«La culture du vide.» Voilà les premiers mots venus à l’esprit du leader du «92i» lorsque celui-ci a partagé, mardi 19 juillet, sur son compte Twitter, une vidéo de Gims. Dans une manifeste tentative d'autocongratulation, l'ancien meneur de la Sexion d'Assaut annonce offrir 5000 euros à un passant lui ayant déclaré qu'il était «son rappeur préféré».
“La culture du vide” gênant, dégradant, faux, humiliant… pendant ce temps là sa deuxième femme Adja Damba 49 ans enchaîne les arnaques au CPF et se cache entre Dubaï et le Maroc pour éviter le fisc… ⏳🏴☠️ pic.twitter.com/VrWU1rkrso
— Booba (@booba) July 19, 2022
Loin d'être une rappeuse, Magali Berdah fait également les frais du discours acerbe de la plume de Boulogne depuis plusieurs jours. Sur les réseaux sociaux, Booba a reproché à l'agente préférée des influenceurs français de «cultiver le néant» lorsqu'elle a contesté sur le plateau de Touche pas à mon poste (TPMP) l'interdiction des téléréalités.
.@magaliberdah “La culture du néant” Le vide… là où tu as voulu m’envoyer…C’est moi qui vais t’y envoyer mais ne t’inquiètes pas je te tiendrai la main… Et arrête de te faire passer pour une Juive t’es pas Juive t’es juste un démon. pic.twitter.com/hCX5jnFf6X
— Booba (@booba) July 5, 2022
Car celui qui est connu pour avoir révolutionné le rap français s'adonne depuis quelques années à une activité à plein temps: placarder sur internet toutes les personnalités publiques qu'il méprise. Autoérigé en fossoyeur de la bêtise humaine, Saddam Haut-de-Seine, comme il se désigne, déterre des sextapes pour enterrer des carrières, forme des photomontages pour déformer des propos. Un spectacle qui donne à boire et à manger aux boulimiques des polémiques 2.0.
Le trône du rap français sur lequel est cloué Booba depuis bientôt 30 ans pourrait-il s'effondrer face à toutes ces intrigantes prises de position? Retour sur une carrière au sommet, esquintée par une navrante et perpétuelle quête de visibilité.
Jouons franc jeu. Ce n’est pas dans la technicité que l’on concède à Booba la palme du premier de la classe. Loin des élans mélancoliques et conscients d’un Kery James, de la plume agile et allégorique d’un Oxmo Puccino ou encore des métriques multisyllabiques propres aux Sages Poètes de la Rue, le rappeur de Boulogne est de ceux qui s'opposent aux fioritures de l'ultra complexe, optant davantage pour les images crues et la puissance de l'instru. Et il n'a peut-être pas tort. Après 26 ans de carrière à son actif, Elie Yaffa, 45 ans, demeure, toutes générations confondues, le plus suivi des MCs de la francophonie.
De Mauvais œil (2000), premier album indépendant de l’histoire à devenir disque d'or, à Ouest side (2006) ayant offert à l'Hexagone le titre Boulbi (2006), premier «banger» rap sculpté pour les clubs après Je danse le mia (1993), B2o est surtout reconnu pour être l’homme qui a démocratisé l’autotune en France avec l’entêtant Scarface (2011). A l’époque, brocardé par ses confrères, l’ex-membre de Lunatic en a usé à outrance, comme pour s’affranchir des codes établis par les lyricistes, dès lors considérés par la jeunesse d’un autre temps.
Depuis, entre anglicismes et omissions grammaticales, le Duc et son rap tribal galvanisé par un vécu à Miami fixent du hublot ceux qui l'attendent au tournant. Cela, autant dans sa musique que dans sa vie privée. Parce que l’un ne va pas sans l’autre, à la manière des esclandres US ayant amorcé la tendance. Alors, dès le départ, celui qui a débuté comme danseur a semblé ne pas avoir d’autres choix que de cultiver une image sulfureuse pour asseoir sa crédibilité dans le rap jeu. Kyzer, MC Jean Gab1, Fabe, IAM, NTM, MC Solaar: si la liste de clashs ayant émaillé les débuts de l’artiste est conséquente, elle n’a, à l'époque, que très rarement dépassé les confins de la rue ou des studios de Skyrock. Jusqu’à l’explosion des réseaux sociaux, période durant laquelle les fans ont vu naître en Booba un intraitable fervent du drama.
Dans le rap, la culture du clash pré et post années 2010 n'implique pas les mêmes enjeux. Si dans l'une, l'attention des consommateurs de musique urbaine était intensifiée, dans l'autre, elle s'est retrouvée exacerbée par l’âge d’or des plateformes sociales, touchant de fait une plus large audience. A bien des égards, Booba est parmi les rares artistes francophones à l'avoir compris avant les autres. Sur ses comptes Instagram et Twitter, les rancunes du bitume s’y sont additionnées à mesure qu'elles gonflaient son nombre de followers... et ses ventes d’albums.
On ne rappelle plus les premières pendaisons médiatiques de rappeurs français ayant fait de Rohff et La Fouine des véritables mèmes. Alors que l’interprète de Starfuckeuse (2005) bénéficiait des photomontages les plus irrévérencieux du web, son compère Fouiny Babe s’était vu exposé sur le mur de la honte à la suite d'une sextape relayée par les réseaux sociaux du Duc.
Dès lors, les mots de Booba sont pensés non plus pour le beat mais pour le buzz. «Chez les grands, tout n’est pas si grand finalement», commentait-il en partageant la vidéo pornographique de son rival devant des utilisateurs aussi ébahis qu'hilares. Car c’est un fait: sur la Toile, le public a découvert un rappeur plus à l'affût, plus endurant, et fâcheusement plus désopilant que ses adversaires.
