Ils sont classe, en uniforme et portent des lunettes Ray-Ban (aviator de préférence), j'ai nommé: les pilotes de ligne. Combien coûte la formation de pilote? Le métier est-il encore prestigieux? Faut-il s'inquiéter des turbulences? Pourquoi on n'entend rien quand ils parlent au micro? Bref, en ce début de vacances de Pâques, on a posé toutes les questions qui nous traversaient l'esprit à un pilote de ligne. Attachez vos ceintures.
Notre pilote de ligne passionné est paré à toutes les questions triviales: «J'ai l'habitude, mais parfois quand je suis invité à un dîner, je ne parle pas de ma profession, sinon je suis harcelé de questions». Celle qui revient sans cesse? «Si on connaît tous les boutons,et la réponse est oui.» Promis, on la reposera.
Comment êtes-vous devenu pilote et combien cela vous a coûté?
Dans mon cas, je l'ai fait en gardant un boulot à côté, mais certains peuvent s'y consacrer à 100% dans une école et le faire en moins de deux ans. En gros, si on compte large, c'est entre deux et quatre ans.
Et vous avez tout payé vous-même?
Alors oui, c'est de ma poche. Après ma formation, j'ai postulé auprès d'une compagnie aérienne et si elle vous prend, vous devez vous former sur les modèles d'avion spécifiques à la compagnie. Cette formation est encore payante, mais la compagnie peut participer à une partie des coûts.
Donc vous payez 150 000 francs, vous passez vos examens de pilote de ligne et vous n'êtes même pas sûr d'être engagé au sein d'une compagnie?
Oui, c'est exactement ça. Après votre licence de pilote commerciale, vous n'êtes pas sûr de trouver un boulot et si une place se libère, il faut encore réussir les examens de sélection propres à chaque compagnie aérienne. Si vous réussissez les sélections, vous vous formez durant un mois et demi sur leurs avions.
Et le salaire dans tout ça, c'est une source de motivation?
Alors, on peut en parler oui, mes premières années en tant que copilote, je gagnais entre 5000 et 6000 francs, c'est déjà un salaire, mais ce n'est pas incroyable. Ensuite, ça monte avec l'expérience et l'ancienneté dans la compagnie. Aujourd'hui, je suis monté en grade et je ne me fais plus de soucis pour le salaire, mais cela prend environ 5 ans pour être à l'aise financièrement.
Bon, entrons dans le vif du sujet, quand vous dites que vous êtes pilote, ça fait toujours son effet?
Quand je dis ma profession, généralement, je suis bombardé de questions.
Alors, vous connaissez tous les boutons?
Ça y est, c'est reparti (rires). Oui, c'est mon job. Je connais tous les boutons, mais je ne les utilise pas tous. Je remets ma licence en jeu tous les 6 mois avec des examens et des tests alors je peux vous dire qu'on doit connaître l'ensemble des boutons du cockpit.
C'est rassurant. Merci.
De rien, ça fait souvent cet effet. Dire que vous êtes formé en permanence et que vous maîtrisez tous les boutons, ça rassure beaucoup de monde.
Quelles sont les questions que l'on vous pose en permanence, à part les boutons?
Si nos connaissances, sont mises à jour régulièrement.
Et alors?
Bien entendu. C'est un métier très exigeant, rien n'est acquis. Nos connaissances et nos compétences sont testées très régulièrement.
Ça ne vous stresse pas toute cette pression?
Je peux vous dire que je ne vais jamais le cœur léger aux examens et je passe beaucoup de temps dans les bouquins. Ma vie à la maison n'est pas des plus passionnantes durant cette période.
C'est quoi la journée type d'un pilote de ligne?
Cela dépend de vos horaires de vol, mais en résumé, vous devez arriver une heure avant le décollage. Si vous avez un départ à 6h du mat, ça sera 5h à l'aéroport, debout en fin de nuit. Sur une semaine type, nos destinations changent quotidiennement. C'est ce que j'adore dans mon métier. C'est très agréable de voir des paysages différents chaque jour.
Je peux voler donc le lundi, le mardi et le mercredi être en «stand by», c'est-à-dire rester à la maison, mais être disponible, en cas de maladie d'un collègue et d'un problème technique.
Cela vous est déjà arrivé de piloter un avion vide?
Oui, ça arrive lorsqu'on a besoin d'un avion à un aéroport précis. Pour l'anecdote, j'étais en «stand by» un 25 décembre et
on m'a appelé pour amener un avion vide dans un autre aéroport. Les raisons peuvent aussi être d'ordre technique, notamment de maintenance, imaginons qu'un avion a besoin de pièces spécifiques et l'aéroport où il se trouve n'en a pas, il faut alors le ramener.
