Ah, les joies de l'été. Les peaux dégoulinantes de sueur et de crème solaire, les orteils plongés dans l’eau fraîche, les épidermes dorés comme des pêches rôties, la langue fourrée entre deux boules de glace. Mais surtout, la joie enfantine de retirer son haut et de mettre sa poitrine à l'air, les tétons pointés vers le ciel et le soleil, telles les Alpes à l'autre bout du Léman.
Adepte depuis quelques années du topless à la plage ou sur les rives du lac, j'ai du mal à m'expliquer le plaisir simple de me retrouver seins nus dans l'espace public. Une impression de liberté? La sensation de l'eau froide sur la peau nue? La perspective d'un bronzage uniforme? Ou, bêtement, celle de ne pas tacher mon haut de bikini, en gobant maladroitement mon cornet de glace?
Aucune idée. C'est un geste simple, naturel. Erotique aussi, je peux le concevoir, mais pas davantage qu'un torse masculin.
Et pourtant. Force est de constater que mes seins se retrouvent, de plus en plus souvent, bien seuls. Pas d'autres tétons à l'horizon avec lesquels barboter sur un ponton gorgé de soleil au bord du Léman.
Si bien que ce plaisir se retrouve entaché de culpabilité. Sur les plages, j'ignore souvent quand les seins nus sont même seulement autorisés. A la piscine, je n'y songerais même pas.
Au fond, exposer sa poitrine au su et à la vue de tous constitue-t-il une grave entorse à la bienséance? Suis-je une sorte de morceau de chair impudique, exposée en toute connaissance de cause aux regards des autres? Pourrais-je choquer mes voisins de serviette? Instagram et sa phobie algorithmique n'a-t-il pas eu raison du téton à l’air? Autant de questions fiévreuses qui défilent en dénouant les ficelles, face à une alignée de hauts de bikini fermement arrimés.
Les chiffres, implacables, me donnent raison: selon un sondage Ifop publié à l'occasion de la «journée mondiale du topless» ce 26 août, faire tomber le haut a effectivement de moins en moins la cote auprès des femmes de ma génération.
En cause? Les risques du soleil pour la peau, évidemment, mais aussi, et plus tristement, les complexes ou la «peur des regards lourds et insistants des hommes», pour de nombreuses répondantes.
Un constat rageant, accablant, qui me refilerait des envies sauvages de cramer mon soutien-gorge. Alors que, en grande impudique notoire, j'ai toujours eu la chance de faire abstraction des potentiels regards, intrigués, insistants, voire libidineux. Qu'importe si mes seins ne sont pas parfaits, tombent comme des fruits trop mûrs ou, au contraire, tapent dans l'oeil d'un septuagénaire en manque de stimuli visuels.
En 2023, maillot ou pas, nous devrions avoir la liberté de nous en foutre. Bronzer, c'est super, et on ne le dira jamais assez. N'oublions juste pas la crème solaire.