Lorsqu'il quitte sa résidence californienne de Big Pine, ce 24 février, Jerry Jouret n'imagine pas une seconde la mésaventure qui le guette. En tout cas, ce ne sont pas les trois heures de route qui le séparent de son épouse Sharon et de leur maison commune de Gardnerville, dans le Nevada, qui vont effrayer cet ancien employé de la National aeronautics and space administration (Nasa), habitué à avaler les kilomètres.
Avant de retrouver sa famille, Jerry doit d’abord traverser une zone périlleuse. En effet, ce coin de la Californie fait face, depuis quelques semaines, à de violentes tempêtes hivernales. Des conditions aussi brutales qu'inhabituelles pour un Etat guère accoutumé aux climats rigoureux.
Trente minutes seulement après son départ, Jerry est pris de court par les quantités de neige. Le retraité perd le contrôle de son SUV. La voiture finit sa course dans un gigantesque bloc de neige, avant de s'immobiliser le long d'une route isolée.
Il en faut plus pour impressionner l'octogénaire, ancien mathématicien et vétéran de l'Air force. Jerry refuse de céder à la panique. Peu importe qu'il soit seulement vêtu d'un léger coupe-vent et ne dispose dans son coffre que d'une serviette de bain d'hôtel, une petite couverture et quelques vivres: il a vu trop d'épisodes de Survivor, l'émission de télé-réalité qu'il a dévorée avec Sharon, pour se laisser démonter par ces quelques considérations pratiques. (Non non, on ne vous charrie pas, c'est son petit-fils qui a confié l'anecdote dans une interview à la BBC.)
Alors, pour ne pas mourir de froid, le pragmatique Jerry Jouret économise la batterie et l'essence en coupant régulièrement le contact. Son alimentation à lui se résume à de la neige fondue récupérée par l'interstice de la fenêtre, et des collations emportées pour le trajet - des croissants, des bonbons et des biscottis.
C'est quand on se dit que cela ne pourrait pas être pire, que survient le pire. Au troisième jour, alors que Jerry remonte la vitre après avoir étanché sa soif, la batterie de sa voiture rend l'âme. La fenêtre, encore entrouverte de quelques centimètres, reste bloquée. La température extérieure affiche moins de zéro.
Une fois encore, Jerry ne se laisse pas abattre. Il attend. Il l'ignore encore, mais les secours se démènent depuis très peu de temps pour le retrouver. Ce n'est que quatre jours après sa disparition, le 28 février, que le bureau du shérif du comté d'Inyo a reçu un signalement. Les conditions météorologiques sont alors si extrêmes qu'il faut encore attendre plusieurs heures pour pouvoir lancer les recherches.
Le 2 mars, Jerry Jouret est enfermé dans sa voiture depuis six jours lorsque la police identifie la sonnerie de son téléphone portable. Un hélicoptère de la California highway patrol est envoyé pour survoler la zone. Après l'avoir confondu avec un rocher, le pilote finit, enfin, par repérer la voiture. Ensevelie sous 90 centimètres de neige, une main lui fait signe à travers la fente.
Jerry est transporté d'urgence à l'hôpital du comté. Bien qu'affaibli et légèrement déshydraté, les infirmières sont frappées par la qualité des signes vitaux du survivant. On dit à sa famille qu'un large sourire n'a pas quitté ses lèvres: c'est la première fois qu'il monte dans un hélicoptère.
Autorisé à quitter l'hôpital au terme de quelques heures d'observation, Jerry Jouret est libre de rejoindre sa maison de Big Pine. Faute de SUV, toujours coincé dans la neige, l'octogénaire doit se résoudre à prendre le bus pour retrouver sa femme à Gardnerville.
This is America.
(mbr)