Il y a eu le taylorisme, le Coca-Cola et les jeans Levi's. Mais la mondialisation ne s'est pas contentée d'uniformiser nos façons de nous habiller, de manger et boire ou même de travailler; elle s'est également immiscée dans nos lits.
Il y a encore quelques décennies, on pouvait se targuer d'avoir été draguée par un latin lover, d'être éblouie par la liberté sexuelle des Suédoises ou de s'imaginer vivre l'érotisme des mille et une nuits. Mais aujourd'hui, la séduction et le sexe sont à peu près les mêmes partout dans le monde.
Cette mondialisation a commencé par celle... du baiser. À partir des années 1920, le cinéma hollywoodien s'exporte. En Chine, en Afrique, en Allemagne, au Mexique, on regarde les productions made in USA, où les baisers sur la bouche représentent le summum du romantisme, de la séduction et des préliminaires.
Aujourd'hui, cette uniformisation perdure toujours, à travers le cinéma, mais aussi avec internet et les séries. «On se séduit, on se met ensemble, on divorce sur ces modèles. Combien de fois des gens ont imité la scène de Titanic...» Vous savez celle où, à la proue du célèbre navire, Rose (Kate Winslet), tendrement enlacée dans les bras de Jack (Leonardo DiCaprio), tend les bras face à l'océan et s'enthousiasme («Je vole, Jack»), avant que les deux tourtereaux s'embrassent. «Les particularités de chaque culture disparaissent devant l'efficacité de la séduction sur un mode ou sur un autre, par telle ou telle pratique.»
C'est la même chose avec le porno. Finalement, nous ne voyons jamais personne faire l'amour, sauf à évoluer dans un environnement libertin. Mais nous regardons des films pour adultes, produits en majorité aux Etats-Unis. Leur visionnage va inspirer nos fantasmes et nos gestes; en particulier, des jeunes biberonnés à YouPorn vont essayer de reproduire à l'identique ce qu'ils voient dans ces films, au mépris du respect des rapports femmes-hommes et de l'éducation sexuelle qui a pu leur être prodiguée par ailleurs.
Même les lieux romantiques se mondialisent. Une plage paradisiaque, la tour Eiffel, l'île de Santorin... Pour être un couple idéal et être reconnu comme tel, il faut avoir sa photo dans ces lieux symboles de l'amour. Et surtout l'avoir postée sur Instagram. Manque d'originalité, posture de consommateur de la romance, cette tendance, surtout, «appauvrit l'imaginaire», déplore le thérapeute pour couples.
Cela dit, quelques particularités persistent ici ou là. Dans certains pays d'Afrique, le kunyaza, une pratique masturbatoire traditionnelle, sorte de vibromasseur naturel, fait encore partie des préliminaires. Et au pays du Soleil-Levant, profondément humilié par la défaite de la Seconde Guerre mondiale et la présence militaire américaine «les Japonais tentent de se réapproprier la vie par le sexe».
Masturbation, revues et films pornos, poupées sexuelles, bars à hôtesses, fétichisme de la petite culotte, la vie érotique des Japonais est tout à la fois exubérante et libérée, tandis que la société demeure patriarcale et hétérocentrée, et que les couples font peu l'amour.
Quant à la Chine, les relations affectives et sexuelles y sont chamboulées par la surreprésentation des hommes par rapport aux femmes, liée à la politique de l'enfant unique pratiquée pendant 35 ans jusqu'en 2015. Autre exemple encore: ces dernières années, des études ont démontré qu'aux États-Unis, les jeunes seraient moins portés sur la chose.
Enfin, le baiser ne serait pas universel non plus. Des chercheurs américains ont publié en 2015 une étude dans la revue American anthropologist montrant que moins de la moitié de la population mondiale s'embrassait sur la bouche de façon romantique.
Il est ainsi absent des cultures d'Amérique centrale et très peu présent dans les cultures africaines.
En réalité, la séduction et l'érotisme sont des pratiques très récentes. Si on observe les quelques milliers d'années qui ont précédé notre époque, ce n'était pas franchement la norme. Cela ne concernait que quelques personnes.
Et ceci était valable aussi bien en Europe, en Asie ou en Afrique. Oui, au 18e siècle, le libertinage était courant en France... mais dans les salons de l'aristocratie. «Dans le peuple, on retrouve le viol, et des comportements sans aucun érotisme», abonde-t-il. «En Occident, et particulièrement en France, nous avons une grande liberté.»
En Inde, le Kamasutra, un manuel d'art de vivre, écrit entre les VIe et VIIe siècles, est destiné à la haute société indienne et décrit le mode de vie des personnes cultivées. Il prodigue des conseils de séduction pour une vie harmonieuse dans le couple, et ce à travers notamment ses soixante-quatre positions sexuelles - un volet qui ne constitue toutefois qu'un chapitre du livre à proprement parler.
De la même manière, les danseuses du ventre dans le Moyen-Orient ou les geishas japonaises se produisaient devant les hommes riches.
Bref, pendant très longtemps, la séduction et l'érotisme ne concernaient qu'une poignée de personnes. Mais tout change au début du 20e siècle. Jusque-là, le mariage est une affaire d'union de famille, pas d'amour ou alors très rarement -et ce dans tous les milieux, y compris modestes ou ruraux. Puis à partir de la Première Guerre mondiale, on assiste aux premiers mariages d'amour entre personnes du même âge.
Aujourd'hui, cette liberté dans la séduction et la sexualité représente la norme. En tout cas en Occident, lequel regroupe à peine 25% de l'humanité si l'on y inclut l'Amérique du Sud et les Caraïbes. Les trois quarts du monde sont toujours des sociétés traditionnelles, où la religion pèse considérablement. Dans ces pays, les personnes, majoritairement les femmes, sont souvent contraintes, ne peuvent pas choisir, et la séduction et les relations sexuelles sont très codifiées, c'est-à-dire réprimées en dehors du mariage.
En Inde, en 2014, des groupes de personnes se sont réunis pour s'embrasser et défier la répression morale qui condamne quiconque manifeste des signes d'affection en public. Ce qui fait dire à Philippe Brenot qu'«en Occident, et particulièrement en France, nous avons une grande liberté».
Alors profitons-en.
Cet article a été pubié initialement sur Slate. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original