«Quelqu'un qui a des racines helvétiques ne ressemble pas à Toyloy.» Voilà ce qu’affirmait le Parti nationaliste suisse (PNOS), en 2008, lorsque Whitney est devenue la première métisse à remporter le concours de Miss Suisse. Depuis, celle qu’on a également traitée «d’abcès de la Confédération helvétique» en a fait du chemin. Mannequin, influenceuse, l'Yverdonnoise à moitié jamaïcaine milite, par ailleurs, pour plusieurs combats parmi lesquels celui contre le racisme.
En l'occurrence, ce samedi 3 juin, dans le cadre du festival Black Helvetia, à Neuchâtel, Whitney Toyloy et d'autres modèles de beauté francophones échangeront sur les injonctions esthétiques subies par les femmes afrodescendantes. Mais avant cela, chez watson, la trentenaire, aujourd'hui fière de son identité, a accepté de plus longuement porter son regard vers le passé. Précisément, la période durant laquelle elle avoue avoir peiné à s'accepter au sein d'un pays «majoritairement blanc».
Pourquoi est-ce important pour vous de participer au festival Black Helvetia, ce 3 juin?
Intervenir dans ce festival afin de partager mon vécu permettra, je l’espère, d’éduquer et d’inspirer les auditeurs. Car mon rôle d’influenceuse va plus loin que de faire des collaborations avec des marques. Il m’offre une voix qui peut être davantage entendue et d’autant plus sur des sujets essentiels à mes yeux, comme le racisme.
Cette société, vous en êtes pourtant devenue la Miss, en 2008, acquérant par la même occasion le statut de première femme de couleur à obtenir un tel titre dans le pays. Vous attendiez-vous à remporter la couronne?
Pas du tout. Je me suis inscrite sur un coup de tête avant de finalement me prendre au jeu. Mon objectif était de défendre une Suisse multiculturelle. Alors, obtenir ce titre, surtout à 18 ans, m’a rendue très fière.
Mais ce titre vous a aussi confronté au racisme. Comment l’avez-vous vécu?
Ça m’a fait très mal, et même presque quinze ans plus tard j’en reste affectée. C’était dur, pour moi, d’intégrer le fait que ma victoire, traduisant la célébration d’un mariage mixte tant au niveau culturel qu’identitaire, pouvait être reçue comme tel.
Hormis les propos foncièrement racistes, y a-t-il des remarques paraissant anodines du point de vue des auteurs qui vont ont tout de même blessée?
Oui, et encore aujourd’hui. Il y a une manie de certains à vouloir toucher mes cheveux bouclés, comme si j’étais une bête de foire. Ils pensent me flatter en usant de termes tels que «crinière», «touffe» ou «sauvage» pour les décrire. Mais ce ne sont pas des compliments. C’est du racisme ordinaire, et beaucoup de personnes en font preuve sans même s’en rendre compte. C’est fatigant.
Le racisme ne s’arrête pas qu’aux mots, mais peut également se traduire par des situations… cela a-t-il été votre cas au cours de votre carrière dans l’univers de la beauté?
Totalement. Bien que je sois métisse – avec en outre un sous-ton plutôt clair – les professionnels ne parvenaient pas à me trouver un fond de teint qui me corresponde. Ces derniers demandaient, par ailleurs, continuellement de lisser mes boucles, sous prétexte que cela rendait plus sérieux et plus beau. J’étais jeune, j’acceptais.
Quel a été l'impact sur la perception que vous aviez de vous-même?
Il a d’abord été physique: mes cheveux ont fini par être détruits, m’obligeant alors à complètement les raser. Les autres conséquences ont été psychologiques:
Selon vous, d’où vient cette méconnaissance dans le monde de la beauté, et particulièrement en Suisse, des soins à réaliser sur les femmes de couleur?
Les personnes de couleur sont en minorité en Suisse et, dans l'histoire, c’est le plus grand nombre qui l’a emporté. Lequel a ainsi jugé qu’on n’avait pas besoin d’être représentés.
Ma mère étant blanche, elle n’a pas non plus su coiffer mes cheveux comme il le fallait. Et je ne lui en veux pas du tout. J’en veux plutôt aux parents d’aujourd’hui qui ne s’occupent pas bien des cheveux de leurs enfants métis ou noirs. De nos jours, internet montre comment faire. Ils n’ont aucune excuse.
Certains pensent néanmoins qu’être métis est plus facile à vivre qu’être noir, qu’en pensez-vous?
C’est ce qu’on appelle du colorisme et je dois admettre que c'est la réalité. Le traitement social qu’on va faire à une femme noire et une femme métisse ne va pas être le même. Dès le moment que l'on se rapproche d’une certaine blancheur, bien que l'on fasse toujours partie d’une minorité, «au fond, ça va!»
Pourtant, vous avez confié dans une récente interview, parfois souffrir de votre métissage…
Tout à fait. Car je ne suis ni totalement blanche, ni totalement noire. Je suis les deux. Et, dans mon cas, cette dualité se confond avec une éducation qui aura davantage été occidentale plutôt qu’africaine. Pour d’autres métis que je connais, ça aura été l’inverse.
Est-ce que vous vous aimez aujourd’hui?
Oui. Je suis extrêmement fière d’être une femme métisse. Me rapprocher des origines jamaïcaines de mon père dernièrement m’a aussi aidée dans ce processus. J’aime particulièrement mes cheveux qui n’ont plus été lissés depuis 2018. Cela ne signifie pas que je ne les lisserai plus jamais. J’ai la chance d’avoir des cheveux avec lesquels je peux m’amuser. Mais je ne laisserai plus personne me l’imposer.
Quel conseil donneriez-vous à une femme de couleur qui, comme vous, aimerait évoluer dans l’univers de la beauté?
Je lui dirais de ne pas craindre de poser des questions: qui s’occupera de ses cheveux? Comment? Doit-elle prendre ses propres produits? Je lui dirais aussi de ne pas faire l’impasse sur les remarques qui la mettent mal à l’aise. Me concernant, il y a une phrase que je n'accepte plus d'entendre: «On ne peut plus rire de tout».