pendant des années après la mort de sa bien-aimée, mais ensuite «il a eu le sentiment que le chatbot lui avait donné la permission de continuer sa vie à petits pas», comme l'écrit Fagone.

Joshua est même allé jusqu'à partager des extraits de ses conversations avec le chatbot sur Reddit. Il l'a fait, dit-il, dans l'espoir d'attirer l'attention sur ce logiciel et d'aider les survivants dépressifs à tourner la page.

Des hologrammes qui parlent

Le géant de la technologie Microsoft a également déposé l'année dernière un brevet pour un chatbot qui, selon l'entreprise, peut être basé sur un être passé ou présent, comme par exemple un ami, un parent, une connaissance, une célébrité ou un personnage fictif. Il est également possible de créer un tel clone numérique pour soi-même.

En outre, des modèles 2D ou 3D de personnes devraient pouvoir être créés à partir d'images et de vidéos.

Le logiciel aspirerait des données sur les personnes à partir des médias sociaux et s'entraînerait grâce à l'apprentissage automatique. Il en résulterait une intelligence artificielle qui pourrait «penser» et réagir comme quelqu'un que l'on connaît.
The Washington Post

Les hologrammes de célébrités décédées existent depuis un certain temps déjà. Un hologramme de Tupac Shakur a fait une apparition au festival Coachella en 2012, et d'autres musiciens décédés comme Maria Callas ou Roy Orbison ont déjà été vus en hologramme.

En 2020, Kanye West a fait réaliser pour l'anniversaire de sa compagne de l'époque, Kim Kardashian, un hologramme parlant de son père Robert, décédé en 2003. Très typique du rappeur américain, voici le message qu'il a fait dire à l'hologramme:

«Tu as épousé l'homme le plus génial, génial, génial du monde, Kanye West!»

L'hologramme en question👇

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Où est la limite?

L'entreprise Hereafter, située à El Cerrito en Californie, est née de la perte personnelle de son cofondateur James Vlahos, qui a créé le chatbot «Dadbot» lorsque son père a été diagnostiqué avec un cancer du poumon incurable. Hereafter s'adresse délibérément aux personnes encore en vie qui souhaitent se faire immortaliser pour leur postérité. Ils peuvent répondre à des questions sur leur vie dans des enregistrements sonores et télécharger des photos. Selon Vlahos, certains utilisateurs ont enregistré des interviews pouvant durer jusqu'à dix heures.

Comme Storyfile, Hereafter n'utilise pas d'intelligence artificielle pour générer des réponses à des questions qui n'ont pas été posées pendant les interviews – autrement dit, pour inventer un nouveau contenu.

Pour James Vlahos, il s'agit d'un «domaine sensible». Certes, cela rendrait l'expérience de conversation plus flexible et plus performante si l'intelligence artificielle formulait ses propres réponses. Mais si elle synthétise des déclarations qui pourraient provenir de la personne décédée, une limite est franchie.
James Vlahos

En cas d'erreur, cela pourrait être vraiment blessant – et même effrayant.

La journaliste Charlotte Jee a testé l'application Herafter avec ses parents, qui sont tous deux encore en vie. Dans son reportage détaillé, paru en octobre dans la MIT Technology Review, elle raconte comment les clones numériques de ses parents lui ont raconté des choses dont elle n'avait pas connaissance, comme la première fois où son père a été ivre.

Cependant, elle s'est rapidement heurtée à des limites lorsqu'elle a posé des questions qui n'avaient pas été abordées dans les interviews. La mère numérique a par exemple répondu à une question sur ses bijoux:

«Je suis désolée, je n'ai pas compris. Essaie de demander d'une autre manière ou passe à un autre sujet»

Et il y a aussi eu quelques malentendus, par exemple lorsque son père-robot lui a demandé comment elle allait et qu'elle a répondu qu'elle était triste. Son «père» a répondu par un «Très bien!» joyeux.

Implications éthiques

Charlotte Jee soulève également les implications éthiques liées à de tels services – du moins ceux qui permettent de créer une image numérique d'une personne sans sa participation. Qu'en est-il du consentement de la personne concernée? De sa vie privée? Il est par ailleurs tout à fait possible de créer, à l'aide de cette technologie, une version virtuelle d'une personne vivante sans son accord – d'un ou d'une ex-partenaire, par exemple.

La technologie du deuil peut en outre devenir problématique pour ceux qui l'utilisent pour communiquer avec une représentation numérique de leurs proches. Une sorte de dépendance pourrait s'installer, prévient par exemple Elizabeth Tolliver, professeure assistante à l'université du Nebraska, qui s'occupe du deuil.

«Je crains que les gens utilisent toujours plus la technologie pour se sentir plus proches de la personne qu'ils ont perdue, plutôt que de vivre la vie qu'ils mènent»
Elizabeth Tolliver

Pour certaines personnes, cette technologie est tout simplement effrayante. C'est ce que montrent les réactions sur Twitter à l'expérience Alexa mentionnée plus haut:

Presque inévitablement, lorsqu'on aborde le thème des clones numériques de personnes décédées, l'épisode «Be Right Back» de la série de science-fiction britannique Black Mirror, diffusé pour la première fois en 2013, est mentionné comme exemple fictif.

La protagoniste Martha, qui a perdu son partenaire Ash, se crée une version numérique de celui-ci – d'abord sous la forme d'un chatbot, puis d'un robot plus vrai que nature. Mais à la fin, la frustration et le malaise s'installent, car le clone n'est tout simplement pas le vrai Ash.

La bande-annonce de l'épisode «Be Right Back» de Black Mirror 👇

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Ce qui est une bénédiction pour les uns a un effet perturbant, voire répulsif, pour les autres. L'exemple d'une mère coréenne qui revoit sa fille décédée de dix ans sous forme de reconstitution numérique en réalité virtuelle illustre bien cette ambivalence. Bien que les retrouvailles aient été, selon toute apparence, douloureuses, la mère dit les avoir considérées comme une expérience positive. Cela n'en reste pas moins inquiétant.

Faire parler les morts, une démarche très émotionnelle 👇

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(Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder)

Ce robot imite les visages humains à la perfection
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