«Face à la sidérante nullité de la soldatesque russe, l’Ukraine va gagner.» Bien sûr, il faut savoir se farcir le romantisme guerrier qui infeste les analyses du personnage, par ailleurs furieusement affirmatif.
Nous parlons ici de Bernard-Henri Lévy. BHL, pour les intimes (nous le sommes tous ou presque). Un philosophe télégénique, un baroudeur à quatre épingles et, accessoirement, le co-acteur principal de son couple germanopratin qu'il forme avec la fantasque Arielle Dombasle.
Son truc à lui? Fourrer son nez dans les plaies du monde (et du moment). Toujours sur place, toujours sûr de lui. Or, il suffit que le septuagénaire (!) dégoupille costard, ego et mocassins sur une zone en conflit, pour que le public dégaine captures d'écran et rires gras.
Logiquement, depuis que Poutine a décidé de sortir les tanks en février dernier, c'est en Ukraine qu'il empile les reportages, pour ensuite les encrer en exclusivité sur le papier glacé de Paris match. Oui, le magazine qui, jusqu'en 2008, marquait son œuvre du célèbre sceau «Le poids des mots, le choc des photos». (Le hasard n'existe pas.)
Mercredi, le philosophe-écrivain-cinéaste-penseur-homme d’affaires-chroniqueur français a réitéré l'exercice avec un reportage fleuve humblement baptisé Avec BHL en Ukraine, à l'heure de la reconquête. Il y parle de la guerre et de lui. Ou de lui et de la guerre. L'un n'ira jamais sans l'autre. Et personne ne pourra jamais rien contre cela.
C'est de notoriété publique depuis des lustres: Bernard-Henri Lévy n'a pas pour habitude de cacher son «Je».
Et c'est précisément ce qui lui vaut (à chaque fois) une belle collection de railleries: sa mise en scène de lui-même, loin de la chaleur privilégiée de ses draps en soie, mais blotti contre le treillis de ceux qui jonglent avec les gouttes de sueur et de sang. C'est bien simple, une fois dans les tranchées, dès que BHL est sur son trente-et-un, les internautes sont pliés en quatre.
Non seulement l'homme ne semble pas rancunier, mais c'est souvent lui qui pousse le bouchon suffisamment loin et avant tout le monde.
Ne pas se laisser intimider par le bluff de #Putin. J’ai parcouru tte la ligne de front de #Kharkiv à #Odesa, via #Zaporijia & la zone de #Kherson. Mon témoignage (@ParisMatch ce matin) est là: les Russes sont aux abois, #Zelensky gagne la guerre. Pas le moment de lâcher! pic.twitter.com/wLL9Pz0tkF
— Bernard-Henri Lévy (@BHL) September 21, 2022
#Kharkiv. Les #Russes détalent comme des lapins. L’#Ukraine reprend en quelques jours des territoires occupés depuis des mois. La victoire est proche. Et, malgré les destructions, les morts, les larmes, ces hommes sont heureux. pic.twitter.com/kJ8ZU560dp
— Bernard-Henri Lévy (@BHL) September 12, 2022
BHL, mannequin de guerre sans frontières, a l'incroyable talent de transformer un théâtre d'opération en théâtre de guignol : il lui faudrait un gilet pare-éclats de rire ! pic.twitter.com/hAfNdITmsm
— Gilbert Collard (@GilbertCollard) September 15, 2022
Heureusement que Arielle lave plus blanc.#UkraineRussiaWar #Russia #Armenie #pignouf #BHL pic.twitter.com/OXfz8IH5sT
— Franck Mareuil (@MareuilFranck) September 21, 2022
BHL en costard, en pleine opération camouflage dans les herbes pour ne pas être repéré face au danger.... alors que le photographe est, lui, debout (il est invisible sans doute ou déguisé en mouche :-) ).... Le ridicule à l'état pur....
— Jeanne🌷🌷🇫🇷🇫🇷🌷🌷 (@Jeanne20222) September 21, 2022
Pathétique !!! pic.twitter.com/ajUweUtXPu
Votre timeline comprend désormais une photographie de BHL dans une mine de charbon ukrainienne (via Paris Match), belle journée pic.twitter.com/YxWt2IAG1R
— Alexandre Hervaud (@AlexHervaud) September 22, 2022
«Pathétique» et «grotesque»» sont effectivement les deux adjectifs qui sautent à l'esprit. Imaginer un vieil intellectuel en veston sans pli dans le tumulte d'une guerre véritable n'est pas une image qui se laisse facilement digérer. Mais serait-il plus crédible en tenue d'assaut? Rien n'est moins sûr. On ne le rêve pas non plus en Stan Smith ou en survêtement. On l'aimerait en retrait. Planqué derrière son sujet.
Si Bernard Henri-Lévy n'affichait pas sa belle tignasse grisonnante sur chaque ligne de front, on le laisserait sans doute torcher des reportages de guerre sans pouffer sur son épaule(tte). Or, ce qu'il livre sporadiquement à Paris match, une fois de retour d'Ukraine, ne se croque pas sans ce gros morceau de l'intime. Une technique qui porte d'ailleurs un nom: le gonzo journalisme. Né 50 ans avant le très actuel personal blogging (et branding), le «gonzoïsme» se base sur deux principes fondamentaux: la subjectivité et l'incarnation. Le journaliste fait partie de l'article en déroulant son histoire à la première personne. Johnny Depp dans le film Las Vegas parano, ça vous rappelle quelque chose? Dans la vraie vie, le fameux Raoul Duke n'est autre que le reporter américain Hunter S. Thompson, patron de ce type de reportage «par-dessus la jambe».
Certes, Bernard-Henry Lévy, lui, peut se payer le luxe d'emporter un grand photographe dans ses bagages ukrainiens: Marc Roussel, la soixantaine tout aussi aventureuse et qui a bossé plusieurs fois sur le terrain avec le philosophe.
La subjectivité de BHL, quand il colle au train d'un bataillon ukrainien (qui pourrait avoir autre chose à foutre que de rassasier le reporter), se lit dans son impression, son sentiment ou son analyse personnelle des événements. Comme ici: «La ville de Kharkiv, au premier coup d’œil, est l’une des plus éprouvées par la guerre». Et c'est précisément le coup d’œil du télé-philosophe qui nous fait visiter les ruines dans le récit livré, mercredi, à Paris match.
Pour les uns, ce n'est pas du journalisme et c'est même l'ennemi numéro un de la vérité, des faits, froids et implacables. Pour beaucoup d'autres, le gonzo n'est qu'une technique qui permet de plonger plus facilement au cœur du reportage, dans lequel le journaliste n'est rien d'autre qu'un filtre, un guide, une porte d'entrée. Le média Konbini, puis les bébés reporters biberonnés par Yann Barthès, sont souvent en équilibre sur le même fil. Jusqu'aux youtubeurs, qui ne peuvent s'empêcher d'apparaître dans ce qu'ils veulent nous faire découvrir, sans toutefois porter toujours l'ambition d'y fourrer leurs «couilles en bronze».
Lorsqu'on reproche son costard de guerre à BHL, c'est finalement sa subjectivité qu'on condamne. Le riche parisien n'a rien à faire à côté des héros de la guerre. Or, loin de n'être qu'un bête shooting de nanti sous les bombes, son travail se lit comme un récit. Et c'est l'histoire d'un type qui a véritablement passé plusieurs semaines au front de guerre. Le reste, comme toujours, devrait se juger sur pièce, en lisant l'article dans Paris match.
Peut-être que, parfois, l'habit n'est pas obligé de faire le moine.