Ça tombe très bien pour ma prochaine question: vous avez conscience d'être responsable de la pollution de notre planète?
Alors, je peux vous dire qu'on est tout à fait concerné par le problème environnemental. Toutes les compagnies aériennes ont des politiques strictes sur l'économie de fuel par exemple. Ce qu'il faut savoir, c'est qu'il s'agit d'une course contre la montre. Il faut trouver des moteurs qui consomment moins et qui polluent moins aussi. Dans l'aviation commerciale, il y a beaucoup de partenariats pour développer l'électrique.
On vous dit souvent qu'en tant que pilote, c'est de votre faute?
Personnellement, en tant que pilote de ligne, on ne m'a jamais pris à partie.
Ils sont ravis de pouvoir prendre un vol d'une heure et quart pour aller à Rome ou pour se retrouver au bord de mer à Nice. Les discussions tournent généralement autour des pilotes du dimanche, qui décollent depuis les petits aérodromes.
Et ça vous agace?
Un peu, parce que je trouve qu'on a une fausse image des pilotes. Certains pensent qu'il s'agit d'un plaisir réservé aux gens fortunés, mais c'est un hobby ouvert à tous. D'ailleurs, je les encourage à rencontrer les pilotes des aéroports régionaux. Ils sont accessibles et ils seront ravis de parler de leur passion.
Revenons à votre métier, c'est toujours aussi prestigieux de piloter des avions où ça n'impressionne que nos mamans?
Honnêtement, oui. C'est vrai qu'on n'est plus à l'âge d'or où les pilotes signaient des autographes dans les aéroports (rires), mais il y a toujours une fascination pour l'uniforme. Quand je porte mon uniforme, les gens me disent «bonjour», on voit qu'ils sont plus respectueux et impressionnés.
Donc si je vous retire l'uniforme, vous n'allez pas apprécier?
Alors ça non! Ne nous retirez pas nos uniformes, cela fait partie intégrante du métier. C'est comme la blouse du médecin. En plus, on a des grades et l'uniforme sert aussi à les reconnaître. On y tient vraiment!
Entre nous, ce sont plutôt les enfants qui sont impressionnés non? Ah si vous saviez le nombre d'adultes qui se servent de leurs enfants pour venir voir le cockpit (rires). Les adultes sont aussi impressionnés par le nombre de boutons, on y revient encore.
Mais avec les compagnies low cost, ce prestige a-t-il disparu?
Cela a peut-être participé à la diminution d'un certain prestige, mais pas de manière drastique à mon avis. Vous n'imaginez pas combien de personnes prennent l'avion en photo sur le tarmac ou guignent toujours dans le cockpit.
Dire qu'on est pilote, ça aide à draguer ou c'est un cliché?
Alors, je ne l'ai pas expérimenté, car je suis marié, j'ai deux enfants et que je suis très heureux. En plus, je suis un peu rouillé pour ce genre de chose, mais je peux vous dire que l'uniforme fait toujours son effet.
Vos collègues masculins en profitent alors?
Je ne donnerai pas de noms (rires), mais oui, ça marche très bien. Aussi chez les pilotes privés.
Et le personnel de cabine qui fricote avec les pilotes, c'est encore réaliste?
Alors, oui, cela arrive toujours. Mais ça concerne plus les longs courriers. Quand on fait du long courrier, par exemple un Zurich-New York, on a des «night stop» et on loge dans les hôtels. Si tu passes du temps avec une équipe que tu connais, que tu manges ensemble, que tu sors boire un verre, cela contribue au rapprochement des personnes.
Vous avez droit à des alcootests avant de prendre les commandes?
On peut avoir des contrôles surprises, oui. Mais personnellement cela ne m'est pas encore arrivé. La règle est d'avoir 0% d'alcool dans le sang.
On va attaquer le sujet qui obsède ma collègue Ana, aérophobe. Les turbulences sont-elles dangereuses, si oui, comment doit-on réagir?
Alors déjà, j'aimerais clarifier une chose: les trous d'air n'existent pas! L'avion ne tombe pas dans les airs. C'est une croyance.
Des turbulences, ce sont deux masses d'air qui ont des propriétés différentes (température, densité et direction du vent). Lorsque ces deux masses d'air vont se rencontrer, l'air va être perturbé et quand l'avion va passer au travers de ces deux masses, le flux d'air perturbé va créer des turbulences.
Aucune raison d'avoir peur des turbulences?
Aucune. Les turbulences ne sont pas dangereuses, car l'avion est extrêmement solide et l'aile peut beaucoup bouger. J'aimerais rappeler aussi qu'il n'y a jamais eu, dans l'histoire de l'aviation, une aile qui s'est décrochée à cause de turbulences. L'avion peut supporter des turbulences, même sévères. Ce qui est dangereux pour le passager, c'est de se cogner s'il est mal attaché ou qu'un objet lui tombe dessus, il peut se blesser gravement dans ces deux cas.
