A peine la couronne vissée sur la tête ce samedi 16 décembre, la nouvelle Miss France 2024, Eve Gilles, faisait grouiller la Toile de commentaires pas très sympathiques... Le sujet phare de la discorde? Les cheveux courts de la représentante du Nord-Pas-de-Calais, qui serait la première Miss France à arborer une telle chevelure.
Cette petite «révolution» n'a évidemment pas plu à certains internautes qui ne sont pas privés de faire des remarques acerbes sur les réseaux. Mais pourquoi un tel acharnement et tant de haine pour un simple style capillaire?
Le sociologue français Michel Messu, professeur à l'Université de Nantes, qui a étudié de près la thématique du cheveu notamment dans l'ouvrage Un ethnologue chez le coiffeur, a répondu à nos questions.
watson: Pourquoi des réactions aussi violentes pour une coupe de cheveux courts?
Michel Messu: Ça change un peu parce que d'habitude, les Miss gardaient les attributs du féminin qui étaient la longue chevelure. C'est une rupture de ce point de vue là.
Donc, vous aussi vous trouvez que, en 2023, c'est encore révolutionnaire qu'une Miss France porte les cheveux courts?
A l'intérieur du petit monde des élections des Miss, et de Miss France en particulier, ça marque sûrement un changement puisque d'ordinaire, elles avaient toutes, à peu près, les cheveux longs. Cela correspondait à leurs propres standards de beauté de la femme.
D'où vient cette association féminité-cheveux longs? Cela a-t-il toujours été le cas?
C'est l'histoire de toute notre civilisation, peut-être l'histoire de l'humanité. Il faudrait des heures et des heures pour raconter cela.
C'est pour cette raison que l'on tond les femmes lorsqu'on leur reproche quelque chose: on tondait les prostituées, on a tondu les femmes à la Libération parce qu'elles avaient pratiqué la collaboration horizontale comme l'on disait. Donc, le cheveu est un marqueur de la féminité et de la représentation que l'on se fait de cette féminité.
Le fait qu'une coupe courte provoque autant de commentaires, qu'est-ce que cela révèle?
Ce qui se joue, c'est de conserver une image de la femme stéréotypée ou de la faire évoluer. D'où, j'imagine, sur les réseaux sociaux, ce déferlement de haine.
Quel rôle jouent les réseaux sociaux dans cette cabale anti-cheveux courts?
Les réseaux sociaux sont capables de faire n'importe quoi. Sur n'importe quel sujet, ils vont réagir à peu près de la même façon: il y aura les pour, les contre, et ceux qui vont vouloir assassiner ceux qui ne sont pas de leur avis. Apparemment, c'est comme ça que ça fonctionne. Dans le cas de Miss France, il n'y a aucune surprise.
Une Miss France qui a les cheveux courts, cela fait réagir, mais une femme lambda qui a la même coupe ne provoque pas de réaction, c'est bien ça?
Oui, bien sûr, c'est un prétexte. Parce que ce n'est pas Miss France qui «donne le la» des standards de beauté aujourd'hui. C'est fini, cela se passe ailleurs.
Pensez-vous tout de même que cela pourrait lancer une mode des cheveux courts auprès de la gent féminine?
Je ne pense pas vraiment, parce qu'il y a d'autres facteurs qui entrent en jeu dans la création d'une tendance. Les cheveux courts, il y en a toujours. On est dans une société où on demande aux individus de choisir leur coupe de cheveux, donc ils choisissent dans toutes les possibilités. Il y a toujours des femmes avec des cheveux courts aujourd'hui dans la rue.
Donc, de nos jours, quand une femme choisit une coupe courte, il n'y a pas forcément une motivation particulière?
C'est parfois pour marquer quelque chose, d'autres fois parce qu'elles trouvent que cela leur va mieux... Derrière ce choix, il n'y a pas nécessairement une revendication sociale. Je dirais que c'est presque passé dans les mœurs qu'il y ait un certain nombre de femmes qui ont le cheveu court, voire qui sont rasées. C'est tout à fait admis dans nos sociétés, cela ne crée aucun scandale d'ordinaire.