Lèvres trop gonflées, artères bouchées, nécroses dans les cas les plus sévères: en Suisse romande, les injections illégales de Botox ou d'acide hyaluronique se multiplient et leurs conséquences peuvent parfois être très déplaisantes, voire graves, pour les patients.
Dimanche dernier, Mise au point diffusait un reportage sur cette pratique illégale de la médecine, exercée le plus souvent par des esthéticiennes à des prix qui défient toute concurrence et dans des conditions qui ne respectent pas toujours les normes sanitaires.
Nombre de ces praticiens s'affichent publiquement, sur les réseaux sociaux notamment, et les voix des professionnels du milieu s'élèvent pour les dénoncer. Pourtant, les plaintes pénales restent encore peu nombreuses. Deux experts expliquent à watson l'essor de ce phénomène.
Romain Léger, médecin esthétique à la clinique Entourage à Lausanne, raconte en effet que depuis plusieurs mois, il reçoit régulièrement des patients (majoritairement des femmes entre 20 et 35 ans) qui viennent pour réparer les dégâts causés par ces injections illégales. «C'est souvent cette tranche d'âge qui a tendance à se tourner vers des solutions meilleur marché et plus risquées», précise-t-il.
Il se souvient d'une injection de Botox qui avait figé les sourcils dans une position peu naturelle, ou encore de lèvres asymétriques ou trop gonflées. Rien d'irréversible: une nouvelle piqure de Botox a rétabli la position des sourcils et l'acide hyaluronique a été dissout grâce à l'hyaluronidase.
En exemple, il cite l'acide hyaluronique injecté aux mauvais endroits, ce qui risque de boucher certaines artères, notamment celles qui irriguent les yeux. Le patient peut devenir aveugle. Ou encore les nécroses du nez causées par le recours à de mauvaises techniques. «Et surtout, je reste joignable et je suis mes clients après l'intervention», ajoute-t-il. Effectivement, certains lui avouent que la personne qui a réalisé les injections illégalement n'est plus en Suisse ou n'effectue pas de «retouches» si le résultat n'est pas bon.
Malgré ces mauvaises expériences, le cercle vicieux ne se brise pas, comme l'explique la Doctoresse Patricia Delarive, spécialiste FMH en dermatologie et vénérologie et co-fondatrice de la clinique esthétique Matignon. Elle observe en effet – depuis un an et demi environ – que ce boom ne cesse de prendre de l'ampleur. «Plus ces personnes sont nombreuses, plus cela légitime leur pratique», se désole-t-elle.
Elle se souvient:
Pourtant, comme le rappelle notamment la RTS, les plaintes pénales restent rares (malgré les dénonciations). «Souvent, les patients ne souhaitent pas causer de tort à leur esthéticienne, par exemple, qu'ils connaissent depuis des années. Ils ne vont donc pas jusqu'au procès», relaye la doctoresse.
Le Parlement a également refusé, début mars, de renforcer la loi contre ces injections. Selon les politiques, les cantons sont en charge: ils doivent effectuer plus de contrôles et mieux appliquer les lois existantes.
Dr. Patricia Delarive dénonce toutefois un manque de surveillance. «La preuve: le phénomène est de notoriété publique, mais ces personnes peuvent tout de même continuer d'exercer illégalement la médecine», exprime-t-elle. Et d'ajouter:
Le problème ici, comme rappelle l'experte, est que les esthéticiennes ne sont pas considérées comme des acteurs de la santé publique. Elles ne sont donc pas soumises aux mêmes contrôles et passent ainsi sous le radar. «Nous, en revanche, sommes très surveillés», précise-t-elle. «Les règles à respecter en tant que médecin sont extrêmement strictes, notamment en termes d'hygiène. Cette différence de traitement et cette impunité me révoltent.»
Romain Léger, médecin à la clinique Entourage, est lui aussi en colère. Pour que les choses changent, il préconise une meilleure sensibilisation et une plus grande communication publique sur ces pratiques. Il rappelle: «Les patients sont les victimes. Et dans la majorité des cas, ils ne sont simplement pas informés. Ils pensent réellement que se faire injecter du botox par des gens non qualifiés n'est pas dangereux.»
Pour contrer le phénomène, l'association des centres de médecine esthétique suisses (ACMES) a été créée fin 2021, avec pour volonté de fournir une médecine esthétique de qualité qui respecte les codes de déontologie. Elle regroupe 14 entités, dont la clinique Matignon et Entourage.
Il y a quelques mois, ils ont d'ailleurs alerté et sollicité l'aide des médecins cantonaux pour que différentes mesures soient adoptées pour contrer le problème. «Seuls deux nous ont répondu», se désole Dr. Patricia Delarive. Un manque de prise au sérieux qui vient, selon elle, notamment du fait que la médecine esthétique n'est pas remboursée par l'assurance et que le patient consulte par choix et non par nécessité.
Romain Léger confirme également: «Il ne faut pas oublier que nous sommes médecins avant tout. Nous sommes là pour aider et rendre service. Il est important que les patients se tournent vers du personnel qualifié.»