Qu'est-ce qu'on peut faire quand on traverse ces turbulences?
Et vous, les pilotes, vous faites quoi pendant qu'on est secoué dans tous les sens?
Et bien, on est secoué aussi! Ce n'est pas agréable non plus pour nous les pilotes. L'un de nos objectifs c'est aussi le confort de tous. Mais pour en revenir aux zones de turbulences, on va changer d'altitude. On demande au contrôle aérien si on peut monter ou descendre pour les éviter. On a des cartes météo qui prédisent les zones, mais parfois ça ne se passe pas comme prévu. Mais encore une fois, c'est notre quotidien, c'est tout à fait normal.
Mais avouez que ça ne dérange pas certains pilotes, non?
Je dirai que c'est une question de tolérance. Certains pilotes vont accepter de passer 10 à 15 minutes dans une zone de turbulence tandis que d'autres vont demander de changer d'altitude après 5 minutes. Mon seuil de tolérance est assez bas, mais on fait tous, à peu près la même chose.
Mais alors, on doit avoir peur de quoi? Des turbulences au décollage?
Franchement, de rien. Il ne faut pas s'inquiéter. Je tiens vraiment à vous rassurer, car même les secousses au décollage sont normales. On est préparé et entraîné dans tous les cas. Par contre, si vous avez très peur en avion, je peux vous conseiller de contacter la compagnie Swiss qui organise des cours pour être rassuré en avion.
Bon, j'insiste, mais les avions s'écrasent parfois, on ne peut pas le nier.
C'est vrai, mais l'avion est le moyen de transport le plus sûr au monde. Dans la majorité des cas d'accidents, l'appareil n'a pas de problèmes, ce sont des erreurs d'appréciation des pilotes.
Vous êtes donc le maillon faible?
Si on veut, oui. Ce qui est important, c'est de comprendre qu'il y a des ingénieurs dont le métier est de prévoir toutes les situations de pannes possibles.
Comme?
Que faire si on traverse un nuage de cendres volcaniques ? C'est improbable, mais nous avons une procédure dans ce cas précis. Il y a des accidents, oui, mais ils sont très rares et ils seront toujours analysés pour qu'ils ne se reproduisent plus.
J'avoue que c'est ma partie préférée, vous allez (enfin) pouvoir parler librement de nous. Vous aimez piloter des avions commerciaux ou vous préfèreriez piloter des frets, pour éviter de nous avoir en cabine?
Non, c'est sympa de vous avoir (rires). Après, c'est vrai que selon les retards, certaines personnes sont, disons, perturbées. Mais je vous rassure, on a une formation pour désamorcer ces situations. En tant que pilote, on intervient rarement, généralement, c'est le personnel de cabine qui gère les passagers.
Vous êtes déjà sorti du cockpit pour calmer un passager?
Oui, une fois. Un homme alcoolisé avait insulté notre cheffe de cabine, on lui a demandé de s'excuser, il l'a fait.
Ça s'est arrangé rapidement...
Non, dès qu'on est retourné dans le cockpit, l'homme l'a insultée encore une fois. On a fini par le débarquer.
C'est radical comme décision non?
Vous savez, quelqu'un qui agit de la sorte avant le décollage, il va le faire en vol et on ne va pas prendre de risque. En six années de carrière, c'était mon premier cas.
Ouvrons le chapitre des retards maintenant, à quoi sont-ils dus?
99% des retards sont provoqués par des causes externes et n'ont rien à voir avec la compagnie. On ne s'imagine pas le nombre de petits problèmes qui peuvent créer un retard. Je vous donne un exemple:
Une fois, un passager qui a enregistré ses bagages ne s'est pas présenté à la porte d'embarquement. On a eu une heure de retard à cause de ça. En effet, on ne peut pas décoller avec le bagage d'une personne qui ne s'est pas présentée. On a donc dû vider la soute pour enlever sa valise. Ah oui, les escaliers pour embarquer ou débarquer les passagers ont des moteurs et ceux-ci peuvent aussi tomber en panne. Résultat, on est en retard. Et je ne vous parle pas des grèves que nous avons eues en France ces dernières semaines.
C'est seulement la seconde fois que je vous sens un peu agacé...
Oui, parce que ce sont des causes externes, qui n'ont rien à voir avec la compagnie. Et que cela soit le personnel de cabine ou nous les pilotes, on a tous envie d'arriver à l'heure à la maison. On est dans la même équipe que vous.
Voici la très attendue, foire aux questions WTF, vous êtes prêt?
Toujours, j'ai l'habitude. Allez-y.
Vous êtes conscients qu'on ne comprend rien à vos annonces depuis le micro du cockpit?