Puis, le succès a laissé place à l'excès. A la vue des rappeurs qu'il mésestimait et de l'audience que cela ramenait, le roi de Boulogne a commencé à se perdre en criblant également l'entourage de ses victimes. Pour cause, la mère hospitalisée de Damso en 2019 et les croyances religieuses de la femme de Gims en 2022 ont été prises à partie. Désabusés, beaucoup d'internautes ont commencé à dire qu'il allait trop loin. Nouvelle déception du côté du public lorsque le fameux «octogone sans règles» qui s'apprêtait à devenir l'un des combats les plus suivis de France s'est très vite essoufflé , pour finir par n'avoir jamais lieu.
Et c’est bien là que repose la problématique de Booba: au fil du temps, l’impulsion donnée à ses conflits, que nombreux parmi ses détracteurs ont estimé être des «mascarades», n’a plus semblé suffire à amuser la galerie. Flairant le risque d’un désintérêt, Booba a soudainement renouvelé l’engouement autour de sa personne en se frottant aux technocrates de la mise à l'amende: les stars de la téléréalité. La déchéance était lancée.
Un clash pour un contenu viral. La technique est bien connue des têtes d'affiche de téléréalité qui, depuis l'avènement des réseaux sociaux, usent de ces derniers pour gagner en popularité. Grands pourvoyeurs de bad buzz, ces personnalités publiques n'ont que faire du sens, c'est la visibilité avant tout. Naturellement, l'incursion de Booba – et son égo en éternelle quête d'attention – dans le secteur sonnait comme une évidence.
Le Duc de Boulogne mène actuellement une lutte acharnée contre ceux qu'ils nomment les «influvoleurs». Pointant les dropshippings nébuleux, les arnaques au compte personnel de formation (CPF), parmi d'autres escroqueries dont sont victimes de nombreux jeunes Français, Booba se tient en justicier de la morale... sans pour autant vraiment en avoir une lui-même. Parce que s'il y a certes un fond honorable, la forme manque définitivement à l'appel.
Maeva Ghennam, Marc Blata, Dylan Thiry, Magali Berdah sont, depuis quelques semaines, parmi les cibles privilégiées de Saddam Haut-de-Seine. Florilège:
INFLUVOLEURS INFLUVOLEUSES VOUS ALLEZ PERDRE. CE N’EST PAS MON COMBAT MAIS CELUI DU PEUPLE. LE PEUPLE A DIT STOP. ÇA DÉPASSE LE RAP… 🏴☠️ #TOUTESTFAUX pic.twitter.com/GaXBst8EqM
— Booba (@booba) July 22, 2022
Adrien Laurent basketteur raté de bonne famille ayant grandi à Levallois 92 devient influenceur puis fauché à cause de la “chasse aux influvoleurs” il décide de nous montrer son kiki caché derrière une cagoule car la lâcheté est leur point fort. Cette culture du néant va cesser! pic.twitter.com/ADwYMP1urT
— Booba (@booba) July 17, 2022
.@Maevaghennam1 vous m’avez raté maintenant on va tous vous faire 🤣 c’est le jeu faut accepteeyyyy!!! Que le meilleur gagne. 😘🏴☠️ ( la culture du néant vs La Piraterie ) pic.twitter.com/rIrUyEzrOV
— Booba (@booba) July 10, 2022
Que pensent @TF1 @tfx et son dir. des programmes @grange_jul des propos de @jazztvshow qui n’a "rien à branler de ne pas payer ses impôts" et "déteste" la France ? Et si on faisait tourner cette vidéo 🤔 #jlcfamily #jazztvshow #sarahfraisou #poupettekenza pic.twitter.com/WsUd2yHnn1
— Donald (@dondanbury9) July 24, 2022
Plus qu'un combat, c'est une chasse aux sorcières que le rappeur réserve à ces stars de téléréalités. Cela, jusqu'au cyberharcèlement qui, rappelons-le, est passable de deux ans de prison et 30 000 euros d'amende en France. C'est notamment ce qui a poussé Magali Berdah à dernièrement porter plainte auprès de la justice. Car même internet a ses limites, lesquelles peuvent faire perdre toute crédibilité au roi des mèmes.
Sur Twitter, la star radote et tourne en rond jusqu'à créer le plus grand des néants médiatiques. Une dizaine de tweets par jour, des vidéos accompagné de faux sosies, des photomontages quotidiens: celui qui avouait déjà quelques années auparavant s'ennuyer sans ennemi fait désormais moins rire qu'il épuise. En fait, à y observer de plus près, il est la représentation parfaite du néant que symbolise trop souvent l'enfer pour les uns et la joie pour les autres des réseaux sociaux. Et clairement, c'est le second groupe qui afflue en masse sur la Toile, octroyant au rappeur la satisfaction de, par exemple, voir son dernier single Téléphone (2022) classé numéro un des ventes Itunes.
.@sferaebbasta comment on dit numéro uno en Italien?!!! 🇮🇹🏴☠️ https://t.co/J2S2sUm7Vc
— Booba (@booba) July 27, 2022
Roi des tendances, non du bon sens, Booba incarne peut-être en fin de compte la modernité de son siècle. Là où ses rivaux courent encore derrière le train de la jeunesse, du haut de ses 42 ans, le leader du 92.i semble avoir parfaitement compris la vision consumériste de l'ère 2.0. Sur internet, Booba est drôle, Booba est parfois gênant, voire même agaçant. Mais manifestement, n'en déplaise à certains, quoi qu'il fasse, Booba est diablement toujours gagnant.