On nous chambre tout le temps avec ça (rires). Le problème, c'est que personne ne nous apprend à parler à une distance correcte du micro.
La solution serait de tester le micro avant chaque vol pour que le pilote sache si c'est audible ou non. Moi, je l'ai testé et on m'a dit qu'on m'entendait mieux. Après, je ne vais pas me moquer de mes collègues, il faut dire que c'est aussi le cadet de nos soucis lorsqu'on prépare le vol. Au moment de l'annonce, il y a beaucoup de brouhaha dans le cockpit et on ne fait pas attention à ce genre de chose. Soyez un peu indulgent avec les pilotes (rires).
Un pilote, ça s'ennuie parfois aux commandes?
Non, parce qu'on a presque tout le temps quelque chose à faire. On fait du monitoring aussi. Mais, sur les longs vols, on a le temps de discuter, de manger, etc.
Avec l'autopilote, vous êtes plutôt tranquilles, non?
Oui, et l'autopilote est même obligatoire en croisière. Vous savez, c'est comme mettre le régulateur de vitesse sur l'autoroute, vous avez quelque chose d'automatique, mais vous monitorez toujours. Il faut toujours être attentif. Ce que je préfère ce sont les vols courts, un Genève-Paris par exemple. Dès que vous atteignez la vitesse de croisière, vous préparez déjà la descente, on est tout le temps occupé, j'aime ça.
Nous demander d'éteindre notre téléphone portable au décollage, c'est vraiment utile?
OUI, mais je ne pourrai pas vous expliquer en détail les raisons, car je ne suis pas ingénieur. Ce n'est pas mon domaine d'expertise. Je peux vous dire que c'est aussi un moyen d'attirer votre attention sur les consignes de sécurité.
Les passagers qui applaudissent à l'atterrissage, vous aimez ou ça vous énerve?
Je ne suis pas fan. Je fais mon boulot et je trouve étrange qu'on m'applaudisse. C'est comme applaudir son boulanger tous les matins. Après, il faut dire que c'est culturel aussi.
Il y a aussi un rapport avec la crainte qu'ont certaines personnes à voyager en avion. Plus elles seront stressées et plus, elles applaudiront à l'atterrissage. Mais même si vous traversez de grosses turbulences, les Anglais ne vont jamais applaudir et si vous faites un voyage tout en douceur, les passagers pour Lisbonne vont vous remercier.
Le pilote et son copilote doivent-ils manger des plats différents pour éviter l'intoxication alimentaire?
VRAI. On mange des repas différents pour éviter tout problème. Je n'ai jamais eu connaissance d'un cas d'intoxication, mais c'est probable que cela se soit déroulé il y a plusieurs années et depuis, on a fait une règlementation.
Il y a toujours des personnes qui tentent des galipettes dans les toilettes des avions?
OUI, mais je n'ai pris personne en flagrant délit. Il faut dire que cela se déroule surtout lors de vols long-courriers et en vol de nuit.
Nous obliger à ouvrir les stores avant l'atterrissage, c'est utile ou pas?
OUI. Ça l'est. Le personnel de cabine doit voir les ailes et l'extérieur de l'avion en cas d'incident. Imaginez que vous ne remarquiez pas qu'il y a un problème sur l'aile. Les passagers seront aussi les premiers à nous alerter en regardant à l'extérieur de l'appareil. Donc, oui, on vous demandera toujours d'ouvrir les stores avant l'atterrissage.
Quelle est la chose la plus étrange que vous ayez vue durant un vol?
Les feux de Saint-Elme. Ce sont des lueurs bleutées qui apparaissent sur le nez ou sur les ailes de l'avion. Ce n'est pas dangereux. On les découvre dans les manuels, mais quand on les voit pour la première fois, c'est surprenant.
Vous avez transmis la passion du pilotage à vos enfants?
Je ne sais pas s'ils vont choisir cette carrière, mais je sais que ce n'est pas courant dans le métier. Vous savez, on rentre souvent tard, on part très tôt.
Vous avez des horaires décalés, vous mettez en jeu votre licence en jeu tous les six mois et vous avez des passagers parfois insupportables, c'est quoi qui vous fait aimer ce métier, la vue?
Alors oui, c'est ça (rires). Vous n'imaginez pas la beauté de l'approche sur les îles grecques ou l'arrivée à Genève en voyant le Mont blanc sous le soleil. On a le plus beau bureau au monde, on voit toujours le ciel bleu et je réalise tous les jours mon rêve de gosse. Ma femme me demande parfois si je ne suis pas fatigué de regarder des vidéos d'avion à la maison, mais je ne m'en lasse jamais. Dès que j'entends le moteur d'un petit avion, je lève la tête au ciel. Je crois qu'on appelle cela être passionné.